Chapitre 34 : La fuite vers la liberté
Après avoir monté les marches à toute vitesse, Renard et Charlotte atteignirent le tombeau trafiqué que l'ex-militaire ouvrit d'une simple poussée. Il aida Lapine à en sortir, et ils quittèrent précipitamment cette église de malheurs.
Tentant de prendre une attitude normale pour ne pas attirer les soupçons, ils retournèrent à leur logement provisoire afin de récupérer leurs sacs. Heureusement pour eux, ils y étaient encore. Pierre devait sûrement ne pas avoir jugé nécessaire de prendre la précaution de les faire retirer pour le moment, persuadé qu'il réussirait à les faire prisonniers aisément.
Renard enfila facilement son sac sur son dos, avant de se tourner vers Charlotte qui tenait le sien, hésitante. Avec bienveillance, il lui dit :
— Laisse-le ici.
— On ne peut pas, répondit-elle avec culpabilité.
— Tu n'es pas suffisamment forte pour le porter. Les tentes sont assez grandes pour qu'on partage la mienne.
Charlotte rougit à cette idée. Elle se détourna alors vivement de Renard avant qu'il ne s'en aperçoive, mais c'était trop tard. Gentleman, il n'en fit aucun commentaire.
— Je prends quand même mon sac, insista la jeune femme. Mais seulement pour pouvoir transporter ma gourde, les quelques rations qu'il me reste, et mon sac de couchage. Ça te va ?
— Donne-moi tes rations et ta trousse de soin. J'ai suffisamment de place dans le mien pour les transporter.
— Il faudrait aussi qu'on vole de la nourriture ici si on veut terminer notre traversée des Pyrénées. Sinon, on n'aura pas de quoi survivre, et on ne sait pas si on retrouvera de quoi s'approvisionner d'ici-là.
Renard réfléchit. Elle avait raison. Mais ils devaient faire vite. La découverte du corps du gourou n'était plus qu'une question de temps.
— Ok, concéda-t-il, on va essayer. Tu es sûre que ça va aller ?
— Oui.
Charlotte lui sourit sincèrement. Dans un geste qu'il ne réussit pas à inhiber, Renard passa son pouce sur la joue de la jolie brune. Lorsqu'il s'en rendit compte, il retira aussitôt sa main.
— Bon, dit-il gêné, on y va. On n'a pas de temps à perdre.
Sans un mot, mais tout aussi troublée, Charlotte acquiesça et le suivit hors de la bâtisse insalubre. Ils longèrent les murs décrépits et s'approchèrent de l'entrée. Elle était gardée par deux hommes armés.
— On fait quoi ? demanda la jeune femme avec anxiété.
— On fait le tour des palissades, on cherche une autre sortie. Tant pis pour la bouffe.
Le binôme tourna les talons, et ils se mirent à arpenter le rempart de fortune. Il devait bien y avoir une faille quelque part.
Alors qu'ils étaient à l'opposé de l'entrée, sans avoir rien trouvé, ils entendirent un « pssst ! ». Renard et Charlotte se regardèrent, interrogatifs, et le bruit se répéta. Ils se mirent alors à scruter les alentours, à la recherche du bruit. C'est à la fenêtre d'une maison qu'ils virent un bras s'agiter faiblement.
Prudent, l'arme sortie, Renard s'avança en direction du membre, Charlotte sur ses talons. Soudain, une femme au visage émacié, aux yeux ternes, aux cheveux graisseux qui lui tombaient en filaments sur le visage, se redressa et fixa les deux intrus.
— Venez s'il vous plaît, les implora-t-elle.
— Qu'est-ce que vous nous voulez ? lui demanda Renard en la menaçant de son arme.
— Vous aider à sortir.
— Pourquoi on vous croirait ?
— Parce que j'ai un service à vous demander en échange.
— Lequel ?
— Venez je vous dis !
Conscients que c'était peut-être leur seule chance de fuir d'ici à tout jamais, Renard et Charlotte s'approchèrent précautionneusement de l'habitation. Ils en firent rapidement le tour du regard, et ils consentirent finalement à y entrer.
À leur grande surprise, la petite Jeanne était assise en tailleur sur une paillasse. À côté d'elle, la femme s'était réinstallée sur sa chaise, un vieux plaid sur les genoux.
— Jeanne ! s'exclama Charlotte avec joie. Comment vas-tu ma grande ?
