Chapitre 34 - Romy - La rage au ventre
Voilà, l'histoire se termine tout doucement...
Les deux derniers chapitres arriveront mardi et vendredi prochain, puis ce sera terminé.
Bonne lecture !
---------------------
Romy est rentrée chez elle avec Paul. Il l'a regardé tourner en rond, essuyer le sang, ranger la chambre d'Oliver, ranger tout le salon, boire quatre ou cinq tasses de thé d'affilé. Jusque-là, le pompier ne s'est pas plus inquiété que ça. Elle est stressée, à bout de nerfs. Ce petit jeu du chat et de la souris a assez duré, Paul est bien d'accord avec ça, mais en la voyant sortir la pierre à aiguiser et regarder son couteau de militaire avec un œil pétillant de rage, il ne peut s'empêcher de penser que tout ça est trop dangereux.
- Tu vas y aller toute seule ? ne peut-il s'empêcher de demander.
- Tu vas venir avec moi.
- Je ne sais pas me battre, Romy. Je ne suis pas comme toi.
- Je n'ai jamais dit que tu allais devoir te battre.
Le ton est sans appel. Paul se tait. Il s'assoit dans le canapé, et attend que la crise soit passée. Romy aiguise sa lame, l'observe d'un œil professionnel, puis la range dans son petit fourreau. Le pompier est toujours assis dans le canapé, et il la regarde à présent farfouiller dans son grand tiroir à casseroles. Elle les sort par paquets, et Paul ne comprend pas du tout ce qui se passe, jusqu'à ce qu'elle ne retire le double fond du tiroir, et en sorte un Beretta ainsi que les trois chargeurs pleins qui l'accompagnent. Il a un mouvement de recul, et laisse échapper un cri de stupeur.
- Depuis quand as-tu ça chez toi ?! s'exclame-t-il.
- Depuis toujours, répond-elle simplement. Je ne m'en suis jamais servie. Uniquement en cas d'extrême urgence. Et il n'est pas question que Vladimir Andropov sorte du Fisherman vivant, cette fois-ci.
- Romy, c'est de la folie...
- Pas plus que tout son plan foireux de coup d'état. Il a réduit à néant la police, il les a corrompus un par un, si tu vas à l'hôpital pour quelque chose de grave, tu n'es même pas sûr d'en sortir vivant. Plus personne ne fait son boulot correctement de peur de représailles, et c'est la population qui trinque. Ceux qui n'ont pas sombré dans la drogue ou le crime se calfeutrent chez eux comme si on était en guerre. Et maintenant, c'est à Oliver qu'il s'en est pris.
Au fur et à mesure qu'elle parle, elle a envie de hurler, de briser des choses. Oliver était la dernière personne à qui il aurait dû s'en prendre. Romy ferme les yeux. Il faut qu'elle reste calme. Paul n'a pas à faire les frais de sa colère. Surtout pas depuis qu'elle lui a avoué aimer Oliver. Ce serait remuer le couteau dans la plaie, parce que jamais elle ne réagirait comme ça pour lui. Non pas qu'elle ne l'apprécie pas, mais la relation qu'elle entretient avec l'interne est d'un autre ordre.
- Je suis désolée, souffle-t-elle. Je n'ai pas dormi, et je ne trouverai certainement pas le sommeil avant d'en avoir terminé avec cette histoire.
Elle regarde Paul, il semble comprendre. Ses traits sont tirés aussi. Il est quatre heures du matin, et aucun des deux n'a dormi depuis la veille. Romy a encore la rage de se battre, mais pas lui.
- On devrait dormir, affirme-t-elle. Till ouvre à onze heures, on ira quand il ouvrira. Prend mon lit en attendant, moi je dors dans celui d'Oliver.
Et c'est une très mauvaise idée, Romy le sait. Elle ne fermera pas l'œil dans la chambre de son colocataire, mais elle y va quand même. Paul lui souhaite une bonne nuit, qu'elle retourne d'un signe de la main, et s'enferme dans la chambre. Derrière le panneau de bois, elle entend le pompier se lever et gagner sa chambre. Elle reste debout, et observe.
