Chapitre 13 - Vladimir Andropov - Le nouvel ami d'Igor

Hello ! 

J'avais hâte qu'on arrive à ce chapitre. Allez savoir... Pour les questions que vous pourriez vous poser au court de ce chapitre, je vous laisse me les poser en commentaire, juste pour jubiler des scénarios que vous pourriez vous faire. Pour ce qui est des réponses à vos questions, elles arriveront certainement dans deux ou trois chapitres (tout dépend de si je continue à écrire des chapitres que je dois finalement couper en deux ou pas). 

Je vous aime, coeurs sur vos fesses, et n'oubliez pas de me laisser votre avis en commentaire :)

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Il fait noir. Vladimir aime le noir. C'est une couleur qu'il n'a cessé de porter depuis le début des années 90. Depuis que sa Sousanna est morte au camp. Vladimir déteste la Russie. Alors quand ils ont réussi à s'enfuir une première fois, en 1984, Vladimir a emmené sa femme en Allemagne. Faux papiers en mains, ils ont passé la douane russe sans problème. Le vieil homme se rappelle encore des grosses gouttes de sueur qui ont coulé dans son dos quand il a dit bonjour au contrôleur en uniforme. C'est arrivé à la douane allemande que les choses se sont gâtées. Sousanna a senti venir la proklinat' (1), et pour cause : le douanier les a regardés d'un œil mauvais, et les a renvoyés. Vladimir et Sousanna sont retournés de là où ils venaient. Il se rappelle encore de leurs larmes, alors qu'on les séparait à nouveau pour les faire travailler dans deux zones séparées du camp.

Quand Vladimir a de nouveau réussi à s'échapper du goulag, Sousanna était dans une fosse commune. Mais ça n'est pas la faute de la Russie. Le vieillard l'a déjà blâmée pour ça. Vladimir déteste l'Allemagne. Et tout ce à quoi il aspire depuis ce jour, c'est voir ce pays d'immondes connards tomber dans les méandres de la drogue et de la corruption, de perdre tous ses alliés politiques et économiques, et de devenir un territoire aussi mauvais que sa mère patrie.

Et à présent il est là, avachi dans un fauteuil taché, devant une vieille télé cathodique qui grésille. Vladimir s'en fiche. En Russie, il n'avait même pas de quoi se payer une télé. Sur la table basse rayée, son téléphone portable ne cesse de vibrer. Il n'a que des mauvaises nouvelles aujourd'hui. Cette petite conne aux cheveux blonds est plus coriace que prévue. Mais Vladimir est un requin, il a toujours un plan de secours. S'il ne peut pas les attaquer de front, alors il s'en prendra à tous ceux à qui ils tiennent.

Il attend juste que le jour se lève. Le plan est totalement élaboré, il sait exactement quoi faire, et il n'a besoin de rien d'autre que de repos. C'est avec de la peine que le vieil homme s'extirpe de son fauteuil et se dirige vers la petite chambre au papier peint décrépi. Vladimir ne prend pas la peine de retirer sa robe de chambre et s'allonge sur le matelas. Le sommeil ne vient pas tout de suite, mais il a l'habitude. Depuis le départ de Sousanna, il n'a plus sommeil.

Quand enfin les rayons du soleil viennent lui caresser la joue, Vladimir se lève avec le sourire aux lèvres. Il prend une douche rapide, froide, et enfile un gilet en laine sans manches par-dessus sa chemise à rayures, un pantalon en velours côtelé, et des chaussures brillantes. C'est presque en fredonnant qu'il ferme à clé la porte de son appartement, et se dirige vers le métro le plus proche. Vladimir déteste le métro. Mais s'il ne veut pas être regardé de travers en arrivant à son point de rendez-vous, il vaut mieux qu'il sauve les apparences, et se mêle à la classe moyenne allemande. Vladimir déteste les allemands.

Quand il arrive enfin devant la grande bâtisse beige et rouge, le vieil homme sourit. Il déteste les allemands, mais s'il y a bien une catégorie de gens qu'il hait encore plus, ce sont les russes, comme lui, qui ont réussi à vivre et qui se fichent de leur pays d'origine. Et la personne que Vladimir s'apprête à rencontrer est au sommet de la montagne de gens qu'il a envie de voir souffrir. Enfin, pas cette personne directement.

Vladimir franchit les portes de la maison de retraite et est aussitôt accueilli par une dame charmante en tenue d'infirmière.

- Vous êtes Vladimir Andropov ? demande-elle en souriant.

Vladimir a envie de passer ses mains ridées autour de son petit cou et de serrer très fort.

- Tout à fait, répond-il en lui servant son plus beau sourire édenté.

La demoiselle lui fait signe de le suivre. Elle lui explique en chemin qu'il sera enfermé à clé une fois arrivé dans le service, parce que son ami est de plus en plus désorienté depuis son AVC. Vladimir écoute que d'une oreille, il se fiche du reste. Si ce monsieur pouvait décéder juste après sa visite, il n'en serait que plus heureux. Le pauvre est sénile trop tôt, et il doit avoir souffert pendant une bonne partie de sa vie. C'est ce qu'il explique avec une mine attristée, pour faire semblant. L'infirmière entend son point de vue, et lui assure que l'équipe fait tout son possible pour le faire vivre loin de la souffrance et de la solitude.