— Bonjour Lapine ! s'enthousiasma la fillette. Je vais bien. Et toi t'es encore toute blanche. J'espère que tu vas pas encore tomber dans les pommes.
— Qu'est-ce que vous nous voulez ? coupa Renard en s'adressant à la femme en piteux état.
— Vous cherchez à partir, c'est ça ?
— En effet.
À quoi bon lui mentir ?
— Prenez Jeanne avec vous.
— Pardon ? s'étrangla presque Renard.
— Regardez-moi. Regardez la loque que je suis devenue en acceptant de rejoindre la communauté de Pierre. Je ne veux pas ça pour ma fille. Emmenez-la avec vous, et je vous montre par où vous pourriez sortir discrètement.
— Pourquoi vous ne partez pas vous-même ?
— J'ai déjà essayé, mais j'ai vite été rattrapée. Mon mari a voulu rester ici pour assurer nos arrières, mais ils l'ont torturé pour qu'il avoue où nous nous rendions. J'ai juste eu le temps de cacher ma fille dans un buisson, qu'ils m'avaient déjà ramenée ici. Et vous, vous l'avez rapportée, tout droit dans la gueule du loup.
— On ne savait pas dans quoi on mettait les pieds. De toute façon, vous ne craignez plus rien. Pierre ne vous causera plus de soucis.
La femme ouvrit ses yeux en grand. Une lueur d'espoir les fit briller un instant avant de disparaître tout aussi rapidement. Elle se renfrogna en lançant :
— Si ce n'est pas lui, ce sera un autre.
— L'un de ses hommes de main a été salement amoché, lui apprit Renard, et deux autres sont actuellement en train de négocier devant Saint Pierre à ses côtés.
— Je ne parlais pas des grosses brutes épaisses et sans cervelle qui sont censées le protéger. Pierre a des sous-fifres qui seront ravis de prendre sa place.
Renard réfléchit.
— Pourquoi vous ne retentez pas ? Venez avec votre mari cette fois.
Avec une tristesse infinie, la femme retira le plaid crasseux qui recouvrait le bas de son corps. Il manquait une moitié de jambe.
— Voilà la punition pour avoir voulu fuir. Je ne peux plus quitter ces lieux. C'est à peine si je peux me mettre debout. Et mon mari... Je ne connais pas son sort, je ne l'ai pas revu depuis ce jour-là... Je vous implore de la prendre avec vous.
Des larmes perlaient aux coins des yeux de la mère. À côté, Jeanne s'accrocha à son bras :
— Non ! Je veux pas repartir encore ! Je veux rester avec toi ! J'ai eu trop peur la dernière fois !
— C'est pour ton bien ma Jeannette. Ici, rien n'est bon pour les petites filles.
— Non, non, non ! Tout est mieux parce que j'ai ma maman !
Le cœur de Charlotte se serra. Oh combien elle comprenait cette fillette...
Jeanne hurlait, des larmes ruisselant sur ses joues rouges. Son nez coulait, les fluides se mêlant entre eux. Elle était dévastée.
Soudain, les cloches de l'église se mirent à carillonner furieusement. Les pleurs de Jeanne s'arrêtèrent, et les quatre têtes se tournèrent vers le ciel bleu au-delà des fenêtres. L'alerte était en train d'être donnée.
— Dites-nous où est la sortie dérobée ! ordonna Renard à la femme.
— Pas tant que vous ne prenez pas ma fille.
— On ne peut pas l'emmener avec nous, ce serait trop risqué pour tous les trois.
— Alors je ne vous dirais rien.
— Ils vont nous tomber dessus, il faut qu'on parte.
— Elle aussi, il faut qu'elle parte.
— Derrière l'ancien coiffeur au bout de la rue.
Jeanne venait de vendre la mèche. Sa mère lui jeta un regard aussi noir que désespéré. Renard lui exprima sa reconnaissance, et il ne perdit pas de temps, entraînant Charlotte avec lui en direction du bâtiment indiqué par la fillette.
— On doit l'emmener ! implora la jeune femme.
— Non, répondit fermement l'ex-militaire. Tu es déjà trop faible, et nos rations sont trop limitées. C'est du suicide.
— Imagine ce qu'ils vont lui faire. Pense à ce qu'ils m'ont fait !
Renard eut une seconde d'hésitation. C'est le bruit d'une course non loin d'eux qui le ramena à la réalité.