Son corps tremble. Le lit est défait, l'oreiller est enfoncé à l'endroit où Oliver avait posé sa tête. L'interne a toujours bien aimé les coussins peu rembourrés, alors que Romy préfère ceux plus touffus, qui lui tordent presque le cou tellement ils sont remplis. La moquette sent encore le vinaigre blanc. Elle parie même que si elle pose le pied à l'endroit où c'était tâché, elle sentira encore l'humidité. Tout est laissé comme si Oliver s'était juste relevé pour aller aux toilettes, mais il n'est pas là, et Romy se sent seule, délaissée, en proie à la peur.
Toujours habillée, elle s'allonge sur le matelas froid, relève la couette par-dessus sa tête, hume l'oreiller, et pleure de tout son saoul jusqu'à ce que le sommeil finisse par gagner, et l'emporte dans des rêves agités.
Il est huit heures quand elle ouvre à nouveau les yeux, ayant la sensation de ne pas avoir dormi du tout. Romy se lève difficilement du lit, et sort de la chambre. Elle trouve Paul, assis à la table ronde, un café entre les mains. Il la regarde d'un œil absent. Visiblement, la blonde n'est pas la seule à avoir eu des problèmes de sommeil.
Aucun des deux ne parle. Paul part se doucher en premier, suivi de Romy. Quand les deux sont prêts, il n'est même pas dix heures. La blonde entreprend alors de démonter son arme, de la nettoyer, de la graisser, et de la remonter, le tout sous l'œil attentif mais désapprobateur du pompier. Romy ne prête pas attention à son visage. Un sermon est la dernière chose dont elle a besoin.
Ils arrivent au bar dix minutes après l'ouverture. Paul entre en premier, suivi de Romy. La blonde adresse un petit sourire figé à Till, qui le lui rend. Au bar est déjà assis un homme en noir, qui doit avoir la même carrure que le patron du bar. Quand il tourne la tête vers eux, Romy glisse discrètement une main vers la crosse de son Beretta. Lui se fige, glisse sa main sur le flingue posé sur le comptoir.
- Je ne te conseille pas de faire ça, lui dit-elle en russe.
L'homme ne répond rien, baisse sa garde.
- Je veux voir le Requin, lâche-t-elle.
- Il n'est pas là.
Romy serre les dents. Elle tourne la tête vers Till, qui regarde Paul, qui regarde l'homme en noir, qui regarde Romy. Celle-ci s'approche de Paul, et lui murmure à l'oreille.
- Till est armé. Il a un fusil de chasse planqué sous son comptoir, il a la main dessus. Je sais que c'est un service difficile à te demander, mais j'aimerais que tu restes ici le temps que le Requin arrive, et que tu m'appelles dès qu'il est là.
- Mais toi, où tu vas ? chuchote-t-il.
- A l'hôpital, voir si Oliver est réveillé. Je reviendrais vite, promis. Je te laisse la voiture, si tu veux.
Paul acquiesce. Elle voit dans ses yeux qu'il est loin d'être rassuré de rester seul avec Till et un russe, mais de savoir qu'elle n'est pas si loin (l'hôpital est à cinq minutes de course) et que Till a de quoi les défendre lui donne la force d'accepter de rester là pour elle.
- Préviens-le que je veux le voir, lance-t-elle en russe à l'adresse de l'homme en noir.
Celui-ci reste stoïque quelques secondes, semble la regarder avec un air moqueur, puis décroche son téléphone. Elle l'entend parler russe, comprend la conversation.
- Il demande pour quel motif tu désires le voir.
- Je veux accepter son marché. J'ai trop souffert de ce refus.
L'homme transmet sa réponse. Du coin de l'œil, Romy voit Paul la regarder, horrifié. Elle sait qu'il comprend un peu le russe, mais s'il la connait mieux qu'il connait cette langue, il devrait deviner qu'elle bluffe. Enfin, elle espère.
