Chapitre 1 : Rose

La foule avait déjà envahi Azha lorsque Rose pénétra sur la place principale de la ville. Comme d'habitude lors des jours de marché, elle fut obligée de se frayer un chemin en battant des coudes pour accéder aux stands qui l'intéressait. Et comme d'habitude, elle avait l'impression qu'à chaque fois, il y avait encore plus de monde que la fois précédente. Le pire, c'était les jours d'été, lorsque la température devenait étouffante à cause de la chaleur et que se frayer un chemin devenait un réel effort. Aujourd'hui était un jour d'automne, où un léger vent faisait onduler ses cheveux et où, selon elle, un châle était nécessaire pour ne pas prendre froid.

Après des dizaines de coups de coude dans les côtes, Rose approcha du stand de sa marchande préférée depuis qu'elle était toute petite, celui d'Ingrid. La vieille femme, qui lui avait fait signe quelques secondes auparavant, lui envoya un bisou de loin lorsque Rose se trouva face à elle. Comme à son habitude, elle avait tressé ses cheveux et portait une épingle en forme de rose près de son oreille droite.

— Bonjour ma jolie, lui dit Ingrid. J'ai préparé la commande pour ta mère et j'ai ajouté un pot de confiture de fraises pour les petits. C'est mon dernier j'en ai bien peur, ajouta-t-elle tristement.

— Merci Ingrid. Ils vont être ravis, répondit Rose.

Depuis des années, Ingrid glissait un pot de confiture pour les frères et sœurs de Rose, ce qui les rendait fous de joie à chaque fois. Ils engloutissaient le pot tellement vite qu'Ingrid leur en préparait un toutes les semaines pour qu'ils n'en manquent jamais, au grand désarroi de leur mère qui leur répétait continuellement qu'ils pourraient faire un effort pour ne pas vider les pots en deux heures.

— Comment vont-ils ? demanda Ingrid.

— Fidèles à eux-mêmes, répondit Rose en soupirant. Azilis aura vingt-ans dans quelques jours. Oh, et Dylis a perdu sa première dent ce matin en croquant dans sa tartine. Elle a pleuré car elle pensait qu'elle aurait un trou jusqu'à la fin de ses jours.

   Rose pouffa de rire en se remémorant la scène. Sa sœur Dylis, en pleur et complètement paniquée, tenant sa dent légèrement ensanglantée devant elle.

— Cette petite grandit tellement vite, répondit Ingrid. Comme toi quand tu étais plus jeune, ajouta-t-elle. Je me souviens quand tu étais qu'une petite fille, accrochée à la main de ton père. Tu ne pouvais pas le lâcher.

Le sourire de Rose s'évanoui en y repensant. Elle avait été trouvée par ses parents adoptifs errant dans les rues d'Azha, quand elle n'était qu'une petite fille. Elle n'avait aucun souvenir de cette époque. Tout ce dont elle se souvenait, c'étaient ce que ses parents adoptifs lui avait raconté. C'est-à-dire pas grand-chose.

Ils ont cherché à savoir qui elle était, d'où elle venait et pourquoi elle s'était retrouvée seule dans les rues de la ville, complètement abandonnée. Mais ils n'ont jamais trouvé de réponses et lorsque Rose fut assez grande pour comprendre sa situation, elle avait déjà décidé que ses parents étaient Konan et Rozenn, eux qui avaient appris à l'aimer comme la leur.

     Ingrid, qui savait qu'elle était orpheline, lui sourit gentiment.

— Tes parents adoptifs sont de belles personnes. Tu es une belle personne. Ils ont pris soin de toi et c'est ce qui compte.

   Ingrid déposa sa main sur celle de Rose, qui inconsciemment, s'était mise à se les frotter. Rose acquiesça de la tête et se ressaisit.

— Il faut que j'y aille. Merci pour tout Ingrid et à la semaine prochaine.

Rose récupéra son panier et salua la vieille dame. Il lui fallut une petite heure pour faire ses emplettes. Elle salua Gorond, le menuisier, mais aussi Pulmin, l'horloger qui répara la montre de sa mère en un rien de temps, et enfin elle passa presqu'une demi-heure au stand d'Elios, le libraire, qui lui recommanda tellement de livres qu'elle ne savait plus où donner de la tête.

Et maintenant qu'elle avait les mains pleines, il fut encore plus difficile de naviguer entre les stands et le monde. Elle se fit bousculer pour la dixième fois et faillit tomber par terre. Elle jeta un coup d'œil autour d'elle afin de trouver une échappatoire, un autre chemin moins bondé et décida d'emprunter le chemin le long du port, plus long pour rentrer chez elle, mais moins peuplé.

