Chapitre 3 : Rose
Rose marcha pendant encore une bonne petite heure avant de s'éloigner de la folie de la capitale et de tous ces touristes. A la place, elle avait laissé le port derrière elle et avait longé la côte, le vent faisant onduler le châle qu'elle avait accroché autour de son cou. Les falaises étaient impressionnantes, hautes et majestueuses. Mais Rose aimait le calme qu'elles dégageaient et trouvait le mouvement des vagues s'écrasant sur la roche comme apaisant.
Elle aperçut enfin son village, Jasma, et les petites maisons qui formaient une sorte de cercle. A l'entrée du village, elle croisa son petit frère, Denel, sûrement venu l'attendre. Il courut dans sa direction pour l'aider à porter les différents paniers.
Denel, qui avait quatorze ans, était la personne la plus serviable qu'elle connaissait. Il lui sourit et lui prit le panier le plus lourd, celui d'Ingrid, avec tous ces fruits et légumes. Sans oublier la confiture.
— Fais attention, il est lourd. Il va t'écraser comme un moucheron, dit Rose à son frère.
— Arrête de dire n'importe quoi. Ça me fera les muscles. Et puis, donne-moi un an de plus et je te dépasse. On verra qui se fera écraser comme un moucheron, plaisanta Denel.
En effet, pour son âge, il avait une taille impressionnante et il ne tarderait pas à la dépasser. De plus, son travail avec le forgeron depuis l'hiver dernier lui avait récemment donné des muscles, notamment au niveau des épaules et des bras. Il était en train de devenir un jeune homme.
— Comment s'est passé le marché ? demanda Denel.
— Toujours autant bondé. Et Ingrid a glissé sa dernière confiture.
— La dernière ? s'étonna son frère. Vraiment ? ajouta-t-il déçu.
Rose pouffa de rire.
— Si tu les veux tellement tes confitures, tu n'as qu'à les faire toi-même.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée. Tu m'imagines, moi, en train de cuisiner ? rigola Denel.
—Vaut mieux pas je crois, répondit Rose.
Denel était doué avec ses mains, aucun doute là-dessus. Mais dès qu'il s'agissait de faire cuire quelque chose, ça tournait au fiasco. Il avait toujours tout fait brûler si bien que leur mère lui avait interdit de s'approcher de la cuisine sauf pour y manger quelque chose de déjà préparé. Alors, même une confiture, il serait tout à fait capable de la réduire en un tas de cendre collée au fond de la casserole.
Ils s'approchèrent de leur maison, où leurs parents, Rozenn et Konan étaient en train de s'entrainer à tirer à l'arc. Son père, Konan, maitrisait plusieurs types d'armes mais le tir à l'arc était probablement là où il excellait le plus. Rose, qui avait été fascinée depuis sa première expérience avec un arc, avait supplié son père de la former. Depuis, son niveau se rapprochait de plus en plus de celui de son père. Mais il restait imbattable.
Alors que sa mère était en train de viser, son père tourna la tête dans leur direction.
— Salut les jeunes, dit-il.
Au même moment, Rozenn relâcha sa prise sur la corde de l'arc et la flèche partit en direction de la cible à plusieurs mètres de loin. Elle atterri au centre.
— Tu vois quand tu veux, murmura son père.
— Surveille ton langage où ma prochaine cible c'est toi, répondit sa femme.
Elle tendit l'arc à son mari, qui le saisi, et s'approcha de ses enfants. Elle prit le reste des paniers que portait Rose et lui fit un bisou.
— Merci ma chérie.
Elle rentra avec Denel.
— On se fait une petite compétition ? demanda son père.
D'un seul coup on entendit sa mère lui répondre depuis la maison
— Pas cinq heures Konan !
Konan haussa les sourcils et murmura très bas pour qu'elle n'entende pas :
— Elle est partout et entend tout. C'est flippant.
Rose sourit. Ses parents étaient une source d'inspiration pour elle. Après tant d'années ensemble, ils s'aimaient toujours autant. Ils se respectaient, se confiaient l'un à l'autre, reposaient l'un sur l'autre.
