Chapitre 35 - Till - Harponné

Et voilà l'avant dernier chapitre de cette histoire ! 

Vendredi en marquera la fin. Comme d'habitude, n'hésitez pas à me laisser votre avis, il compte beaucoup pour moi :)

Bonne lecture !

------------------------


Till n'a pas lâché la crosse de son fusil. L'homme en noir a commandé une bière puis a passé une heure à la siroter en attendant l'arrivée de son patron, qui est arrivé tranquillement bien plus tard.

Paul, entre temps, s'est levé pour aller aux toilettes, où il a passé plus d'un quart d'heure à faire il ne savait trop quoi. C'est quand il est revenu qu'il a réussi à lui annoncer qu'il avait appelé Schneider, qui lui-même avait appelé les équipes d'intervention armées, autrement dit ce qu'il aurait dû faire depuis le début.

Ils ont attendu longtemps, comme ça, à se regarder dans le blanc des yeux, tous les trois, sans rien dire. Quand Vladimir Andropov est arrivé, les doigts du barman se sont resserrés. Il sait que c'est la fin. Till pense à sa fille, à Otto, à tout ce qu'il aime. Il ne prendra part au combat que si on ne lui laisse pas le choix, mais quand il voit la dizaine d'homme armés entrer dans le bar à la suite du Requin, il ne peut s'empêcher d'avoir peur pour sa vie.

Till, quand il voit le Requin, avec son sourire déformé, arrogant, se dit que tant pis. Tant pis pour son bar, tant pis pour son amour de servir des verres au gens, tant pis pour la psychologie de comptoir. Romy va débarquer, les forces armées vont débarquer, Schneider va débarquer, le bar va partir en fumée. Mais tant pis. Si c'est pour lui retirer son sourire à la con, pour le mettre six pieds sous terre et vivre paisiblement après ça, Till est même prêt à brandir son arme et à presser la détente. Tout ça va finir en fusillade. Il le sent.

En attendant, les trois hommes se regardent en chien de faïence. Till cherche à savoir si l'homme en noir est armé d'un pistolet ou s'il est plutôt du genre à se trimballer avec un set de couteaux en tout genre. Il lance un regard au pompier, qui se penche un peu en arrière pour voir ce qui est accroché à la ceinture de l'homme. Quand il grimace, le barman a la confirmation. Il va y avoir une fusillade digne des films de box-office américains. Paul hésite à partir, il le voit, mais les deux hommes qui gardent la porte le dissuadent de faire un pas dans cette direction.

- Vous pourriez laisser partir Paul, grogne Till. Il n'a rien à foutre là.

Le Requin sourit. Till, dans le ton de sa voix, dans la façon dont il s'est coupé en pleine phrase, a failli lâcher une information cruciale. La vraie raison pour laquelle Paul n'a rien à faire ici, c'est qu'il est la seule personne à ne pas être armée. Si quelqu'un ouvre le feu, il sera la seule victime collatérale.

- Il n'ira nulle part, répond calmement le Requin.

- Il n'a rien à avoir avec ça.

- Bien sûr que si. Rien de tout ça ne serait arrivé s'il n'avait pas sauvé Peter Rosenstein.

Paul lève les yeux au ciel.

- Et c'est reparti, raille-t-il. Ça fait deux mois au moins qu'il est six pieds sous terre et vous êtes encore là-dessus. Quel rancunier vous faites.

À côté de lui, l'homme en noir frémit et porte une main à sa ceinture. Paul pâlit, Till serre les dents, et ses doigts sur la crosse de son arme. Le Requin fait signe à son homme de se relaxer. Le vieil homme s'apprête à répondre quelque chose, mais l'attention de tout le monde est soudainement détournée par Romy qui entre en trombe, un air démoniaque sur le visage. Aussitôt, Till voit les hommes en noir qui accompagnent le Requin sortir leurs armes. Il y a des revolvers, des couteaux, de la colère. Romy ne sourcille pas. Le barman est incapable de dire si elle a peur, au fond d'elle, ou pas.

- J'vais te faire la peau, lâche-t-elle. Salopard de merde.

Le Requin croise ses mains, sourit. Till grimace en voyant ses cicatrices se déformer.

- Je sais, c'est si triste pour Herr Riedel. Il n'avait pas mérité ça. Vous en revanche... vous méritez de souffrir.

Romy ne répond pas. Avec la rapidité d'un éclair, elle glisse sa main à sa ceinture, en sort son Beretta et le pointe entre les deux yeux de l'homme au chapeau. Celui-ci ne tressaille même pas. Il continue de la narguer, et elle de le fusiller du regard. Ce n'est pas le cas des hommes autour qui, eux, réagissent. Les six hommes qui sont venus avec une arme à feux la pointent sur le visage de la blonde. Till réagit aussi : son fusil sort de dessous le comptoir et le pointe également sur le Requin. Deux des hommes changent de cible, et, pendant une seconde, le barman a l'impression de ne plus très bien maîtriser ses intestins.

Du coin de l'oeil, il aperçoit Paul, qui s'eclipse discrètement vers les toilettes, et surtout, vers la porte de derrière par laquelle Till sort ses poubelles après la fermeture. Il est soulagé de savoir que le seul innocent ici ne sera pas tué accidentellement, et qu'il sera plus utile à l'extérieur que coincé sur la future scène macabre.