Elle put enfin souffler quand elle s'y trouva. Plus de bateaux que d'habitude se trouvaient au port. Tandis que certains d'entre eux appartenaient aux habitants de Azha et étaient amarrés à leur emplacement habituel, d'autres bateaux avaient fait leur apparition ce matin car ils appartenaient aux commerçants spécialement venus pour le marché.

L'air de la mer l'apaisa soudainement et elle put enfin se détendre. Rose observa les petits bateaux qui bougeaient légèrement à cause du vent, ainsi que les plus gros, certains très imposants.

Alors qu'elle avait presque atteint la fin du port, un remue-ménage attira son attention. Un bateau majestueux venait de s'amarrer et son équipage était en train de débarquer les marchandises à son bord jusqu'à la terre ferme. Des tonneaux et des caisses étaient trimballés de mains en mains et déposés sur le trottoir. Rose s'arrêta pour observer le spectacle.

L'équipage travaillait à la chaine, presqu'à l'unisson dans leurs mouvements. Et ils chantaient, comme pour se donner une cadence, un rythme. Rose n'était pas familière avec cette chanson et écouta avec attention. La chanson racontait l'histoire d'un matelot parti en mer lors d'une tempête pour rejoindre son frère à l'autre bout du monde. Elle racontait ses péripéties : le vent qui avait voulu son naufrage sur de nombreuses côtes, des créatures marines qui avaient voulu l'attirer aux fonds des mers et l'eau qui avait été son seul allié et qui l'avait porté jusqu'à sa destination ; jusqu'à son frère bien aimé.

Alors qu'elle écoutait, ensorcelée par les chants et l'histoire, Rose ne se rendit pas compte qu'à côté d'elle se trouvait un homme. Elle sursauta quand il se rapprocha et se mit en face d'elle. Il rit de sa bêtise.

— Le spectacle vous plaît ? lui demanda-t-il.

Elle fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il lui voulait ? Elle ne le connaissait pas et ne voulait pas engager la conversation avec cet inconnu. Elle le contourna pour continuer son chemin. Il la laissa passer mais continua de marcher à côté d'elle, cette fois-ci avec de la distance entre eux.

   — Pardonnez-moi si je vous ai effrayé, ce n'était pas mon attention. Mais j'ai remarqué que vous nous observiez depuis quelques minutes.

Rose s'arrêta et il en fit de même. Elle s'était vraiment arrêtée pendant plusieurs minutes ?

— Qu'est-ce que vous pensez de mon équipage ?

— Vous voulez dire que vous en faites partie ? demanda Rose.

— Je fais, en effet, partie de cet équipage. Et j'en suis le capitaine, ajouta-t-il tout fier de lui.

   Rose haussa les sourcils. Lui ? Capitaine ? Elle l'observa plus attentivement. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé qu'elle et était relativement petit. Comme elle à vrai dire. Son costume était un peu plus élaboré que ceux des matelots, mais rien de trop extravagant. En revanche, il portait une arme. Une sorte d'épée. Mais rien d'impressionnant. Rien qui ne laissait transparaitre un soupçon de capitainerie. Au premier abord, il n'avait pas la carrure d'un capitaine de bateau expérimenté.

— Cela vous étonne-t-il ? demanda le capitaine avec un léger sourire aux lèvres.

— Non...non, bien sûr que non, bafouilla Rose.

Elle ne voulait pas le vexer.

   Il rit de son malaise. Il n'avait pas l'air un poil vexé. A la place, il semblait plutôt sûr de lui.

— Vous n'êtes pas la première personne que cela étonne. Mais attention, à trop juger les gens par leur apparence, on peut vite les sous-estimer.

   Voilà qu'il faisait de la philosophie maintenant. Quel personnage.

— Pourquoi observiez-vous les membres de mon équipage ? demanda-t-il soudainement, curieux.

— Je n'observais pas. Enfin, pas vraiment. A vrai dire, j'écoutais.

   Le capitaine acquiesça. Toujours avec son sourire aux lèvres. Mais cette fois-ci, le regard perdu.

— Une chanson qui marque les esprits, souffla-t-il.

   Il était complètement ailleurs. Comme elle, il y a quelques instants. Comme enchanté. Il se ressaisit et il tendit le bras en direction de son bateau.

— Si vous souhaitez, je peux vous faire visiter.

   Rose secoua la tête.

— Non, ça ira merci. J'ai le mal de mer de toute façon.

— Quel dommage, murmura-t-il. A bientôt alors.

   Rose lui dit au revoir et continua son chemin avec une chanson lui trottant dans la tête, racontant l'histoire d'un marin à la recherche de son frère.

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