Chapitre 15 - Romy - Papa
Toutes les réponses sont là...
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Le réveil de Romy est difficile. Elle est allongée sur le dos, elle a mal à l'épaule, et son téléphone vibre sur sa table de nuit. Elle veut bouger pour aller prendre le cellulaire avant qu'il ne tombe, mais une main d'homme posée sur son ventre l'en empêche. Quand elle tourne la tête, elle voit Paul, avachi sur le côté, son visage plein de petites rides apaisé. Elle cligne des yeux. Pendant une seconde, elle a envie de le gifler. Elle se souvient encore de leur conversation de la veille. La pilule a encore du mal à passer, bien qu'ils aient mis les points sur les i. Et puis d'un autre côté, Paul est gentil. Il a pris soin d'elle, il l'a rassuré, et il a permis à Oliver d'aller se reposer, lui aussi.
Les vibrations du téléphone s'arrêtent, Romy soupire. Par chance, le pompier ne s'est pas réveillé. Elle repousse la main avec délicatesse, pour ne surtout pas bousculer Paul. Vu les cernes présentes sous ses yeux, il a encore besoin de sommeil. Elle récupère le téléphone, essaye de s'étirer sans se faire mal à l'épaule, et sort de la chambre. Elle voit Oliver émerger de la sienne une minute plus tard. Il fuit son regard. Romy a du mal à comprendre pourquoi c'est tendu, mais tant pis. Elle écoute le message que lui a laissé le numéro appelant.
Elle sait qu'Oliver la regarde, mais elle s'en fiche. Ce que lui dit la dame dans le message la surprend beaucoup. Elle tente de masquer sa stupeur, mais n'y arrive pas. Elle le sent, elle a le cœur qui bat la chamade. Quand elle quitte sa messagerie, elle rappelle immédiatement.
- Bonjour Madame, je suis mademoiselle Grégorovitch. Je suis désolée d'avoir manqué votre appel. J'ai eu un... un accident de voiture hier soir, et j'ai été blessée à l'épaule. Les antidouleurs ont eu raison de moi.
- Oh, ce n'est rien, répond la dame. J'espère que ça va quand même !
- Oui, plus de peur que de mal finalement, cela aurait pu être bien pire. En tout cas, j'ai bien eu votre message. Est-ce qu'il serait possible de passer le voir dans deux heures ?
- Sans problème, on lui annoncera assez tardivement afin qu'il s'en souvienne. Il est assez perturbé, en ce moment...
- Pensez-vous que cela s'aggrave ? demande Romy en se mordant la lèvre.
- Et bien... non, pas pour le moment. Disons que cela advient par périodes. À certains moments, il est très éveillé, plein de souvenir, il oublie moins vite, mais à d'autres, c'est un véritable trou noir, il ne retient rien, il est éteint et très peu alerte de ce qui se passe autour de lui. Néanmoins, on ne peut pas dire que c'est en train d'empirer.
Romy souffle. Elle n'aurait jamais cru pouvoir être inquiète à ce point.
- Bien, le temps de me préparer et de me faire conduire jusqu'ici, comptez deux bonnes heures. À tout à l'heure Madame.
Son interlocutrice lui dit au revoir, puis raccroche. Oliver la regarde de loin, et Romy se sent toute nue. Elle n'a pas envie de lui expliquer ce qui se passe, mais elle aura besoin de lui pour l'emmener. Enfin, elle espère qu'il pourra.
- Dis...
Oliver l'interroge du regard. Il semble moins en colère qu'hier.
- Tu travailles aujourd'hui ? demande-t-elle d'une toute petite voix.
Romy meurt d'envie de le prendre dans ses bras. Elle a besoin d'être rassurée. Son épaule lui fait mal, elle a le cœur qui bat la chamade, et elle a peur d'aller là-bas.
- On est dimanche, Romy. Je suis pas de garde.
- Est-ce que... est-ce que tu pourrais me conduire à la maison de retraite tout à l'heure ?
Oliver est surpris par la demande. Cela se voit sur son visage. Mais Romy a peur de lui expliquer. Pour l'instant, ce serait trop dangereux.
- Pourquoi ne demandes-tu pas à Paul ? rétorque-t-il d'un ton sec.
La gorge de la jeune femme se serre. C'est donc ça. Le calme n'est qu'une façade. En-dessous, la colère est là, sourde et grondante à la fois. Les larmes montent aux yeux de Romy. Elle ne sait pas si elle a plus mal à l'épaule ou au cœur. Sa gorge est sèche, elle n'arrive pas à répondre. Elle se sent trembler, et elle essaye le plus possible de ne pas craquer devant lui. Mais elle n'en peut plus. Toute sa vie part en vrille, et tout ce qu'elle souhaite, c'est la paix. La paix, et Oliver avec elle, toute sa vie.