- Je ne mérite rien, crache Romy. J'ai eu des problèmes, moi aussi, et jamais je n'ai cherché à me venger. Vous êtes juste devenu complètement cinglé, et ce n'est pas un motif valable pour faire abattre un innocent.

- C'est vrai, et c'est pour cela que je suis ici, Fraulein Grégorovitch. Pour réparer mon erreur et vous tuer à sa place.

Till voit les doigts de Romy trembler sur la crosse de son arme. L'un des deux hommes qui le tient en joue semble avoir un moment d'inattention, et Till en profite, inconsciemment, pour décharger une cartouche dans le crâne de l'autre homme, faisant exploser sa tête et répandant sa cervelle sur les autres qui se trouvent derrière. Il a tout juste le temps de se baisser et de se préparer à tirer sa deuxième cartouche sur l'homme qui va contourner le bar pour tenter de le tuer, que celui-ci ouvre le feu.

De l'autre côté du comptoir, ce n'est que pétarades et cris en tout genre. Il espère que Romy n'est pas déjà morte, parce qu'ils sont à huit contre elle, dont quatre avec armes à feu. Till tremble. L'idée l'effleure qu'il a tué un homme, mais l'adrénaline l'empêche de bien se rendre compte de ce qu'il a fait. Il n'a pas le temps d'avoir peur, seule sa survie compte maintenant.

- Qu'est-ce que j'ai fait encore, putain, grommelle-t-il.

L'homme passe le petit portillon qui lui permet d'aller de l'autre côté du bar. Till est prêt. Quand il aperçoit la silhouette massive se dresser devant lui, le barman ne prend pas le temps de se relever. Pour quoi faire, de toute façon ? Il lève le canon vers la poitrine de l'homme, s'ajuste pour que le recul de l'arme ne lui explose pas l'épaule, et tire sa deuxième cartouche. L'homme en noir s'effondre dans un fracas de verre cassé, et Till reste immobile, la crosse de l'arme toujours appuyée sur son épaule. Il n'a pas le temps de réaliser. Machinalement, il tâtonne pour récupérer les autres balles, qu'il trouve dans une boîte près du frigo à bière.

Quand il entend un cri de douleur venant d'une voix féminine, Till a envie de se chier dessus. Son seul allié dans cette bataille très spéciale est en train de se faire massacrer, du moins, à entendre cette voix, c'est ce qu'il croit. Le barman se redresse, brandit son fusil, et prend deux secondes pour analyser la situation. Romy est en très mauvaise posture, et si personne n'intervient rapidement, elle va mourir. Il y a tellement de sang près d'elle qu'il a du mal à savoir si c'est le sien, ou ceux des deux hommes en noir qui sont morts.

Puis quelque chose fait tilt dans la tête du barman. Où est le Requin ? Till le cherche du regard. Il n'est plus dans la pièce. Il contourne le bar, cours en direction des toilettes, là où se cache certainement Paul, en attente de Christoph et de l'équipe du GSG-9 (1). Il le trouve recroquevillé dans les toilettes, dans une cabine du fond.

- Il arrive, murmure Paul. Il a dit qu'il arrivait... il ne va plus tarder...

Till a envie de s'arrêter pour le soutenir, pour lui dire que tout ira bien. Mais tous deux entendent Romy hurler, appeler et insulter le Requin en russe, parce que ce connard essaye de se faire la malle. Il n'est pas dans les toilettes, alors où est-il ?

C'est un fracas dans la cour arrière qui lui donne la réponse. Il est là. Il sait que Romy est assez forte pour survivre face à ces dix hommes, même si c'est un pari risqué. Maintenant qu'ils ne sont plus que huit (voire moins, le barman ne s'est pas attardé à compter les cadavres), cela devrait être plus facile. Till pousse la porte de secours qui rebondit avec fracas contre le mur de pierre. Il trouve le Requin en train de courir comme il le peut avec ses vieux os vers la ruelle. Il le rattrape sans mal et le tire à l'intérieur, avant que le ressort ne referme la porte sur eux.

Quand il revient dans la salle avec le vieil homme, il voit la porte de son commerce s'ouvrir dans un fracas et laisser la place à Christoph, en premier, arme en main, suivi des hommes du GSG-9, effarés qu'il n'ait pas voulu passer derrière. Le policier se jette sur le Requin, la rage déformant son visage, et à partir de là, Till ne sait pas s'il se souvient très bien. Tout arrive trop vite.

Il remarque à peine le sang sur son visage. Le son se fait de plus en plus distant, Till voit trouble. Il entend un homme en uniforme l'emmener à l'extérieur de son bar. Till regarde autour de lui, voit Romy allongée par terre, il voit les hommes en noir, il voit le Requin, son chapeau un peu plus loin. Il voit Christoph.

Les hommes lui parlent, Till répond mécaniquement qu'il doit retourner à l'intérieur, qu'ils ont besoin d'aide. Le goût de la bile s'empare de sa gorge, et les hommes en uniforme tentent de l'immobiliser alors qu'il s'agite, se lève, veut retourner à l'intérieur, coûte que coûte. Ses paroles se transforment en cris bestiaux. Il entend vaguement quelqu'un lui dire qu'il est en état de choc, et tout ce qu'il réussit à faire, c'est rire. Tout est allé trop vite, son cerveau n'est plus en état de tout encaisser. Mais il faut que ça sorte. Il faut que son corps réagisse.

Alors Till regarde la porte de son bar, il regarde les vitres tachées de sang sans cligner des yeux, et il pleure. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top