Chapitre 33 : Sortir des souterrains

— Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? demanda Renard, la mâchoire serrée.

— Un lieu hérité de nos très regrettés inquisiteurs espagnols, lui répondit Pierre. J'y fais passer un petit séjour aux personnes qui viennent compromettre notre équilibre. Je me sens comme Torquemada quand je me promène ici. Je me sens puissant.

— Vous n'avez pourtant pas le quart de son influence.

   Les yeux noirs de rage, Pierre se dirigea vers Renard et lui envoya une énorme gifle sur la joue gauche. L'ex-militaire cilla à peine, ce qui fit redoubler la fureur du gourou.

— Petite merde que tu es, cracha-t-il entre ses dents. Tu ne sais pas ce que je vaux. En revanche, toi, tu n'es qu'un misérable petit énergumène.

— Ce que vous valez ? Vous avez décrété être à la tête d'une communauté de soumis sans cervelles. Vous n'irez pas loin comme ça, vous...

   Une autre gifle retentit. Encore plus forte. Malgré la douleur cuisante de sa joue rougissante, Renard resta impassible. Surtout, il ne baissait pas le regard et continuait de fixer Pierre droit dans les yeux. Le gourou écumait de rage.

— Tu n'en sais rien ! hurlait-il. Tu fais le malin, mais si j'ordonne qu'on te tue, tu n'auras pas le temps de me supplier que tu seras déjà mort !

— Allez-y, je vous en prie.

   À ces mots, les yeux fatigués de Charlotte s'ouvrirent de terreur.

— Non ! cria-t-elle avant d'enchaîner avec une quinte de toux due aux mauvais traitements reçus, combinés à l'air vicié des souterrains.

— On dirait qu'elle tient à toi, lança Pierre avec un amusement malsain.

— C'est juste que c'est la seule personne qu'il me reste pour survivre à la guerre, se précipita Charlotte.

— Alors peut-être que si je le torture lui, tu parleras davantage ?

— Qu'est-ce que vous voulez qu'elle dise ? Elle n'est au courant de rien, pas même de mon nom. On s'est donné des surnoms pour se protéger mutuellement dans ce genre de situation.

— Je veux savoir qui vous êtes réellement, et ce que vous faites vraiment ici.

— Nous sommes deux survivants d'une attaque d'un camp de réfugiés en Normandie, et nous sillonnons maintenant la France, de camp en camp, jusqu'à trouver un endroit sûr où nous poser jusqu'à la fin de la guerre.

— Ça c'est ce que vous vous êtes accordés à dire. Mais je ne vous crois pas. Vous semblez trop connaître le maniement des armes (il pointa du menton le pistolet de Renard).

— C'est parce que je suis un ancien militaire réformé pour blessure.

— Comment vous croire si je n'ai pas votre nom pour faire mes petites recherches ?

— Qui pouvons-nous être dans ce cas ?

— Des espions venus mettre la pagaille dans ma communauté, dans tout ce que j'ai construit. Nous sommes la cible de militaires mal intentionnés à notre égard. et je suis certain que vous en faites partie.

— Foutaises paranoïaques. Nous nous sommes retrouvés ici en croisant, par hasard, la route de la petite Jeanne. Lapine a eu un malaise, et nous avons été conduits ici, c'est tout. Au départ, nous voulions simplement traverser les Pyrénées, car nous avions entendu parler d'un camp du côté d'Argelès.Vous avez vu dans quel état elle était en arrivant ici (il pointa la jeune femme de sa main libre), vous nous avez accueillis. Ce n'était pas simulé, ayez un peu de bon sens.

   Pierre se fit pensif.

— Mmmh... réfléchit-il bruyamment. Je pense qu'il est plus sûr que je prenne quand même mes précautions.

— Si vous n'avez rien à vous reprocher, tenta Renard, vous ne devriez pas nous craindre autant.

— Vous arrivez quand même ici armés et équipés de tout l'attirail de survie. C'est plus que louche.

— On arrive surtout par la force des choses, parce qu'elle est blessée (il tendit une fois de plus sa main libre en direction de Charlotte) ! Vous ne pensez pas qu'on serait venus moins équipés pour éviter d'éveiller les soupçons si on était vraiment des espions ?!

   Pierre fixa encore un instant les deux intrus avant de rendre son verdict :

— Désolé, mais je refuse de vous rendre votre liberté. Messieurs (il se tourna vers ses deux hommes de main), emmenez-les dans la salle de jeux.

   Sur ces mots, le gourou tourna les talons et quitta la pièce.

   Les molosses se ruèrent sur Charlotte et Renard. Si la jeune femme était trop faible pour réagir, l'ex-militaire attendit l'instant propice pour surprendre son assaillant. Au moment où le gros roux pensait que le condamné avait abandonné tout espoir de réussite après avoir balancé son arme au sol, Renard passa à l'action.

   Le beau brun attaqua l'homme qui venait le menotter avec une cordelette. Il lui fit une habile clé de bras qui retourna la situation en un clin d'œil. Tout aussi rapidement, il envoya ses jambes sur le blond qui maintenait Charlotte et qui dût, sous le coup de la douleur, lâcher sa prise.

   En laissant retomber ses pieds au sol, Renard se saisit de l'arme du roux qu'il assomma à coup de crosse, avant de pointer le canon sur le blond. Ce dernier avait levé les mains en l'air, les yeux noyés de larmes ruisselantes, et il suppliait son tortionnaire de lui laisser la vie sauve. Une tâche sombre s'étala alors sur son pantalon, au niveau de l'entrejambe.

