Chapitre 12 : Jared

Basil secoua Jared et le poussa pour qu'il court. Mais il était prêt pour l'attaque. Alors Basil l'assena d'une tape à l'arrière de la tête.

— Tu ne penses sérieusement pas affronter cette chose ! s'exclama-t-il. Cours espèce d'idiot, je n'ai pas envie de mourir.

Il le poussa plus violemment cette fois et l'emmena dans les rues.

— Où est ton bateau ?

Quand son ami mentionna son bateau, Jared reprit ses esprits. Son équipage ! Il fallait qu'il les rejoigne.

— Nord-est, répondit-il.

— Par là, indiqua Basil.

Il lui fit signe de se rendre sur la gauche. Il connaissait la capitale mieux que Jared et il savait quel chemin emprunter pour y arriver le plus vite possible. Des cris se faisaient entendre tout autour d'eux, avec des objets qui se cassaient et des murs qui s'effondraient au même moment. Jared eut un moment d'hésitation. Ils n'allaient pas fermer les yeux face à tant de destruction et de massacre ?

— Tu ne pourras aider personne si tu es mort, dit Basil comme s'il lisait dans ses pensées. Le protocole de l'île stipule qu'en cas d'attaque, quiconque ayant un bateau prenne à son bord le plus de personnes possibles et aide à évacuer l'île. Alors si te sentir utile, ton bateau est le meilleur moyen.

Jared acquiesça et le suivit sans se poser de question. Il n'arrivait pas à se sortir l'image de cette bête de la tête. Qu'est-ce que c'était que ce truc ?

Au bout de ce qui semblait une éternité, ils atteignirent le port et au loin, des personnes embarquaient déjà sur des bateaux. Quand ils se rapprochèrent de celui de Jared, il vit que l'équipage avait pris à bord seulement quelques habitants.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Prenez plus de personnes à bord ! cria la capitaine.

Ni une, ni deux, plusieurs membres de son équipage descendirent du bateau pour guider la population paniquée jusqu'à la passerelle d'embarcation. 

— Combien de personnes peux-tu accueillir ? demanda Basil.

— Pas assez, répondit Jared.

Il fallait qu'il se rende à l'évidence. Jamais il ne parviendrait à prendre toute la population qui s'était rassemblée sur le port. Il doutait même que tous les bateaux accostés réunis puissent recevoir tout le monde, surtout si des personnes continuaient à arriver au fur et à mesure.

Pendant plusieurs minutes, il laissa monter à bord le plus de d'habitants possible. Étonnamment, le chaos ne dura pas éternellement et le port se désemplit. Alors que plus personne ne se trouvait sur les ponts, tous les capitaines des bateaux, petits ou grands, prirent la décision de quitter le port. Le silence tomba rapidement. Plus personne ne faisait de bruit. L'ambiance chaleureuse qui se trouvait normalement à la capitale avait disparue. Jared n'en croyait pas ses yeux.

— Capitaine ! s'exclama une voix derrière lui.

Il se retourna et trouva Paolo à quelques mètres.

— Quels sont les ordres ? demanda-t-il.

Le matelot se tenait les mains. Il savait que sa question était dérisoire. Que faire dans un moment pareil ? Que faire alors qu'un coup comme celui-ci ne leur était encore jamais arrivé ?

— Je ne sais pas Paolo, admit Jared. Il déposa une main sur son épaule, ce qui rassura le matelot. On avisera au fur et à mesure. Pour l'instant on va s'éloigner de la côte doucement. Une fois qu'on sera à une lieue, je veux que tout l'équipage s'occupe des personnes qu'on a pris à bord. Il faut qu'on prenne soin les uns des autres.

— Après tout, on est tous dans le même bateau.

— Vraiment Basil ? lâcha Jared.

Mais il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, comme toutes les personnes autour de lui, ce qui détendit l'atmosphère. Il fit signe à Paolo de s'en aller et se rapprocha de son ami pour lui souffler dans l'oreille.

— Blague à part, il va falloir trouver une solution rapidement car je n'ai pas de quoi nourrir toutes ces personnes pendant des semaines.

Basil perdit son sourire. Évidemment. S'ils rationnaient la nourriture, ils pouvaient tenir une semaine mais pas plus. Qu'allait-il faire de tous ces gens ?

— Tout à l'heure, tu as parlé d'un protocole, commença Jared. Est-ce que tu sais où est-ce que je dois aller avec toutes ces personnes maintenant qu'elles sont sur mon bateau ?

