Chapitre 23 - Romy - Du métal et des vis
Romy déglutit sans quitter le russe du regard. Il est debout devant elle, massif, et elle se demande s'il lui est déjà arrivé de croiser quelqu'un d'aussi fort dans sa vie. L'homme doit bien faire la taille d'Oliver, et le double de son poids, en muscle.
Elle ne sait pas pourquoi l'homme est là, c'est un concours de circonstances. Romy est arrivée deux minutes avant lui, et est la seule à ne pas avoir quitté le bar, tout simplement parce qu'il le lui en a empêché. C'est elle qu'il veut, cette fois-ci. Si elle a compris que le Requin n'est rien sans ses sbires, lui a compris que Paul, Richard, et les autres, ne sont rien sans elle. C'est ici que tout va se jouer, donc.
Romy ne ferme pas les yeux comme elle en a l'habitude lorsqu'elle prend ses longues inspirations. Mentalement, elle s'en veut. Elle a quitté l'appartement furibonde, et a oublié l'essentiel : son couteau à cran militaire. Celui de son père, quand il était à l'armée. Celui avec lequel elle ôte les vies qui me méritent pas d'être sur Terre. Celui qui lui sauve la mise à chaque fois. Il est sur un des meubles de la cuisine. Et elle est seule ici, en face d'une brute armée de poings américains de fortune, faits avec des morceaux de métaux récupéré et des vis.
Il va falloir qu'elle se débrouille pour tenir la distance. Son téléphone vibre dans sa poche, et si ce n'est pas quelqu'un de la maison de retraite, alors ça sera quelqu'un qui saura que quelque chose ne va pas. L'homme est lent, elle aura le temps de l'esquiver dix fois. Romy est endurante, tout ira bien.
La brute fait un pas dans sa direction, Romy fait un pas en arrière. Elle heurte une table, se retourne de moitié en espérant pouvoir saisir un couteau, une choppe, ou n'importe quoi qui pourrait l'aider à faire du mal à cet homme. La table est propre. La brute lève son poing en l'air, prêt à la frapper au visage. Quand il l'abat, Romy parvient à se baisser et à courir en direction du bar. Le poing fracasse la chaise qui était rangée là, et le russe se redresse, jurant. La blonde passe derrière le bar et cherche de quoi faire. N'importe quoi. Le couteau qui sert à couper des citrons pour les cocktails devrait faire l'affaire, mais pas moyen de mettre la main dessus. Elle ne sait pas où le barman l'a rangé. Elle prend donc une bouteille de wisky presque vide, inspecte l'étiquette, et pince les lèvres.
L'homme contourne le bar à son tour. Pour lui échapper, elle devra passer par-dessus avec l'agilité d'un félin. Et Romy n'est pas très féline. Forte oui, mais pas très souple. Elle est accroupie près du mini-frigo à bière, quand elle voit la mâchoire carrée de l'homme passer par-dessus le comptoir pour la toiser. Il a confirmation qu'elle est là. Romy jure. Elle aurait dû bouger quand elle en avait l'occasion. Ce qui la paralyse, elle le sent, ce n'est pas le manque de créativité ou de plan. Elle a assez d'expérience pour pouvoir improviser. L'évidence est juste devant ses yeux : Romy a la trouille. La dernière chose qu'elle souhaite, c'est mourir sans dire au revoir à Oliver. Vue leur altercation moins d'une heure plus tôt, il faut qu'elle reste en vie à tout prix. Il faut que la blonde répare ça. C'est de sa faute.
Ses petits poings se resserrent autour du goulot de la bouteille comme si celle-ci était une épée. Elle ne sait pas si elle aura la rapidité pour passer au-dessus du bar et éviter le coup de l'homme qui se vient de passer le petit portique pour passer de l'autre côté du barre. Romy se remet debout, solide sur ses deux jambes. Elle doit vivre.
La blonde essaye de monter sur le comptoir du bar, mais quand elle veut prendre appuie sur son bras, son épaule la lance d'un seul coup. La cicatrice est assez bien refermée pour que du sang n'en jaillisse pas, mais le muscle a été déchiré par la balle, et elle a du mal à s'en remettre. La douleur la fait vasciller, elle reste en face du russe. Tant pis pour la fuite, ça ne sera pas pour tout de suite. Elle brandit la bouteille de son bras blessé, et se masse l'épaule de l'autre main.