Rose s'approcha de la table où étaient posés plusieurs arcs de différentes tailles. Elle prit le sien et son père en fit de même. Leurs arcs étaient radicalement différents. A cause de sa taille, celui de Rose était plus petit que celui de son père. De plus, elle avait attaché à la branche supérieur un petit morceau de tissu. Un bout de sa robe préférée quand elle était plus jeune et qu'elle avait porté lorsqu'elle avait réussi à tirer pour la première fois au centre de la cible. Depuis ce jour, elle avait décidé de porter cette robe à chaque session de tir. Comme s'il lisait dans ses pensées, son père pouffa.
— Je me rappelle une fois où tu avais absolument voulu porter cette robe alors qu'on était en plein hiver. Tu avais fait un tel caprice que ta mère avait finalement accepté de te laisser faire. Tu avais évidemment perdu contre moi car je suis imbattable. Mais en plus de cela, tu avais choppé une crève qui avait duré une semaine.
Son père se mit à rire et Rose aussi. Elle se souvenait de ce jour. Elle avait été très têtue et en avait appris les conséquences. Depuis, elle avait découpé un morceau de sa robe pour pouvoir l'accrocher à l'arc. Une façon d'avoir son porte-bonheur toujours avec elle pendant qu'elle tirait.
— Pour faire plaisir à ta mère et pour éviter que tu souffres trop longtemps, on va jouer cette partie en trois coups. Celui qui fait le plus de points gagne. Ça te va ? demanda Konan.
— De toute façon je ne vais pas te battre, alors qu'est-ce que ça change ? répondit Rose.
— Ça change que même les meilleurs déclinent un jour, et que je compte sur toi pour me mettre la pâtée ce jour-là. Les jeunes femmes d'abord, lui dit-il en faisant signe en direction de la cible à au moins dix mètres au loin.
Rose se concentra et pris une grande inspiration. Après une matinée stressante, une séance de tir était le bon moyen pour évacuer la tension qui avait pris possession de ses muscles. Elle se força à se détendre et se mit en position pour tirer sa première flèche.
Le calme l'envahit et comme à chaque fois, seule la cible comptait. Tout autour d'elle disparaissait. Seul le vent restait présent. Elle décocha sa flèche qui vint se planter au centre.
Elle laissa la place à son père qui tira sa flèche avec une facilité si déconcertante que ça en était presque rageant. Comme prévu, elle atterrit au centre du centre. Il ne leur avait jamais dit où il avait appris à tirer. Quand Rose lui avait demandé il y a des années, elle avait obtenu pour seule réponse « J'ai appris quand j'étais plus jeune ». Elle avait voulu en savoir plus mais sa mère, toujours de mèche avec son père, lui avait demandé de ne pas insister.
C'était de nouveau à son tour de tirer et elle répéta son tir parfait en plein centre de la cible mais plus près du bord que du centre. Son père, sans se poser trop de question réitéra son tir parfait. Rosa souffla.
— Je t'avais prévenu que j'allais perdre, dit Rose tout en croisant les bras autour de son arc.
Il était difficile de lui en vouloir car il lui avait tout appris. Il avait toujours été patient et bienveillant. Il lui avait prodigué des conseils. Et si elle était bonne tireuse à l'arc, c'était grâce à lui.
Alors qu'elle s'apprêtait à se positionner pour tirer sa troisième flèche, le vent s'intensifia légèrement. Elle prit en compte ce changement et parvint à tirer au centre aisément. Son père encocha sa dernière flèche et se positionna.
Au moment même où son père décocha sa flèche, Rose senti une odeur particulière. Une odeur de pourriture. Son père la sentit aussi et à la plus grande surprise de Rose, il bougea, de manière presque imperceptible. Mais Rose connaissait trop bien son père pour savoir que quelque chose l'avait perturbé.