Il fit non de la tête. La seule chose qu'il savait c'était ce qu'on lui avait dit lorsqu'il avait acheté son bout de terre et qu'il s'était installé : en cas d'attaque, il fallait se rendre sur un des ports et embarquer si possible sur un bateau pour évacuer l'île.

— On ne peut pas être tranquille cinq minutes hein ? demanda Basil, un sourire mêlé à de l'amertume.

Jared se senti mal pour son ami. Après tout, il avait fui sa maison, qui avait peut-être été détruite, alors que lui avait encore son chez lui, intact, pour le moment. Il voulut dire quelque chose de rassurant mais les mots lui manquaient. Que pouvait-il dire qui améliorerait la situation ?

Paolo revint vers lui, avec un message dans les mains. Il le luit tendit.

— Pour vous capitaine, dit-il.

Il lu le message. C'était une missive de la part du gouverneur d'Horaria, qui se trouvait sur un des bateaux et qui appelait tous les capitaines à se réunir pour discuter de la marche à suivre dès la tombée de la nuit. Ce qui faisait dans deux heures déduisit Jared s'il en croyait la position du soleil. Il poussa un soupir de soulagement et tendit le papier à Basil pour qu'il puisse le lire à son tour.

Jared confia le commandement à Paolo le temps de la réunion et, accompagné de Basil et d'un membre de son équipage, Rafael, qui garderait la barque le temps de la réunion, ils s'en allèrent en direction du bateau du gouverneur. La nuit était tombée depuis maintenant deux heures et la température avait baissée, si bien qu'ils avaient tous les deux enfilés un pull. Les deux étant à Jared, Basil nageait littéralement dans le sien et il avait retroussé les manches pour pouvoir utiliser ses mains à nouveau.

Quand ils arrivèrent, il informa Rafael de rester pas trop près du bateau au cas où la mer deviendrait agitée. Celui-ci lui fit signe qu'il avait compris et commença à ramer lorsqu'il fut seul sur la barque.

Un petit groupe se trouvait sur le pont avant du bateau. Les deux amis s'avancèrent et rejoignirent le cercle autour du gouverneur. Jared ne l'avait jamais vu de sa vie mais il ne fut pas difficile de déduire que c'était bien lui.

Il était tout de noir vêtu et avait comme seule décoration une broche dorée représentant le blason de Terasi. Les représentations du blason étaient rares car chaque contrée était plus ou moins indépendante maintenant. Cependant, il y a des années de ça, les quatre contrés avaient signé des accords de paix et de soutien. Depuis, elles travaillaient en harmonie sous ce blason.

Jusqu'à il y a vingt-trois ans, quand la guerre avait frappé Horaria et que toute cette harmonie avait été sérieusement ébranlée. Jared ne savait que peu de chose sur cette guerre. Et puis personne ne souhaitait en parler. Les personnes ayant survécus avaient soit fui et ne savait rien de ce qu'il s'était passé ou était restées pour se battre et refusaient d'évoquer les horreurs qu'elles avaient vu.

Le gouverneur portait une broche, symbole de son pouvoir et de son rang. Mais il n'était pas le seul à en porter une. Techniquement, le roi d'Enarant en avait une avec le symbole de sa contré : un cerf. Il y avait aussi le gouverneur de Volans dont le symbole était une mouette. Puis il y avait la contré des nains, dont le fonctionnement était compliqué selon Jared et qui, malgré les nombreuses explications fournies par Luc, n'y comprenait pas grand-chose. Webolis, la contré où ils vivaient, était dirigée par un conseil dont les membres provenaient des différents clans répandus sur tout le territoire. Des subtilités régissaient le bon fonctionnement de ce conseil mais Jared les avait déjà toutes oubliées.

Pour finir, il fut un temps où il y avait un gouverneur à Donos mais ce temps était révolu et le chaos régnait là-bas et personne ne s'était désigné pour y remettre l'ordre. De plus, cette contrée était réputée pour être maudite car elle avait été le plus sévèrement ravagée par la guerre et aussi parce qu'une barrière magique traversait la contré en son milieu. Personne ne voulait, ne serait-ce que s'approcher de Donos. Saufs les tarés.

— En cas d'attaque, commença le gouverneur.

Il avait une voix qui portait, si bien qu'il n'avait pas besoin de beaucoup hausser le ton pour qu'il se fasse entendre. Tous les regards s'étaient fixés sur lui lorsqu'il avait commencé à parler. Ayant capté l'attention de tout le monde, il continua.

— Le protocole dit que les bateaux amarrés se doivent de prendre le maximum de personnes à leur bord. Je tiens personnellement à vous remercier de la réactivité que vous avez fait preuve cet après-midi.