Sa vue s'est brouillée, et les larmes coulent sur ses joues pour s'échouer dans ses mèches blondes, en désordre. Elle sanglote doucement. Romy veut s'échapper au regard du jeune médecin, mais son corps est incapable de bouger. Alors elle reste là, elle pleure, et elle essaye de se raisonner pour s'apaiser. Elle sent que Oliver la regarde toujours, sans bouger. Ni l'un ni l'autre n'est décidé à bouger, alors c'est elle qui va se trainer jusqu'à la porte de la salle de bain. La douleur est trop grande.
Romy a toujours été humble, mais au fond d'elle, elle savait que rien ne pourrait la briser plus que son enfance. Alors elle a toujours tout enduré en silence. Mais là, la douleur de voir Oliver s'éloigner d'elle par sa faute, c'est insupportable. Ça, et la menace du Requin, la balle dans l'épaule, le doute. L'alchimie naissante entre Paul et elle, cette attirance bizarre qu'elle ressent pour lui, contre ce truc. Ce truc qu'elle ne saurait qualifier, entre Oliver et elle. L'envie de foncer dans le tas en prenant le risque que tout le monde meure, et le doute de ne pas savoir où se trouve le Requin. L'envie de se débrouiller seule, et cette lancinante douleur à l'épaule qui se fait de moins en moins supportable.
Les larmes ne cessent de couleur alors qu'elle arrive enfin à actionner la poignée de la porte. Elle s'affaisse contre le chambranle, épuisée. Avoir bien dormi n'est qu'une sensation, pas la réalité. Romy a juste envie de fermer les yeux, et de ne les rouvrir que l'an prochain. Soudain, alors que la douleur lui fait tourner la tête et qu'elle s'apprête à tomber à la renverse, deux mains fermes lui saisissent la taille et l'en empêchent. On la ramène contre le torse large d'Ollie, qui remonte une de ses mains sur la joue de la blonde.
- Je suis désolé, murmure-t-il, je voulais pas te mettre dans un état pareil. Je vais t'emmener où tu voudras, ne t'en fais pas.
Romy se laisse aller contre la poitrine chaude. Elle ferme les yeux, attend que la tempête passe. Quand ses forces lui reviennent, elle murmure un "merci" si sincère qu'elle sent presque la gorge d'Oliver se serrer.
Une douche assistée par son ami plus tard, Romy et lui sont prêts à prendre la voiture. La blonde reste silencieuse tout le trajet, et Oliver ne pose pas de question. C'est mieux. Elle n'est pas prête à tout lui expliquer. Elle le fera sûrement un jour, mais pas aujourd'hui. Elle lui demande d'attendre dans la voiture, et lui promet qu'elle ne sera pas longue. Oliver hoche la tête et Romy se dirige vers l'entrée du bâtiment. C'est une femme d'une quarantaine d'année, vêtue d'une tenue uniformément blanche et d'une paire de Crocs fatiguée, qui l'accueille. Elle lui demande de la suivre jusqu'à un couloir au milieu duquel se trouve une porte. Elle tape le code, lui explique que Romy sera enfermée dans le service, pour des raisons de sécurité. L'infirmière sera au poste près de l'entrée, elle n'aura qu'à revenir vers elle pour partir.
Romy rentre dans un salon rempli de personnes pour la plupart en fauteuil roulant. L'infirmière lui indique une porte au fond de la pièce. Elle frappe, entre, et ne sait pas quoi faire. L'homme en fauteuil, au fond de la chambre, lève la tête vers elle. Son regard semble s'éclairer, mais Romy sait que la partie est loin d'être jouée.
- Tatiana... murmure-t-il.
Les larmes menacent Romy de revenir au galop. Elle ravale difficilement sa salive, et s'avance vers le lit.
- Papa.... je ne suis pas maman... je suis désolée.
Le regard d'Igor Grégorovitch s'assombrit.
- C'est vrai... tu l'as tué.
- Non, papa, tu sais que c'est pas vrai...
Romy a conscience que c'est peine perdue. Son père est de plus en plus désorienté, et le fait qu'elle ne soit que très rarement venue lui rendre visite depuis son placement en maison de retraite n'a fait qu'aggraver ses pertes de mémoire.
- Si, répond-t-il, agressif. Si tu n'étais pas venue au monde, elle ne serait pas morte. Tu l'as mangée de l'intérieur.