La flèche atterrit à cinq centimètres du centre. Rose en resta bouche bée. Elle n'avait jamais vu son père rater un tir. En vingt-trois ans. Peu importe les conditions météo ou l'environnement, il restait imperturbable. Jamais Rose ou ses frères et sœurs n'avaient réussi à le désarçonner. Et pourtant, ils avaient tout essayé.
Elle ne dit rien pendant plusieurs secondes et observa son père. Il regardait au loin, perdu dans ses pensées. S'était-il rendu compte qu'il avait raté son tir et qu'elle avait gagné ? L'odeur avait maintenant disparu, si bien que Rose se demanda si elle ne l'avait pas imaginé. Alors qu'elle cherchait une explication à la situation, elle vit que sa mère se trouvait sur le palier et observait mon père, avec un air inquiet.
Rose s'avança vers elle pour demander ce qu'il se passait, mais elle releva la main pour la faire taire.
— Rose chérie, est-ce que tu peux commencer le repas avec tes frères et sœurs ? Ton père et moi arrivons dans quelques instants.
Rose acquiesça et rentra. Dans la cuisine, ses deux plus petits frères et sœurs étaient en train de chahuter alors que les deux grands essayaient tant bien que mal de les canaliser. Elle entendit sa sœur Alis demander à Dylis de s'asseoir ou sinon elle serait privée de dessert. Celle-ci lui tira la langue en gage de réponse, ce qui amusa Moran. Mais Rose ne faisait pas attention. Elle observait par la fenêtre ses parents.
Sa mère s'approcha de son père qui avait les bras croisés et le regard toujours fixé à l'horizon. Quand sa mère arriva à sa hauteur, son père se tourna vers sa femme et Rose vit une larme couler sur les joues de son père. Sa femme le prit dans ses bras et pour la première fois, Rose eut l'impression de perdre pied.
*
Le repas se passa finalement dans le calme mais son père ne rentra pas manger avec eux. En réalité, il partit plusieurs heures sans que Rose ne sache où il s'était rendu, ni quand il reviendrait. Elle rumina toute la journée et culpabilisa d'avoir gagné alors que quelque chose avait vraisemblablement inquiété et perturbé son père.
Il rentra finalement à la tombée de la nuit et se dirigea à l'arrière du jardin, où se trouvait Rozenn avec une tasse de thé à la main. Elle était assise par terre en dessous de l'oranger. Le soleil était en train de se coucher et les derniers rayons révélaient quelques reflets roux dans sa chevelure habituellement marron.
Alors que son père se rapprocha de sa mère pour s'asseoir à côté d'elle, au soleil, Rose ouvrit la fenêtre un peu plus en grand pour écouter.
— Je me rappelle la première fois que je t'ai vu, commença doucement son père. C'était après la fin de la guerre. Tu te trouvais sur la plage avec comme aujourd'hui le soleil qui faisait briller ta peau et tes cheveux. Après tout ce que j'avais vécu, tu semblais comme apparue par magie. Un répit dans mes pensées sombres.
Rose fronça les sourcils. Elle savait que son père avait vécu la guerre d'il y a un peu plus de vingt ans. Y avait-il participé ? Il ne l'avait jamais mentionné en tout cas.
Sa mère sourit et déposa délicatement une de ses mains sur la joue de son père.
— Est-ce que tu veux en parler ? demanda-t-elle finalement.
— Je ne crois pas non. J'essaye encore de faire la paix avec mon passé. Mais là, c'est juste comme si...comme si j'y étais à nouveau. Vingt-trois ans en arrière.
— Pourquoi t'es-tu soudainement retrouvé là-bas ? Pourquoi aujourd'hui particulièrement ? demanda sa mère, inquiète.
Son père ne répondit pas tout de suite. A la place, il jouait avec les cheveux de sa femme, qu'elle avait fini par relâcher de leur chignon. Sa mère, avait de cheveux magnifiques. Longs, légèrement bouclés et d'une couleur issue d'un joli mélange entre le roux et le châtain. De plus, sa peau métisse faisait ressortir la couleur inclassable de ses cheveux.