— Désolé, c'est non.
Il se saisit à nouveau du poignet de Charlotte, et ils atteignirent le salon de coiffure en question. Ils voulurent le contourner, mais c'était impossible. Il était mitoyen à la palissade.
Alors, ils pénétrèrent à l'intérieur. Derrière eux, les bruits de pas étaient de plus en plus rapprochés. Ils pouvaient aussi entendre plus distinctement les voix d'hommes qui étaient clairement à leur recherche.
Dans le salon de coiffure, ils cherchèrent le fameux trou partout. Les secondes s'égrenèrent, sans succès. Et si Jeanne s'était trompée ?
Non, impossible. Vu le regard de sa mère, elle avait sûrement dit vrai. Soudain, Charlotte trébucha sur un carrelage légèrement descellé du sol.
— Renard ! interpella-t-elle dans un murmure . Ici !
Les traits tirés, les sens aux aguets, il se rapprocha de la jeune femme qui avait déjà commencé à soulever la dalle de béton qui donnait dans le vide-sanitaire du bâtiment.
L'ex-militaire lui vint en aide, et ils découvrirent un étroit passage qui s'enfonçait sous le sol où il leur faudrait très certainement ramper. Tentant le tout pour le tout, ils s'y enfoncèrent, prenant garde à bien refermer la dalle de béton accusatrice.
Au moment où ils commencèrent leur étouffante avancée au ras du sol, ils entendirent la porte du salon de coiffure être fracassée, et les hommes envahir le bâtiment.
Pourvu qu'ils ne soient pas au courant pour l'issue dérobée, pensèrent-ils ensemble.
Mobilisant tous les muscles de leurs corps, Renard et Charlotte progressèrent rapidement en direction d'un rai lumineux qui grandissait à mesure qu'ils s'en rapprochaient. La jeune femme se sentait oppressée, étouffée. Il fallait qu'elle sorte vite de là-dessous avant que la crise d'angoisse ne lui tombe dessus, comme une vieille amie qu'on n'a pas forcément envie de recroiser au détour d'une ruelle.
Alors que Renard était enfin sorti, et que le léger vent d'été commençait à souffler sur le visage de Charlotte, quelque chose la retint au niveau du dos. Elle céda à la panique. Sa respiration s'accéléra, ses yeux s'emplirent de larmes, sa poitrine se serra.
— Renard !! hurla-t-elle.
L'ex-militaire se retourna d'un bond et se rua sur la jeune femme encore à demi ensevelie.
— Qu'est-ce qui se passe ?!
— Quelque chose me retient !
Le grand brun s'abaissa au niveau de sa coéquipière et l'aida à sortir du trou en se débarrassant de son sac à dos au passage. La jeune femme courut s'asseoir plus loin, la respiration saccadée, les larmes qui coulaient sans s'arrêter, le cœur palpitant comme jamais, un étau dans la poitrine.
Renard, toujours au niveau du trou, retirait tranquillement le sac à dos qui s'était accroché à un morceau métallique rouillé, qui dépassait de la dalle de béton. Il cachait à Lapine son amusement, rassuré de constater ce qu'était réellement le gros méchant dont elle avait été victime. Il ne voulait pas qu'elle pense qu'il se moquait d'elle.
— C'est bon, dit-il en lui tendant son sac. J'ai récupéré tes affaires.
— C'était quoi ?
— T'es sûre que tu veux savoir ? demanda-t-il avec une simulation de sérieux dans la voix.
— Quoi ?! Oui ! Qu'est-ce que c'était ?!!
— Calme-toi, c'est bon, c'était juste un vieux morceau de ferraille. Je l'ai neutralisé. Maintenant, tout va bien.
Renard se permit de rire de bon cœur. Charlotte avait cessé de pleurer, elle le regardait avec une pointe de colère.
— C'est vraiment pas drôle de te moquer, j'ai eu peur. Je ne suis pas habituée à ramper sous des maisons.
— Désolé, c'était tentant. Tu vas bien ?
— Mon cœur va exploser, mais ça va.
— Super, on peut reprendre notre route. On ne traîne pas, ils sont de l'autre côté de la palissade, ils ne devraient plus tarder à rappliquer. Surtout avec ton cri. Très aigu, très féminin, je lui mets un 9/10, j'ai senti une fausse note sur la fin.
— Arrête de te moquer de moi !
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