Il s'inclina devant les personnes autour de lui puis continua.

— Les ports sont placés à des points stratégiques de la ville pour faciliter le transport des marchandises et de population. Je pense qu'il serait préférable de se rendre à Volans pour nous car c'est la contrée la plus proche. Mais si vous avez assez de vivre pour aller plus loin, rien ne vous en empêche.

Des murmures se firent entendre et quelqu'un posa une question.

— Comment savoir où se rendre quand on a perdu notre maison ?

D'autres personnes approuvèrent. Certains d'entre eux ne savaient pas où aller. Le gouverneur fronça les sourcils et toucha sa moustache grisonnante. Il finit par déclarer :

— Peu importe où vous allez, vous serez accueillis, je vous le promets.

Un silence tomba.

— Et puis quoi après ? continua la voix qui s'était élevée un peu plus tôt. Son propriétaire s'avança. Une fois qu'on nous a accueillis, que fait-on ? Notre chez-nous, c'est Horaria. Pas ailleurs !

Cette fois-ci, plus de personnes approuvèrent.

— Est-ce que vous avez vu ce qui nous a attaqué ? demanda une autre personne.

Une femme s'avança, les poings sur les hanches et le visage furieux. Elle enchaîna.

— Qui sait se battre ici ? demanda-t-elle.

Personne ne répondit. Jared leva la main et elle lui lança un regard accusateur. Il la baissa aussitôt, comme s'il s'était brûlé.

— Il serait plus judicieux de prendre l'hospitalité qu'on nous offre le temps d'être sûrs que ces créatures ne reviendront pas nous attaquer.

— Et on devrait attendre jusqu'à quand ? répondit l'homme. Peut-être devrions-nous leur envoyer des messages afin de savoir si elles ont prévu de nous dévorez ? ricana-t-il.

D'autres ricanements se firent entendre.

— Libre à vous, monsieur, d'aller vous mesurer à elles puisque vous semblez avoir des pensées suicidaires. Libre à vous de retourner à Horaria pour finir en pâtée.

Elle avait fini par hausser sa voix et perdre son calme. Soudain deux clans se formèrent et tout le monde eut un argument à balancer à son voisin. On aurait dit un poulailler. Jared et Basil se regardèrent sans trop savoir quoi faire ni quoi dire.

Le gouverneur frappa son poing sur la table en face de lui pour les faire taire. L'effet fut immédiat. Plus personne ne soufflait mot.

— Assez. Cette discussion ne rime à rien. Ces créatures sont un vestige du passé et peu importe où vous irez, vous ne serez jamais en sécurité. Je vous ordonne de tous vous rendre à Azha. Ceux qui souhaiteront descendre et rester dans la ville seront les bienvenus. Pour ceux qui souhaiteront retourner à Horaria, vous ne serez autorisé à le faire qu'au bout d'une semaine après avoir accosté sur Volans. Si j'apprends que certains d'entre vous sont passés outre mon ordre, je vous retrouverai et vous bannirai de l'île. Est-ce que c'est clair ? lâcha le gouverneur.

Cela cloua le bec à tout le monde, même Jared qui ne s'y attendait pas. Il venait à peine de passer plusieurs jours à Azha et maintenant il fallait qu'il y retourne ?

— En ce qui concerne la population restante sur l'île, le roi d'Enarant est en chemin. Ceux qui voudront rester à Horaria pourront le faire et des bateaux seront mis à disposition pour ceux qui souhaiteront partir.

La foule consentit à ce plan et tous retournèrent sur leurs bateaux respectifs. Jared avait d'abord attendu que d'autres partent avant de faire signe à Rafael d'approcher avec la barque. Le vent avait rendu la manœuvre difficile et la pluie les avait accompagnée pendant leur chemin du retour.

Quand Jared, Basil et Rafael montèrent sur le pont, ils durent zigzaguer entre toutes les personnes assises par terre, allongées et parfois enlacées pour se tenir chaud et se ramener un peu de réconfort. Il prit la décision d'annoncer leur direction que le lendemain. Il donna cependant l'ordre à Paolo de faire cap vers Azha. Si celui-ci sembla surpris, il ne le montra pas. A la place, il fit un léger signe de la tête.

A leur tour, Jared et Basil s'assirent, le dos contre la coque du bateau. Ils ne parlèrent pas. On n'entendait que le bruit des vagues qui claquaient contre la coque, mêlé aux pleurs. Épaules contre épaules, les deux compagnons se voyaient de nouveau malmenés par le sort. 

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