L'homme fait un pas de plus vers elle, et Romy tente de lui asséner un coup avec son arme de forture, qui se brise sur son pectoral dur. Le russe sourcille à peine, presque surpris qu'elle ait vraiment tenté de le frapper. Elle réitère son geste, essaye de lui enfoncer le goulot cassé et tranchant dans la chair. L'homme lui saisit le poignet, et Romy lâche un jappement de douleur. Son épaule la brûle, elle ne ressent plus que ça. Il la soulève. Instictivement, elle remue les jambes dans l'espoir que ça le fasse lâcher, sans succès. D'un geste sec, il l'envoie voler par-dessus le bar. Le corps de Romy s'écrase dans une des tables, qui s'éffondre sous le choc. Le coup au dos lui coupe le souffle, la faisant haleter et tousser. Il faut qu'elle l'arrête à tout prix.
Romy réfléchit à tout prix. Le russe fait demi-tour pour rejoindre la salle, s'approchant lentement de là où elle est allongée. Elle doit le frapper vite, et fort. Il ne la laissera pas tranquille tant qu'il ne sera pas mort. Il s'arrête à deux pas d'elle, et semble se désintéresser. Romy a mal, elle peine à se redresser pour observer ses mouvements. La blonde parvient néanmoins à deviner la forme d'une seringue en verre typique des années cinquante (qu'il ne sort d'on ne sait où, d'ailleurs), et un petit flacon de liquide transparent. Romy essaye de garder les idées clairs, mais la douleur pulsante à l'épaule l'empêche de se concentrer correctement. Dans le meilleur des cas, se dit-elle, c'est un anésthésiant, dans le pire, c'est une solution de chlorure de potassium assez concentrée pour la tuer en dix minutes, ou moins.
Tandis que le monstre qui lui sert d'ennemi s'approche d'elle avec une lenteur qui trahit son amour pour la mort, Romy laisse ses mains se balader autour d'elle, espérant tomber sur quelque chose qui pourrait lui servir. Il a peut-être le gabaris d'un grizzli, mais il n'est pas invincible. La blonde grimace. Elle ne saisit rien qui en vaille la peine, et l'homme comble encore plus la distance. Il saisit le col roulé de son pull, puis sa gorge entière, et la soulève. Romy a du mal à respirer. C'est le moment où jamais.
Ses doigts se refèrment sur le dossier d'une chaise qui traîne là, alors qu'elle sent une piqûre dans le côté de son épaule. Le liquide lui brûle la chair, la blonde laisse échapper un gémissement de douleur, et trouve ses dernières forces pour soulever la lourde chaise de bois, et l'abattre sur le grand russe. Surpris, il la laisse tomber au sol, Romy s'écrase brutalement. Sa vision ne tarde pas à se troubler, mais elle a encore la force de porter sa main à son bras pour en extraire la seringue, encore fichée dans son muscle.
L'homme ne tarde pas à se relever, vascillant d'abord, puis bien droit, se dirige à nouveau vers elle. Romy rampe vers la sortie, voulant à tout prix lui échapper, maintenant qu'elle a la certitude qu'elle n'aura jamais les moyens de venir à bout de lui. Quand elle arrive à une table près de la porte, elle remarque une choppe qui a été égarée et cassée ici. Les débrits ne sont pas assez grands ou épais pour qu'elle s'en serve, mais l'anse de la choppe peu servir de pieu. Elle le saisit à l'instant même où le russe l'attrape par le pied et l'attire vers lui pour lui assener un violent coup de poing qui, elle le sent, lui brise la mâchoire. Avec ses dernière forces, Romy lève son bras avec toute la force dont elle peut encore faire preuve, et le morceau pointu de l'anse en verre s'échoue dans la gorge de l'ours énorme, qui titube avant de fracasser une énième table sous son poids et de s'échouer là, inerte.
A partir de là, Romy ne sait pas si elle a réussi à l'arrêter. Elle espère secrètement que cet homme était le seul à avoir cette carrure, parce que si elle n'est plus là pour aider Christoph à sauver tout le monde, ils sont perdus.
La blonde papillonne des yeux. Elle entend au loin un vague bruit de sirène, très vite remplacé par une voix d'ogre, plus proche, qui l'appelle inlassablement. La jeune femme est incapable de répondre. Les quelques parties de son corps qu'elle arrive à sentir sont douloureux et la font pleurer. Elle voit de plus en plus flou. Un voile épais se forme devant ses yeux et lui donne la nausée.
Le nom d'Oliver s'échappe dans un balbutiement, et Romy se laisse envelopper dans un drap de noir opressant, l'emmenant dans les méandres infinis des ténèbres, inconsciente.
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