Chapitre 32 : Charlotte a disparu
Au petit matin, quand Renard se réveilla après un sommeil aussi lourd que sa rancœur, il constata avec effroi que Lapine n'était plus à ses côtés. Il bondit hors de son lit d'appoint, et se précipita dehors.
Personne en vue.
Était-elle partie de son plein gré ? Ou avait-elle été emmenée par Pierre et ses sbires ?
De retour dans leur logement de fortune, il enfila rapidement son treillis, attrapa son pistolet caché sous son oreiller de paille pour la nuit — par il ne savait quel miracle, il n'avait pas été dépouillé de ses biens —, le dissimula sous sa veste, et se mit en quête de la jeune femme. Il se rendit d'abord dans les lieux communs.
Rien.
Il se mit alors à arpenter chaque rue, à guetter chaque habitation.
Rien.
Il alla enfin aux abords de l'église. Loin de l'impressionner, la grande bâtisse moyenâgeuse le débectait. Il en était certain, Lapine s'y trouvait. De gré ou de force, il ne le savait pas, mais il était en proie à un très mauvais pressentiment.
Toujours armé de son courage, et de son revolver dissimulé, il alla frapper à la porte de l'église. Personne ne lui ouvrit. Il tenta alors de tourner la vieille poignée de fer rouillée lui-même, mais rien ne bougea.
— Putain ! lâcha-t-il discrètement.
Il en fit le tour, comme il l'avait déjà fait plusieurs fois ces derniers jours, cherchant une autre entrée possible, plus discrète. Mais il n'y avait rien. Pas une seule autre ouverture à portée de main. Chaque petite porte avait soigneusement été condamnée grossièrement avec des parpaings et autres minéraux assemblés ensemble.
Sentant l'anxiété commencer à l'envahir, émotion tout juste retrouvée et dont il se serait bien passé, il s'assit sur un banc public, et se mit à réfléchir. Il ne lâchait pas le bâtiment religieux des yeux. D'aspect infranchissable, il trouverait son point faible pour le pénétrer et sauver Lapine car, plus le temps passait, plus il doutait de sa sécurité. Elle courait un danger, c'était évident.
Les minutes s'écoulèrent, et Renard était toujours en difficulté dans l'élaboration de son plan. Il ne connaissait pas assez les lieux pour les dompter. Il n'avait pas le dessus.
Ne voulant pas rester passif, sentant ses membres le démanger à cause de l'inactivité, il se releva de son banc. Il fit à nouveau le tour de l'église, mais l'inspiration ne vint pas. Et il allait commencer à être très suspect aux yeux des habitants, s'il ne l'était pas déjà.
Alors qu'il allait tourner les talons, il vit le bourru de leur premier jour se présenter à la porte de l'église. Il avait les bras chargés de gros sacs en toile de jute. À contrecœur, l'observé les déposa au sol pour déverrouiller la lourde porte de bois. Renard attendit quelques minutes avant d'y retourner à son tour.
Pourvu qu'il ait eu la flemme de refermer, espéra-t-il avec très peu d'espoir.
La chance avait finalement décidé d'être de son côté. Lorsqu'il tourna la poignée de fer, celle-ci ne lui résista pas. Il n'avait plus qu'à espérer que rien ni personne ne l'attendait de l'autre côté. Main contre le renflement de son arme, il pénétra dans l'église.
Rien. Personne. Vide.
Faisant en sorte que ses pas ne résonnent trop dans l'immense bâtisse, il se glissa entre les bancs en bois, et avança près de l'autel le plus discrètement possible. Une fois son point d'observation trouvé, il attendit qu'il se passe quelque chose qui pourrait l'aiguiller sur les pratiques douteuses qui pourraient avoir lieu au sous-sol.
Il attendit un long moment, osant à peine bouger, juste ce qu'il faut pour ne pas ankyloser ses muscles. Après une interminable attente, et alors qu'il allait se décider à explorer activement les lieux, un bruit salvateur arriva enfin.
Derrière l'autel, là où se trouvait un tombeau d'il ne savait quel personnage important, un bruit de lourdes pierres frottant entre elles se fit entendre. Renard y porta toute son attention, et il put voir le couvercle de granit être déplacé de biais sur le côté. Lui parvinrent alors des bruits de pas montant un escalier et qui firent apparaître la tête rubiconde du bourru qui venait visiblement de produire un gros effort.
Ignorant complètement que Renard se trouvait dans l'église, l'homme replaça le couvercle du tombeau et quitta l'édifice religieux. L'ex-militaire attendit quelques secondes avant de sortir de sa cachette et de se diriger, toujours précautionneusement, en direction de l'entrée dérobée.
Il analysa la sépulture et constata, ravi, qu'elle ne semblait reliée à aucun mécanisme complexe de sécurité. Décidément, la chance était visiblement de son côté pour l'instant.
Renard entreprit de pousser le couvercle de granit pour découvrir le contenu du tombeau. À sa grande surprise, ce dernier avait été posé sur des rails métalliques très bien huilés, facilitant son ouverture et sa fermeture sans bruit. Parfait pour s'éclipser discrètement.
Ce qui avait provoqué l'effort du bourru rougeaud se trouvait juste en-dessous. Un immense escalier grossièrement taillé dans la terre s'enfonçait aussi profondément qu'abruptement.