— Lapine ! interpella Renard.

— Oui ? répondit-elle la voix tremblante.

— Tourne-toi, ferme tes yeux, et bouche tes oreilles.

— Pitié... suppliait le blond.

   La jeune femme s'exécuta. Elle savait ce que Renard allait faire. Et elle lui était reconnaissante qu'il cherche à l'en préserver.

   Une fois que la jolie brune fut dans sa bulle, Renard tira, à nouveau coupé de toute émotion. La balle alla se ficher dans la poitrine du blond qui s'écroula instantanément. Il était déjà mort lorsqu'il toucha le sol.

   Sans perdre de temps, l'ex-militaire se saisit de Charlotte qui tremblait comme une feuille, et il l'installa sur son épaule comme un vulgaire baluchon. Serrant toujours son arme dans sa main, il sortit précautionneusement de la pièce dans laquelle ils se trouvaient.

   Dans l'entrefaite, Pierre s'était éclipsé. Pour aller où ? Quel piège leur tendait-il ? Ils se devaient d'être vigilants.

   Arrivés dans le couloir, Renard reposa Charlotte au sol. Il se tourna vers elle, l'air préoccupé.

— Ça va ? demanda-t-il.

— Oui, je crois... Je suis terriblement désolée, je...

— On n'a pas le temps pour ça. Le gourou s'est fait la malle, et on ne sait pas combien de cerbères il a à sa botte.

— C'est à cause de moi tout ça, et tu risques quand même ta vie pour me sauver. Merci, tu...

   Cette fois, c'est un coup de feu qui interrompit la jeune femme. La balle siffla juste à côté de l'oreille de Renard. C'était moins une.

   Sans réfléchir plus longtemps, l'ex-militaire poussa Charlotte dans la pièce qu'ils venaient de quitter, et referma la porte en lui ordonnant de ne pas bouger tant qu'il ne le lui demandait pas. Là, il était certain qu'elle ne risquait rien. Il venait d'y faire le ménage.

   Il se retourna ensuite vivement, mais son assaillant avait déjà disparu, et il n'avait pas pu voir où. Renard ne perdit pas de temps, et il ouvrit d'un coup de pied la première porte en bois à sa portée. Celle-ci, fragilisée par le passage des années et l'humidité du souterrain terreux, éclata en milliers de morceaux.

   Pas là.

   La deuxième porte.

   Pas là.

   La troisième porte.

   Pas là.

   La quatr...

   Le geste de Renard se poursuivit dans le vide. Quelqu'un venait d'ouvrir le battant de bois d'un coup sec. Déstabilisé, l'ex-militaire trébucha en avant. Des bras musclés se saisirent alors de lui, lui arrachèrent son arme, et l'entraînèrent vers une chaîne attachée au mur.

   La tâche n'était pas facile, il se débattait comme un diable. À côté, Pierre riait d'un rire machiavélique.

— Tu vas subir les mêmes tortures que ta petite chérie, jubila-t-il.

   Renard ne répondit pas. La colère reprenait possession de lui. Quand ça concernait Lapine, il n'était plus de marbre. Et il se servirait de cette colère pour les sortir de là.

— Si tu avais pu voir ses yeux s'agrandir de terreur quand j'ai approché le fer chaud de sa peau si pâle, si douce.

   Le cœur de Renard s'accélérait, l'adrénaline montait.

— Son cri déchirant quand j'ai posé le métal incandescent sur son corps. Elle gardera la trace de mon passage jusqu'à sa mort prochaine. Très prochaine.

   Le sang bourdonnait dans les oreilles de Renard.

— Et quand je lui ai arraché l'ongle de l'auriculaire. Quel délice d'entendre son cri s'étouffer dans sa gorge. Elle a perdu un instant connaissance, et j'aurai pu abuser d'elle, et de ses formes si exquises. Mais je me le réserve pour plus tard. Quand tu pourras me regarder la posséder sans rien pouvoir y faire.

   L'adrénaline décuplant sa force, Renard réussit à enfin prendre le dessus sur son assaillant qui faiblissait plus vite que lui. Sous le regard terrifié de Pierre, il s'empara de son arme et le tua d'une balle dans le crâne avant de coincer le gourou qui tentait de s'enfuir une fois de plus.

   Le canon de l'arme à quelques millimètres du visage terrorisé de Pierre qui s'urina aussi dessus, Renard dit lentement et avec froideur :

— Ose répéter ce que tu vas lui faire.

— Voyons, voyons, voyons, tenta lamentablement le pathétique gourou. Pas la peine de se mettre dans des états comme ça pour si peu. Les ongles repoussent vite, et la cicatrisation de la brûlure pourrait être parfaite avec les soins adéquats.

— Quel gros fils de pute tu fais. Tu diras bonjour à Satan de ma part.

   Et Renard tira. Sans perdre davantage de temps, il alla rechercher Charlotte qui attendait, prostrée, dans la pièce où il lui avait ordonné de ne pas bouger.

   Le beau brun lui prit délicatement la main, et il l'entraîna derrière lui. Il jeta un œil au passage sur son auriculaire. Du sang avait séché à l'emplacement où devrait se trouver un ongle. Un peu plus bas, le t-shirt de la jeune femme était aussi sanguinolent, preuve de la brûlure qui devait suinter en-dessous. Il serra les dents, et reprit sa route. Ils n'avaient vraiment plus de temps à perdre.

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