— Comme un pressentiment, dit-il tout doucement.
Il n'ajouta rien de plus et prit sa femme dans les bras.
—Tu espionnes les parents maintenant ? demanda une voix derrière elle.
Rose sursauta et manqua de se cogner la tête contre la fenêtre d'ouverte. Denel se trouvait à quelques mètres d'elle, un verre vide à la main. Il s'approcha de l'évier.
— Si tu le permets, j'aimerais étancher ma soif, dit Denel.
Denel avait son regard fixé sur elle.
— Bouge de là, lui dit-il, en la poussant doucement pour qu'elle se décale de devant l'évier.
Rose comprit qu'elle le gênait et se décala en s'excusant.
— Tu es dans les nuages toi depuis ce midi, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Après avoir rempli son verre d'eau, Denel ferma doucement la fenêtre pour ne pas déranger leurs parents. De plus, comme le soleil s'était couché pour la journée, la température avait aussi baissé.
— Je suis inquiète pour papa, lâcha-t-elle finalement.
— Pourquoi ? demanda Denel.
— Lors de la session de tir de ce matin, quelque chose s'est passé et il a raté son tir. Il l'a raté, Denel, insista-t-elle.
— Tu devrais être contente, lui dit-il.
Comme elle ne répondit pas, son frère fronça les sourcils.
— Et tu penses que c'est ta faute ?
— Non, répondit-elle. Non je ne crois pas. Enfin, je ne sais pas.
— Et donc, plutôt que de lui demander directement, tu l'espionnes ? rétorqua-t-il en ricanant.
Elle lui donna une petite tape sur l'épaule.
— Ce n'est pas drôle Denel. Tu aurais dû voir son visage. Je ne l'ai jamais vu comme ça.
Son frère se rapprocha d'elle pour la prendre dans ses bras, mais avec le verre d'eau toujours dans la main, il en renversa dans son cou, ce qui fit sursauter Rose et qui eut pour conséquence de renverser complètement le verre d'eau dans son dos. Elle poussa un petit cri car elle était froide.
— Espèce de débile, rigola-t-elle. L'eau est gelée !
— Elle n'est pas gelée. Sinon je ne pourrais pas la boire.
Pour se venger, Rose attrapa un verre et le rempli d'eau la plus froide possible. Denel, qui la vit faire, sorti en trombe de la maison dans le jardin. Rose le poursuivit tant bien que mal avec son verre et réussit à mouiller le bas de ses jambes. Alors qu'ils se poursuivaient dans le jardin, ils poussèrent tous les deux des cris de surprise lorsque tout d'un coup, un jet d'eau leur arrosa le visage.
Après plusieurs tentatives pour ouvrir les yeux après s'être pris de l'eau en pleine figure, elle vit son père avec un tuyau d'arrosage à la main. Elle voulut se décaler hors de portée du jet mais son frère eut la même idée et ils se foncèrent dedans. Elle en eut le souffle coupé et ils tombèrent tous les deux à la renverse.
Son père explosa de rire et vint les rejoindre.
— Comment ça va les deux quilles ? demanda-t-il.
— J'ai l'impression d'avoir foncé dans un mur, souffla Rose. Il va vraiment falloir arrêter de prendre du muscle Denel.
Elle tentait tant bien que mal de reprendre son souffle.
— Et moi alors ! s'exclama son frère. Tu es tellement petite que je me suis pris ton front dans le nez.
Il se tenait le nez et grimaçait de douleur.
— Quelle équipe de bras cassés, rigola son père. Allez soigner vos bobos et au lit, demain on a une grosse journée qui nous attend, dit leur père.
Rose souffla et s'allongea sur le sol. Elle avait complètement oublié. Demain, toute la famille partait pour la capitale, Horaria. Un jour de voyage était prévu. Mais le pire ce n'était pas la durée du voyage. Non, le pire c'était qu'Horaria était une île. Et pour rejoindre une île, il faut prendre le bateau. Rien que d'y penser, Rose se mit presque à avoir la nausée.
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