Chapitre 33 - Paul - Sur le fil

Paul se remet doucement de cette conversation. Romy est partie, il peut repenser à tout ça, peut-être même se mettre en colère, sans que personne ne le voit. Par mimétisme, le pompier fait comme la jeune femme un peu plus tôt : il lève les yeux et contemple le plafond. Son cœur se serre. Même si ça n'a pas duré, même si ça n'était pas fait pour durer, Paul a mal. Romy va lui manquer. Ou l'amour, peut-être. Le sentiment d'avoir attiré quelqu'un, c'est ça qui va lui manquer. Pendant ces quelques semaines, Paul a eu l'impression d'être important pour quelqu'un, et d'avoir été l'objet d'une attraction.

Il s'assoit en tailleur sur le canapé, et repense à tout ce qu'ils se sont dit avant de se quitter. En fait, Paul n'a aucune raison d'être triste. Il est maître de sa vie, et s'il veut se comporter comme un jeune homme de vingt ans, alors il le fera. Il a le temps de trouver l'amour, penser le contraire est très défaitiste. Oui. Demain il ira trouver de nouveaux meubles, de la décoration, peut-être même de la peinture ou de la tapisserie tendance pour égayer un peu tout ça. Il ne laissera plus son ex gagner. Que dirait-elle si elle le voyait comme ça ? Rien, elle se contenterait de rire, se dit-il.

Sur l'accoudoir, son téléphone se met à vibrer et à sonner. Paul voit le nom de Romy s'afficher, et décroche, prêt à lui lancer une petite pique. Mais quand il entend ses sanglots, il peut ressentir sa panique jusqu'ici.

- A-Allô ?! Allô ?!

- Romy, je suis là, dit-il calmement.

- Paul... Pardon, j'ai appelé le dernier numéro sans réfléchir...

- Romy, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui te met dans cet état ?

Peut-être que ce n'était pas si grave que ça. Romy a été régulièrement sujette à ce genre de crise de larme, peut-être qu'elle a juste besoin de discuter un peu.

- Quelqu'un a tiré sur Oliver, il y a du sang partout, et je ne sais pas quoi faire...

D'accord, c'était si grave que ça. Paul bondit de son canapé, ramasse ses vêtements à la va-vite et commence à essayer de s'habiller avec une seule main.

- J'appelle la caserne tout de suite, on arrive avec un camion, annonce-t-il fermement, espérant lui montrer qu'il a les choses en main, et que tout ira bien.

Romy sanglote, Paul ne raccroche pas encore.

- Romy, écoute-moi bien. Tu vas garder tes deux mains appuyées sur l'endroit où ça saigne, et tu vas respirer profondément. Si tu as un tissu à disposition qui ne soit pas trop absorbant, sers-t-en pour faire pression, le saignement devrait se ralentir. Il a été touché où ?

- Dans le ventre...

- Bon, si ça n'a pas touché le foie, c'est gagné, avec une chirurgie d'urgence, il s'en sortira.

- D'accord...

La voix de Romy meurt, et Paul constate qu'elle a calmé ses sanglots.

- Romy, tu vas répéter après moi : tout ira bien.

Silence.

- Allez, dis-le.

Paul a réussi l'exploit de s'habiller. Il court vers ses chaussures, qu'il enfile sans chaussettes, tant pis.

- Tout ira bien...

- Voilà, exactement. Tout ira bien. Tu fais comme je t'ai dit, et nous on arrive.

- Il faudra que je vienne t'ouvrir...

- Tu feras vite.

Romy ne répond pas. Paul sait qu'elle a compris. Il la sent plus calme, plus maîtrisée. Elle est concentrée sur ce qu'elle doit faire.

Moins de cinq minutes plus tard, en ayant presque grillé chaque feu qui venait de passer au rouge, Paul arrive à la caserne. Son collègue Jörn est déjà en tenue, prêt, au volant du camion. Paul récupère la sienne, il l'enfilera sur la place passagère. Aucun des deux ne parle.

Quand ils arrivent chez Romy, elle se précipite pour leur ouvrir. Ils la retrouvent agenouillée dans la chambre d'Oliver, son corps tremblant à côté de celui inerte. L'interne est pâle, et vue la flaque de sang qui sèche autour de lui, il va lui falloir plusieurs poches de globules rouges et de plasma pour survivre. Mais c'est jouable.

Les pompiers se chargent de prendre ses paramètres et de le sécuriser sur la civière. Romy ne dit rien. Elle tente de maîtriser ses mains tremblantes. Elle sait que ce n'est pas le moment, mais Paul se doute qu'elle ne désire que fumer, à cet instant. Il n'y a plus que ça qui peut la calmer. Mais pas maintenant. Elle va devoir attendre un long moment avant de pouvoir griller une cigarette.

- Tu montes à l'arrière avec moi ? demande Paul.

Elle acquiesce. Bien sûr qu'il n'est pas question pour elle d'abandonner Oliver maintenant. Pas après tout ça. Jörn lui fait signe, ils peuvent embarquer la civière. Romy les suit, ne cherche pas à fermer la porte à clé avant de partir. Paul l'interroge du regard.