Elle le fait entrer dans une chambre à la porte bordeaux, au fond du petit service. Vladimir passe devant des personnes en fauteuil roulant, qui sentent les déjections et qui lui donnent envie de vomir. Les gens le dégoûtent. Mais quand il se retrouve devant lui, avachi dans son fauteuil, au fond de la pièce, Vladimir sourit. Il est heureux de le voir. Si heureux. Vladimir n'a pas été aussi euphorique depuis son mariage.

En silence, il s'assoit sur le matelas, qu'il trouve dur comme de la roche, puis acceptable. En vérité, il doit avoir le même à la maison. L'homme lève les yeux vers lui. En croisant son regard, le russe est d'abord surpris. Il a pris l'habitude de croiser des personnes à l'article de la mort, vieux, puants, ridés, et fatigués. Lui a l'air plus vigoureux, s'il n'était pas paralysé sur tout un côté du visage, et désorienté.

- Bonjour Igor, tu te souviens de moi ? demande Vladimir.

La réponse attendue est "non", bien sûr, parce que lui-même ne connaît pas cet homme. Il n'entend pas la négation, mais Igor le regarde avec des yeux d'enfant apeuré. Il ne le reconnaît pas.

- Je suis ton ami Vladimir. On s'est connu à Moscou, on a déménagé ici ensemble, reprend-il, faisant son possible pour être convainquant.

Le visage de l'homme ne met pas longtemps à s'éclairer. Il semble avaler ce bobard, et Vladimir prend d'ailleurs bien soin de ne pas lui parler russe, même si Igor lui répond dans sa langue natale, par réflexe.

- J'ai appris que tu étais ici, reprend le vieil homme. C'est triste tout ce qui t'arrive, mon ami. Mais je suis sûr que tu as eu une belle vie.

Igor lui sourit. Il acquiesce.

- J'ai une femme, et une fille. Elles sont magnifiques.

- Je crois que j'ai peut-être rencontré ta fille.

- Doom ? Tu l'as rencontré ? Quand ça...

Igor se stoppe. Il semble chercher quelque chose dans sa mémoire, qui lui fait de plus en plus défaut.

- Vladimir. Je l'ai rencontré il y a quelques semaines. Elle a un sacré caractère...

Le visage de l'homme s'éclaire à nouveau. Vladimir peut comprendre ça. S'ils s'étaient connus depuis toujours, Igor se serait déjà souvenu de lui.

- Oh ça oui... elle a fait du mal à ma Tatiana. Voilà d'où vient son caractère. Elle est née pour détruire tout ce qu'elle touche...

- Elle a fait du mal à ta femme ? Ta zhena (2)... que lui est-il arrivé ? Qu'est-ce qu'elle lui a fait ?

Igor se mure dans un silence qui dure presque deux minutes. Vladimir fait ce qu'il peut pour ne pas être agacé par cet idiot à la mémoire courte. Mais il a besoin de savoir. Cet homme détient la victoire de Vladimir au creux de sa main. Il regarde le visage de l'homme se déformer de douleur, les larmes couler sur ses joues à peine ridées. Il sanglote une fois, puis se penche vers lui, les yeux rougis, les lèvres tremblantes.

- Elle a tué ma femme. Ma zhena est morte à cause d'elle. Elle a souffert pendant des heures par sa faute, et je ne lui pardonnerai jamais ça.

Les mots prononcés par Igor sonnent comme un requiem aux oreilles de Vladimir, qui ancre ses yeux dans ceux de l'homme. C'est une douleur qu'il peut comprendre. Qu'il peut ressentir au plus profond de sa chair. Il n'a pas eu d'enfant. Il n'en aura jamais. Mais perdre sa femme, perdre la personne qu'il aime le plus au monde, à cause d'une injustice, ça, c'est une douleur qu'il peut partager.

Vladimir ne feinte pas la main compatissante qui se pose sur celle d'Igor. Il ne feint pas la poigne réconfortante. Il ne feint pas les mots de consolation. La douleur finira par disparaître, et il reverra sa Tatiana. Vladimir le promet.

- Tu pardonneras un jour à Doom pour ce qu'elle a fait ? demande Vladimir.

Il se fiche un peu de la réponse, il veut seulement essayer d'avoir plus d'éléments qui pourrait l'aider à gagner. Igor ne répond pas tout de suite, puis lâche la phrase qui fait sourire le vieil homme.

- Jamais. Je ne lui pardonnerai jamais. Et si c'était à refaire... je l'aurais peut-être étranglé de mes propres mains, dans son sommeil. Même si c'est ma fille. Même si je l'aime quand même.

Vladimir sourit, se lève, prend son chapeau, et tapote l'épaule d'Igor.

- Je lui passerai le bonjour de ta part, mon ami.

(1) Traduction : "merde" dans le sens malédiction

(2) Traduction : "épouse"

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