Chapitre 2 : Jared

Jared et Luc défilaient dans les rues d'Azha, beaucoup moins remplies qu'hier. Ils étaient arrivés la veille, un jour de marché et Jared avait refusé de quitter son bateau et de se mêler à cette foule. Il était hors de question qu'il se fasse étouffer par autant de gens. Il avait donc passé la journée sur son bateau avec les membres de son équipage. Entre autres, Néréa n'était pas fan de la foule non plus et elle avait accepté de faire une partie de cartes avec son capitaine.

Mais aujourd'hui, Jared ne pouvait plus rester sur son bateau. Il avait des choses à faire. Azha était une capitale animée et même si la foule était moins importante que la veille, il y avait toujours trop de personnes à son goût. Ce qui l'avait toujours fasciné était la mixité de cette ville et il était très facile de passer inaperçu dans les rues. De plus l'animation et le bruit qui ne cessaient jamais pouvaient devenir pratiques quand il voulait disparaitre, se cacher, voir semer des gens. Jared devait bien admettre que les escroqueries y étaient faciles. Ce qui était paradoxal. En effet, d'apparence, la ville offrait un spectacle magnifique avec ses rues propres, fleuries et pleines de couleurs. Il faisait toujours beau à Azha et le mauvais temps ne venait gâcher le paysage que quelques jours par an.

Mais en réalité, n'importe qui pouvait installer son trafic ici pour ne pas se faire repérer. A la nuit tombée, certains endroits transpiraient la malhonnêteté. Quand la nuit et son obscurité planait au-dessus de la ville, tous les criminels sortaient de leur cachette pour s'exposer aux yeux de tous sans jamais être vraiment vus. A son tour, ce soir, quand le soleil ne sera plus présent, Jared sortirait de son repaire lui aussi.

Mais avant cela, il avait une escale à faire. Aux archives d'Azha. Il s'approcha du bâtiment et l'observa. Il était tout blanc et de forme ronde. De loin on aurait pu le comparer à une boule de neige géante. Sauf qu'Azha n'avait jamais vu la neige.

— Ce bâtiment est vraiment étrange, dit Luc à côté de lui.

Lui et Jared s'étaient changés. Ils n'allaient pas débarquer dans un lieu aussi immaculé couverts de bave blanche. Quoiqu'ils auraient pu se fondre dans le paysage, pensa Jared avec un sourire aux lèvres. A la place, ils avaient revêtu une tenue qu'ils avaient tous les deux l'habitude de porter. Une chemise en toile et un pantalon en lin. Pour finir, des bottes, qui, il fallait l'avouer, leur tenaient toujours chaud, mais qui étaient confortables et résistantes à toutes épreuves. Luc avait, en plus, accroché sa broche dont il ne se séparait jamais. Elle représentait un ours sur ses quatre pattes, signe qu'il appartenait à la contrée de Webolis. En-dessous de l'ours se trouvait une vague, représentant son clan et son emplacement, c'est-à-dire au bord de la mer. Chaque clan de nains avait leur propre broche, toujours avec un ours comme effigie. Seulement, les clans vivant dans les montagnes avaient un pic à la place de la vague et ceux vivant dans les forêts avait un arbre.

Luc avait perdu ses parents jeunes et aujourd'hui, des années plus tard, il portait la broche qui avait appartenu à sa famille, seul souvenir le rattachant à son clan.

Jared monta les marches jusqu'à l'entrée des archives et Luc lui emboita le pas. Ils pénétrèrent dans la pénombre du bâtiment et le silence les enveloppa. Aucun bruit ne venait troubler le calme. Seul le grincement de leurs chaussures sur le sol poli et verni cassa l'équilibre qui semblait s'être installé dans la pièce.

Jared leva la tête et observa le plafond. Il se trouvait à des centaines de mètres au-dessus de sa tête et était couvert de mouettes violettes. Elles volaient dans l'océan qu'était ce plafond et elles émettaient une légère brillance malgré l'obscurité. Quelqu'un toussota et Jared baissa les yeux et ferma sa bouche qui s'était ouverte sans qu'il s'en rende compte.

— Messieurs, annonça une voix pleine de dédain.

L'homme qui se trouvait devant eux avait en effet une expression étonnée, mêlée de mépris. Jared fut surpris. Il n'avait pas encore prononcé un seul son que cet homme le prenait déjà de haut. Pourtant il avait fait un effort pour ne pas détonner dans ce bâtiment à la réputation bien particulière. Il avait attaché ses cheveux qui lui arrivait juste au-dessus des épaules et s'était assuré avant de partir qu'aucun ne s'était échappé de l'élastique. Mais seul les gentlemen qui transpiraient l'argent pouvait aller plus loin que le hall d'entrée. Et Jared et Luc ne transpiraient pas l'argent. Du moins pas encore.

— Monsieur, salua Jared en retour. J'aimerais avoir accès aux archives.

L'homme esquissa un sourire mesquin et ses petits yeux de chacals lançaient des éclairs. Avant même qu'il ouvre la bouche, Jared savait exactement ce qu'il allait dire. C'est pourquoi, il balança une bourse qui alla atterrir au niveau de ses mains. L'homme ouvrit la bouche et prit une aspiration qui trahit sa surprise.

— Une petite participation à la conservation des archives, ajouta Luc.

L'homme reprit ses esprits et ouvrit la bourse. Dedans se trouvait quelques Kisars et deux trois émeraudes. L'homme grogna et frotta son ventre bien dodu, content.

— Mais bien sûr, messieurs. Quelle partie des archives souhaitez-vous consulter ? demanda-t-il maintenant tout jovial.

Une pure comédie évidemment, mais Jared passa au-dessus de son attitude.