N'ayant pas d'autre choix, Renard escalada la paroi du tombeau, et entreprit de descendre l'étroit escalier. La main toujours prête à dégainer, il s'enfonça dans les profondeurs de la Terre, ne sachant pas ce qu'il y trouverait en bas.
Il posa à peine le pied au sol qu'il entendit un bruit de pas venir dans sa direction. Sans perdre de temps à réfléchir, il se jeta derrière un tas de caisses vides. Si l'individu était attentif à son environnement, il pourrait le voir à travers les lattes de bois. C'était risqué, mais il n'avait pas d'autre choix.
Maîtrisant parfaitement les battements de son cœur et sa respiration, Renard attendit que le quidam passe. Ce n'était pas Pierre. Une autre brute épaisse à l'air idiot, mais pas le gros gourou.
Sentir son arme contre lui l'apaisait et l'aidait à se croire maître de la situation. Le moment de reprendre son chemin était arrivé. Mais par où aller ?
Renard se décida pour la gauche. Le chemin creusé dans la terre était une longue suite ininterrompue de portes installées à intervalles réguliers. Sur ces portes, des ouvertures grillagées. Un cachot. Il ne se trouvait ni plus ni moins que dans un cachot.
Risquant le tout pour le tout afin de retrouver Lapine, il jeta un œil à chaque cellule. Des gens mal en point en nombre, mais aucune trace de la jeune femme. Partagé entre le soulagement qu'elle ne fasse pas partie de ces prisonniers, et agacé à l'idée que, plus son exploration durait, plus il prenait de risques, il rebroussa chemin et s'attaqua au couloir de droite.
Plus tortueux, ce dédale semblait moins tranquille. Davantage de bruits se faisaient percevoir à travers les murs de terre et les lourdes portes en bois. Des supplications, des râles de douleur, des hurlements de terreur. De quoi inquiéter les plus vaillants.
Parfois, une machinerie se faisait entendre. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer ici ? Renard redoutait de répondre à cette question. Au fond de lui, il connaissait la réponse. Et il espérait que Lapine n'en fasse pas partie.
Seul, dans ce grand couloir terreux et lugubre, Renard se sentait vulnérable. Il n'avait pas le dessus, il était venu sans plan préparé aux petits oignons, et il détestait ça.
Putain, Lapine, dans quel merdier tu nous as encore foutus ?!
Tout ce qu'il lui restait à faire, c'était d'ouvrir les portes une à une jusqu'à, il l'espérait, tomber sur sa fichue binôme. C'était inconscient, complètement fou, mais nécessaire. Mais inconscient.
Des tortures avaient lieu, des tortionnaires devaient être présents. Combien ? Il ne le savait pas. Ce serait un vrai massacre, une tuerie. Aurait-il assez de munitions ? Réussira-t-il à garder le dessus, lui, seul contre la majorité ?
Soudain, alors qu'il s'était arrêté pour réfléchir, il entendit du bruit. Il se précipita dans le renfoncement d'une porte où il s'y plaqua pour se dissimuler le plus possible. Et là, il le vit. Pierre. Le gourou.
D'une démarche toujours fière, il n'avait plus rien du gentilhomme qu'il laissait paraître à la surface. Le regard déterminé, il avait l'air mauvais, très mauvais, trop mauvais.
Renard attendit que le gourou disparaisse loin dans les escaliers pour sortir de sa cachette. C'est ce moment précis que choisit l'un des hommes de main de Pierre pour sortir exactement de la porte où s'était réfugié l'ex-militaire. La chance venait de tourner en sa défaveur.
La seconde de surprise fut décisive. Avec des gestes aussi précis que maîtrisés, Renard sortit son arme et la pointa sur son ennemi. Toutefois, il décida de ne pas tirer. Ça aurait été trop bruyant. Suffisamment proche, il abattit la crosse sur la tempe de l'homme qui s'effondra au sol dans un grognement douloureux. Par mesure de sécurité, il entraîna le corps dans la pièce dévoilée.
Pourvu qu'il ait été seul.
Mieux encore, lorsqu'il pénétra dans la pièce, son regard croisa celui effondré de Lapine. Renard ne put s'empêcher d'esquisser un sourire rassuré avant de passer instantanément à l'inquiétude. Il se précipita sur la jeune femme, et l'aida à ôter son bâillon crasseux.
— Lapine ! Comment tu vas ? chuchota-t-il en entourant son visage de ses grandes mains.
La jeune femme ne répondit pas aussitôt. Elle eut une énorme quinte de toux. Et elle était faible, très faible.
— Quel charmant tableau ! lança une voix derrière eux. Le sauveur à la rescousse de sa gente dame.
Renard se retourna vivement, mais il savait déjà qui allait lui faire face. Pierre se tenait droit dans le chambranle de la porte. Son regard laissait transparaître sa fierté d'avoir coincé deux proies pour le prix d'une, et la folie qui nécrosait son âme.
Rapidement, l'ex-militaire se releva et pointa son arme en direction du gourou. Ce dernier eut alors un fou-rire incompréhensible.
— N'essayez même pas, le prévint-il.
Pierre claqua des doigts et eut juste le temps de se jeter au sol pour éviter la balle qui venait d'être tirée, que deux hommes à l'air patibulaire firent leur apparition, armes aux poings. Les deux visèrent Renard qui serra les dents de haine.
— Tu vas le regretter, cracha le gourou qui se releva en tapotant la poussière qui maculait maintenant sa tenue bariolée.
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