- Il viendra, annonce l'homme.
Romy a ses informations. Elle se fiche de savoir quand est-ce qu'il arrivera. Elle est prête. Elle veut juste savoir comment va Oliver. La rage bout encore en elle. La blonde jette un œil vers Paul, lui fait signe de rester ici, et fait volte-face pour quitter le Fisherman.
Romy court presque jusqu'à l'hôpital, rentre dans l'enceinte du bâtiment et cherche le service de soin intensifs. En fait, elle cherche surtout Flake. Il n'y a que lui qui a la réponse. Elle le trouve au détour d'un couloir, au téléphone avec un autre médecin de l'hôpital, et abrège la conversation quand il la voit arriver. Romy, qui avait réussi à rester calme jusque-là, se met à trembler. Ses gestes se font désordonnés, son regard fuyant.
- Romy, dit-il fermement en la prenant par les épaules pour la forcer à se focaliser sur lui. Il va bien. On a retiré la balle, il a reçu quatre poches de sang depuis hier, et trois de plasma. Il faudra lui en redonner encore, certainement, mais il est réveillé, et il a seulement besoin de repos.
La blonde souffle, et ferme les yeux. Elle ne peut retenir un sourire soulagé, qui ressemble plus à une grimace. Flake lui indique le numéro de chambre, et elle y va s'en plus attendre.
Quand elle passe la porte et croise le regard à moitié endormi d'Oliver. Elle s'assoit immédiatement sur le fauteuil et le rapproche au maximum du lit. Sans savoir quoi dire, elle laisse trainer son regard sur les perfusions plus ou moins vides, puis sur les deux bras perfusés du jeune homme. Les doigts d'Oliver se décrispent et se glissent dans les siens. Elle les serre dans sa main, les embrasse. Les images de son corps inerte lui reviennent en tête, et elle a du mal à croire qu'il soit aussi alerte, à présent.
- Merci, murmure-t-il.
- Merci de quoi ? rétorque-t-elle. Je n'aurais pas dû quitter l'appartement. J'aurais dû rester avec toi, il ne se serait rien passé.
- Mais tu es revenue...
- J'avais quelque chose à te dire.
Un silence se fait, la gorge de la blonde se serre. Elle a peur que les mots restent bloqués dans sa gorge, et en même temps, son cœur se tord de rester muette. Elle a besoin que ça sorte. Il y a trop d'amour en elle pour que ça reste enfermé dans sa poitrine.
- Je t'aime, Oliver, lâche-t-elle. Je t'aime, et je suis stupide d'avoir mis autant de temps à m'en rendre compte. A...à ne pas en avoir peur. Et j'étais revenue pour te dire ça.
Oliver reste silencieux. Elle pose la tête sur ses jambes, à travers la couverture, et fuit son regard, qu'elle sent peser sur elle. Les doigts du jeune médecin se glissent hors de la main de Romy, et remontent jusque dans ses cheveux, qu'ils caressent.
- Pardon, murmure-t-elle, la voix se brisant à nouveau.
Les doigts d'Ollie se resserrent dans ses cheveux, et tirent dessus pour la forcer à relever la tête. Elle le regarde, mais il ne s'arrête pas là. Il la force à se mettre debout, ou presque. Elle sent sa main la guider jusqu'à son visage, et il presse brutalement ses lèvres sur les siennes.
Ce baiser n'a rien de passionné, Romy le sent. Il ne trahit que du manque, du besoin, mais une infinie tendresse. La blonde se laisse aller. Ce n'est pas le premier baiser qu'elle partage avec le jeune homme, mais celui-ci a une toute autre saveur. Elle voudrait qu'il ne s'arrête jamais. Enfin, elle se sent complète, heureuse, femme.
Jusqu'à ce que son téléphone sonne dans la poche de sa veste. Romy se sépare d'Oliver, pince les lèvres. Il l'interroge du regard, elle évite de répondre ; il comprend. Le message qui s'affiche sur son écran est court :
"Il est là."
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top