— Les archives des naissances, répondit Jared.

L'homme ne s'attendait probablement pas à ça mais il n'en laissa rien paraitre. Après tout, la bourse était plutôt lourde. Il accrocha celle-ci à sa ceinture et les invita à le suivre. Il souleva la toge qu'il portait pour ne pas s'empêtrer dedans et se mit à faire des petits pas pour avancer. Le trajet fut assez court et ils empruntèrent seulement quatre escaliers et dix couloirs différents. Jared essaya de mémoriser le chemin mais il était sûr que sa mémoire allait lui faire défaut le moment venu.

L'homme déverrouilla la porte et fit demi-tour. Mais en se retournant, il fonça dans Luc, qui bascula à la renverse. L'homme parut mortifié et bredouilla ses excuses plusieurs fois tout en aidant le nain à se relever. Après s'être assuré dix fois que Luc se sentait bien, il s'en alla. Jared ricana et tendit sa main.

— Elle marche à tous les coups celle-là, dit Luc en tendant la bourse à Jared.

En effet, c'était un coup que Luc avait fait des dizaines de fois déjà et qui avait toujours le même effet. Tout le monde semblait mortifié d'envoyer un nain tomber à la renverse et personne ne sentait sa bourse être dérobée sans impunité.

— Dépêche-toi quand même, lâcha Luc. S'il est cupide et pas trop bête, il se rendra compte assez rapidement du subterfuge.

Jared entra dans la pièce en ne sachant pas trop où donner de la tête. Ils se trouvaient dans une sorte de bibliothèque où étaient entreposés de vieux livres aux reliures plus ou moins anciennes. Jared observa les plaques accrochées sur les différentes étagères. Elles indiquaient des années. Il se dirigea donc vers l'étagère qui l'intéressait. Il regarda les nombres défiler jusqu'à atteindre l'an 1200. Il n'était pas sûr sur quelle année il devait se focaliser mais l'an 1200 était un bon début.

— Qu'est-ce que tu vas faire si tu ne trouves pas ? murmura Luc.

Jared soupira. Qu'allait-il faire s'il ne trouvait pas ?

— Passer à autre chose. Construire un futur plutôt que d'essayer de trouver un passé qui clairement voudrait rester enfouit.

— Ne sois pas stupide, répondit Luc. Tu ne vas pas abandonner ?

— Passer à autre chose et avancer n'est pas abandonner, dit Jared tout en récupérant le livre qui se trouvait sous le nombre 1200. Aide-moi, veux-tu, au lieu de me pomper l'air, ajouta-t-il à Luc qui était toujours planté à ses côtés, son regard fixé sur lui.

Jared l'ignora et posa le livre sur la table qui se trouvait au milieu des étagères. Quand il laissa retomber l'ouvrage, celui-ci dégagea un nuage de poussière. Jared l'ouvrit et entreprit de déchiffrer les pattes de mouches devant lui.

— Plus petit encore, ça serait possible ? se plaignit Jared qui dû se rapprocher des pages et respirer la poussière.

— On cherche quoi exactement ? dit Luc qui récupéra difficilement un épais ouvrage et qui s'installa par terre, la table étant trop haute pour lui.

— Un Jared né dans ses années, répondit Jared, concentré sur les noms qui défilaient devant lui.

Il voulait retrouver ses parents. Le registre des naissances était une première piste pour les retrouver et savoir ce qu'ils étaient devenus. Pourquoi est-ce qu'ils l'avaient abandonné ?

Luc se plongea à son tour dans les listes de noms qui semblaient ne plus en finir. Ils passèrent plusieurs minutes à éplucher plusieurs années allant de l'an 1195 à l'an 1205, ils n'avaient rien trouvé. Aucun Jared à l'horizon.

— Peut-être que l'on peut essayer l'an 1206, dit Luc en se dirigeant vers le volume correspondant.

Jared secoua la tête, ses espoirs s'envolant soudainement devant lui.

— Alors peut-être que tu es né avant ? commença Luc mais Jared le coupa.

— Si j'étais né avant, j'aurais été assez grand pour me souvenir d'eux, souffla Jared. Or j'étais petit quand je me suis retrouvé seul et affamé dans les rues.

Il se tut et Luc n'osa pas prononcer un mot. Le silence en disait long. Il n'était pas dans les registres car ses parents ne l'avaient pas reconnu. Et ils ne le reconnaitront jamais.

— Peut-être que tu es né ailleurs alors, suggéra Luc.

— Où ça ? demanda Jared qui se dirigea vers la porte après avoir remis le dernier ouvrage qu'ils avaient consulté en place.

Ils avaient fait les trois registres principaux de Terasi. Le registre d'Enarant, de Donos et même de Webolis alors que ce registre ne comptait que les naissances de nains. Le registre de Volans avait été le dernier espoir de Jared.

— Peut-être que tu es né dans les contrés lointaines, dit-il alors qu'ils essayaient de retrouver leur chemin dans le dédale de couloirs.

Jared s'arrêta net dans ses pas.

— Ne me parle pas de cet endroit, répliqua-t-il à Luc. Et puis je me souviens avoir pris un bateau qui se rendait aux contrés lointaines. Donc ça n'a pas de sens. Je dois forcément être né à Terasi.

Ils reprirent leur chemin, en silence cette fois-ci. Ils tournèrent en rond pendant un moment, ce qui eût pour effet de mettre encore plus Jared sur les nerfs qu'il ne l'était déjà. Au bout de ce qui leur semblèrent des heures, Jared et Luc pénétrèrent dans le hall. L'homme qui avait été à la réception plus tôt avait disparu et sans se retourner, Jared et Luc quittèrent les archives, les poches aussi pleines que quand ils y étaient rentrés.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top