La blonde ne sait pas quoi répondre. Igor l'a toujours haïe pour ça. Il l'a nommée en conséquence : Doom, le cataclysme qui détruit tout sur son passage. Celle qui condamne l'humanité à sa perte. Romy n'a jamais apprécié ce nom. Elle frissonne encore en entendant la voix rauque de son père la réprimander parce qu'elle a regardé la télévision. Romy n'a eu droit à rien, même pas à une enfance digne de ce nom. Elle a joué avec les anciennes peluches de son père, ou des jouets volés à l'école. Le jour de son anniversaire, elle n'avait le droit qu'à un croissant. Le jour de carnaval, elle était la seule à ne pas venir déguisée.
Pourtant, malgré tous ces mauvais souvenirs, Romy ne peut pas détester son père. Igor la regarde avec ses yeux larmoyants, son visage de travers à cause de l'AVC, et Romy voit son papa, celui qui l'a élevée malgré tout, qui lui a enseigné beaucoup de choses.
- Tu ne t'es jamais arrêtée de tuer, grommelle Igor en s'affaissant dans son fauteuil.
Le côté paralysé de sa bouche laisse échapper un filet de bave que Romy se lève pour essuyer.
- Pourquoi ? demande-t-il.
- Parce que... c'est la seule chose pour laquelle je suis douée. Je ne sais faire que ça de bien.
- Est-ce que tu as seulement essayé de faire autre chose de ta vie ?
Romy ne répond pas. La réponse est non, et elle ne veut pas l'avouer.
- Tu n'es pas définie par la façon dont je t'ai élevé. Tu n'es pas définie par le meurtre de ta mère... et j'ai eu tort de te le faire croire.
Des larmes s'échappent et roulent sur les joues de la blonde. Elle est si surprise de cette déclaration qu'elle n'a pu retenir ses émotions.
- Je regrette tout ce que j'ai fait, Doom, reprend-t-il en baissant les yeux. Je regrette tout... jusqu'à ton prénom. Je n'aurais jamais dû te nommer comme ça.
- T'y es pour rien papa, souffle Romy. Je t'en ai jamais voulu pour ça...
- Mais j'aurais dû.... j'aurais dû te chérir en souvenir de ta mère... tu es tout ce qu'il me reste de Tatiana, et je t'ai repoussée... et maintenant que je veux rattraper le temps perdu... oh...
Sa voix meurt, et le chagrin de Romy s'empare de nouveau de tout son être.
- J'oublie tout...
- Ça aussi, tu n'y peux rien. Et si tu veux, je vais faire en sorte que tu n'oublies pas ça.
Elle n'attend pas sa réponse et se lève pour aller chercher de quoi écrire. Elle sait que son père garde toujours de quoi prendre des notes, même s'il oublie. Elle trouve donc un calepin vierge et un stylo, sur lequel elle note un mot en russe : "Je ne t'en ai jamais voulu. Et je ne t'en voudrais jamais. Tu as fait ce que tu as pu. Je peux passer te voir quand tu veux, appelle ce numéro". Elle y inscrit son numéro de portable, signe Doom, pour être sûre, et repose le stylo.
Quand elle revient s'asseoir en face de son père, Igor la regarde en souriant. Il est mélancolique, ses yeux sont voilés. Il est perdu dans ses souvenirs, du moins, ceux qui restent.
- Tu as tellement d'elle...
Romy sourit. Un poids infini et vieux de plusieurs années semble se dissoudre. Elle se sent plus légère, infiniment plus forte. Elle tend ensuite les bras vers son père pour le serrer contre elle.
- J'ai beaucoup de travail en ce moment, mais dès que ça se calme un peu, je repasse te voir, annonce-t-elle.
Son père acquiesce, et la regarde se diriger vers le pas de la porte.
- Au fait, appelle-t-il. Tu passeras le bonjour à... mince. Je ne sais plus son nom.
- Tu sais à quoi il ressemblait ?
Un bref silence se fait.
- Non, j'ai oublié aussi. Mais il avait un accent russe très fort. Il remplaçait certains mots par du russe.
Romy ne sourcille pas, mais son cœur manque un battement, puis deux.
- D'accord, je lui dirais.
Elle quitte la pièce en faisant comme si de rien n'était, et se dirige vers le local de l'infirmière. A travers la vitre qui lui permet de voir la salle à manger, Romy frappe deux fois.
- Vous avez déjà terminé ? demande l'infirmière, plus habituée à ce que les gens restent plusieurs heures.
- J'aurais bien aimé rester plus, mais en ce moment, j'ai une tonne de choses à faire au travail, répond Romy, se voulant convaincante. Mais avant de partir, j'aurais une question à vous poser. Mon père a reçu la visite de quelqu'un récemment. Un homme qui a un accent russe. Savez-vous de qui il s'agit ?
- Oui, il m'a donné son nom avant de venir. Un homme avec un chapeau et des cicatrices sur le visage. Vladimir Andropov.
Le sang de Romy se glace. Vladimir Andropov. Le Requin.
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