Un sac, rouge, un peu défoncé.
Il a fait son temps, mais peu importe, moi aussi, j'ai fait mon temps ici.

Je déambule dans l'appartement, comme un fou, je passe et repasse par les même couloirs, je fais irruption dans toutes les salles, je monte les escaliers et les redescend.

Mes mains hantent les meubles, elles prennent un peu tout ce qui leur tombe dessous et qui me paraît utile.
Un jean, des pulls et une montagne de caleçon.
Je vole une couverture et un ouvre-boîte, ainsi qu'un couteau suisse rouillé et les billets que j'ai économisés et glissés pendant des mois entre les pages d'un vieux livre.
Mon sac est bondé, de biscuit et de boîtes de conserves, rempli de vêtements chauds.

Je n'oublie pas de déposer l'enveloppe froissée sur la table de la cuisine.
Lorsque je m'apprête à sortir, je me surprends à tendre la main vers le trousseau de clef qui gît sur la commode du hall d'entrée.

J'en souris. C'est absurde.
Une vieille habitude.

"Mon vieux, t'aura plus besoin de ça"

La porte me paraît alors remplie d'enjeux.
Lorsque ma main enclenche la poignée, je sens le frisson de l'appréhension qui me parcourt l'échine.
Je sais que ce que je m'apprête à faire est important, peut-être bien stupide et inutile.

Mais j'ai envie de m'envoler.
Mes ailes me démangent, elles me supplient, elles n'en peuvent plus.
L'impression d'être enfermé en permanence, ces ailes imaginaires qui n'attendent que de se deployer, étouffées jusqu'alors.

Alors je pose un pied dehors, j'invite tout mon corps à s'avancer et je sens tout mon cœur s'emballer.
Et, presque par instinct, je commence à marcher.

Je jette un dernier regard à la grande maison blanche et tout d'un coup plus rien n'a d'importance, et par ce simple constat, tout a subitement une importance.
Depuis le rouge-gorge qui gazouille, pendu sur les branches sèches du saule du jardin, jusqu'au vent léger, parfumé de lavande qui amuse mes cheveux.
Tout est important car rien ne l'est.

Alors je soupire dans mon chemin nouveau, et je sens comme deux gigantesques extensions de moi-même se déplier.

Enfin prêt à m'envoler.