×cinq×

Je sursaute.

Le bas de mon corps est encore noyé sous l'ombre mais déjà, mon visage est recouvert par les rayons ambrés du soleil.
J'ouvre mes yeux, les frotte.
Je vérifie que tout ceci est bien réel.

Je me lève, non sans peine, et m'avance encore plus pour être totalement envahi de lumière.

Oui. Pas de doutes.
Cette fois-ci je suis vraiment là.
Ce n'est pas un de ces nombreux rêves illusoires desquels je me réveille frustré et grincheux.
Je me trouve véritablement ici, sur le quai de la gare, de bon matin.
Je respire l'air, comme s'il était pur, je souris comme si j'étais heureux, j'embrasse la vue qui me fait face comme si j'en étais follement amoureux.

Quelques silhouettes çà et là se tiennent sur les banc, plongés dans leur écran de portable ou dans les pages d'un livre.
Ils attendent tous quelqu'un.

Pas moi.

Je décide de faire un petit tour, empoigne mon sac usé, recouvert de patchs colorés et  m'engouffre dans les couloirs de la gare.

En regardant ma montre je me rends compte qu'il est déjà huit heures. Je suis resté ici trop longtemps, une heure de plus dans cette ville sera une heure de trop.
Alors je prends la direction du guichet des ventes et me poste derrière la mince queue qui attend. In famille passe par le guichet, puis un homme un peu courbé.

Lorsque mon tour vient, je me rends compte que je ne sais pas réellement ce que je souhaite.

"Un billet de train s'il-vous-plait"

La dame me toise par dessus ses verres de lunettes
Elle attends un peu, je sens qu'elle veut que j'ajoute quelque chose mais je n'ai rien à dire.

"Pour quelle destination ?'" finit-elle par souffler

Je réfléchis, un instant.

"Comme le monsieur qui était juste avant" declaré-je en haussant les épaules.

Elle lève les yeux au plafond.

"En forfait mineur, s'il vous plaît"
"Allez-retour?" me lance-t-elle comme une simple modalité, d'un demi-ton immédiat.
"Allez simple"

Elle hausse les épaules.
Je lui tends les billets, je ne sais pas combien ça coûte mais ça devrait suffire.
Dans une lenteur contrôlée, la dame imprime un ticket, qu'elle me tend avec un léger agaçement puis me rend la monnaie en petites pièces.

Lorsque le train pointe enfin le bout de son nez métallique, je sens mon cœur tambouriner.
Un battement de peur.

Les portes s'ouvrent, encore une fois remplies de sens, un déclencheur. Une nouvelle porte définitive que je dois affronter, tout en sachant que je fuis.

Un peu plus loin dans le wagon, j'aperçois l'homme de tout à l'heure, celui qui se tenait devant moi au guichet. Il circule dans le couloir du wagon, cherchant probablement la place idéale ou poser son corps lourd.

Il ne sait même pas qu'il a eu une influence dans ma vie, à l'instant, qu'il a été une variable dans le déroulement de mon périple. Il n'a pas conscience qu'il vient tout juste de tracer le premier trait de l'immense croquis de mon voyage.
Sans le savoir, -ni même le vouloir, j'en suis sûr- il a changé mon chemin.

Je m'approche, par curiosité, comme une irrépressible envie de voir cet individu de plus près. Une sorte d'attraction curieuse.
Il doit approcher la soixantaine, a un large crâne presque nu, une sorte de barbe qui assaisonne sa mâchoire de notes poivre et sel et une corpulence plutôt imposante, quoique pas grasse. Enfoui dans son immense veste marron, il tient devant sa tête sympathique un maigre livre.

Je prends place sur le siège qui lui fait face.
L'homme me jette un regard courtois, de ces regards de gars profondément gentil, le grand-père qui achète des glaces à ses petits enfants et raconte le temps passé avec un sourire franc.
Je ne le connais pas, mais je sens que c'est un homme bon.

Une chaleur agréable m'envahit, chatouillant mes entrailles. On dirait presque que mes yeux s'ouvrent un peu plus, ou qu'ils voient mieux, comme des verres de lunettes colorés d'une nouvelle teinte.

J'ai l'impression d'être le témoin d'une beauté qui touche à tout, qui est partout, qui s'étale dans les moindres recoins et illumine chaque chose, même la plus banale.

C'est sûrement con et naïf, de se mettre à s'emerveiller pour rien, mais, n'est-ce pas justement ça, le vrai bonheur, dans sa forme la plus pure ?

N'est-ce pas justement ce que je traque depuis si longtemps ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top