- Le tireur a forcé la serrure. Il a dû profiter de l'entrée de quelqu'un dans le bâtiment puis attendre quelque part dans les parties communes.

Le pompier ne relève pas. Ils descendent et montent dans le camion, qui part à toute allure dès que le brancard est bloqué pour ne pas valser à la première accélération. Paul en profite pour appeler l'hôpital et prévenir les urgentistes de leur arrivée imminente.

Paul a cessé de réfléchir. Se retrouver en présence de Romy alors qu'il ne pensait pas la revoir avant un bon moment lui a fait bizarre sur le coup, mais finalement, il n'y a pas de malaise. C'est ça, être un adulte, pense-t-il. La blonde a l'air heureuse de le voir. Rassurée.

- Tu pourras attendre devant la porte des urgences, lui murmure-t-il. Tu as besoin de relâcher la pression, et tu ne pourras pas faire grand-chose de plus qu'attendre.

Romy ne répond pas. Elle a compris, et elle est d'accord. La blonde appuie sa tête contre le mur de l'habitacle, et ferme les yeux. Paul surveille Oliver, dont la pilosité noire contraste mortellement avec son teint cadavérique.

- Romy, c'est quoi ton groupe sanguin ?

- B négatif, répond-elle sans ouvrir les yeux.

- Et celui d'Oliver, tu le connais ?

- Je crois qu'il est O négatif, il va souvent donner son sang. Mais je ne suis pas sûre.

- J'imagine que tu n'as pas pris son portefeuille avec, il y avait peut-être une carte de donneur dedans.

- Je n'y ai pas pensé, dans la précipitation.

Le ton de Romy a changé. Paul la regarde. Ses traits sont plus détendus, moins inquiets. La blonde n'est pas calme, mais son aura a quelque chose de plus déterminé. Il est certain qu'elle a toujours peur de perdre Oliver, ça ne fait même aucun doute, mais il y a une couche de je-ne-sais-quoi qui s'est ajouté à tout ça. Une sorte de colère. Un agacement.

- Ce n'était pas un reproche, chuchote-t-il.

- Je sais, rétorque Romy.

Le camion se stoppe, et Paul ouvre immédiatement les portes. Romy ouvre les yeux, regarde l'urgentiste qui aide Paul à décharger la civière, Oliver toujours allongé dessus. Elle descend qu'une fois qu'ils sont hors de vue. Paul lui jette un dernier regard : elle s'approche du cendrier et allume une cigarette, le regard de plus en plus mauvais.

Quand Paul arrive à dans le box, il est abasourdi. C'est Flake, en blouse blanche, les traits tirés mais déterminé, qui les accueille. Il a un regard de profonde tristesse quand il voit le corps d'Oliver, qu'il dénude immédiatement pour brancher à l'électrocardiogramme qui remplace celui portatif des pompiers. Paul ne sait pas quoi lui dire. Il se met dans un coin de la pièce et observe le Docteur Lorenz faire son travail, l'air calme et concentré. Il est imperturbable, et Paul se demande ce qui doit se passer dans sa tête, alors qu'il constate la bradycardie de son patient, d'un jeune homme qu'il apprécie.

- Romy était rentrée pour lui dire qu'elle l'aimait, chuchote Paul.

- Il était temps, répond Flake sans quitter le trou des yeux.

Un silence se fait, puis le docteur pose la question indiscrète.

- Et elle revenait d'où, en fait ?

- De chez moi.

Flake ne dit rien. Il esquisse un petit sourire, sans jugement.

- Comment va-t-elle ?

- Elle perd les pédales, mais ça ne se voit pas, explique Paul. Elle a peur du Requin, et là, ce soir, c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

- Ça peut se comprendre. J'ai connu ça aussi.

- Il va s'en sortir, Doc ? J'ai dit à Romy que oui, pour la rassurer, mais il a perdu beaucoup de sang...

- On est en attente d'un bloc opératoire qui est en train d'être restérilisé. Je vais déjà le nettoyer à la Bétadine une première fois, et puis on l'emmène.

- Est-ce que... est-ce que tu pourras aller la voir, Christian ? Romy, elle est dehors.

Il acquiesce sans rien dire. Il appelle l'infirmier qui passe dans le couloir, et lui transmet les informations essentielles. Aussitôt fait, l'infirmier débloque les roulettes du brancard et le dirige vers la sortie du bâtiment, en direction des blocs opératoires. Paul est toujours un peu jaloux d'Oliver. Pas de sa jeunesse, mais de son caractère, de sa façon d'être. Et même s'il regrette d'avoir perdu Romy à cause de lui, il espère du plus profond de son cœur qu'il s'en sortira.

Quand Paul sort du bâtiment pour rejoindre le camion de pompier, il trouve Romy, souriante, qui discute avec Flake. Elle a l'air tellement heureuse de le voir qu'il n'ose pas s'approcher d'eux. Pourtant, elle finit par détourner le regard, écrase sa cigarette dans le cendrier, et s'approche de Paul, le regard meurtrier.

- On va rentrer se reposer, toi et moi, en attendant que Till revienne au bar. Et quand il sera là, on ira attendre le Requin. Je ne laisserai pas passer une seule occasion de plus de lui briser les deux genoux, à ce fils de pute. 

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