Chapitre 28 : La communauté du Bois Perdu
Au réveil, la petite Jeanne était bougonne. Son corps entier était douloureux en raison des efforts physiques que lui avait demandés sa journée de la veille. Après un petit déjeuner sommaire et un débarbouillage pas plus approfondi, elle refusait de se remettre en marche.
— J'ai trop mal partout, se plaignait-elle en pleurant bruyamment.
— Nous aussi, répondit Charlotte avec patience, mais il faut continuer notre route pour retrouver ta maman.
Le mot magique « maman » suffit à motiver la petite. Elle accepta de reprendre la route, à condition d'être sur les épaules de Renard.
Comme si elle était un poids-plume, il l'installa entre sa tête et son énorme sac. Impressionnée par tant de force physique, Charlotte se demandait comment il tenait le coup, elle qui sentait ses forces la quitter chaque jour un peu plus.
Avec une franche grimace de douleur, elle réinstalla son propre sac sur son dos. Ses épaules étaient en feu. Sa chair était à vif sous son t-shirt. Elle avait tenté de se soigner comme elle le pouvait la veille au soir avec un baume trouvé dans le sac, mais la douleur était fulgurante. Il lui faudrait bien plus qu'une crème pour s'en remettre.
Le trio marcha toute la matinée, fit une pause bienvenue sur le temps du midi pour avaler le contenu froid d'une conserve, l'une de leurs dernières, et reprit la route. Cette fois, Jeanne avait accepté de marcher sur ses petites jambes, tenant parfois la main de Renard, parfois celle de Charlotte.
Les kilomètres continuaient à défiler, et leur espoir à s'émousser, lorsqu'ils aperçurent enfin un signe de vie. Au loin, devant eux, un homme posait un piège à ours artisanal.
— C'est Hugues ! se mit à crier Jeanne toute guillerette lorsqu'elle aperçut l'homme.
À l'évocation de son nom, il releva la tête et prit immédiatement un air méfiant. Il se saisit de son fusil derrière lui et attendit que le trio s'approche.
— Bonjour, commença Renard avec assurance. Nous avons trouvé cette petite perdue dans des fougères de l'autre côté de la forêt. Vous la connaissez ?
— Ouais, répondit le bourru. C'est Jeanne.
Étirant un sourire qui fit froid dans le dos de Renard et Charlotte, il ajouta :
— Ta mère va être ravie de te retrouver.
— Moi aussi ! fit l'innocente petite fille. Elle m'a manqué.
— Allez viens, je te ramène.
Hugues lui tendit la main, et elle s'y agrippa avec précipitation. Dérangée par l'attitude de l'homme, Charlotte jeta un regard alarmé à Renard. Regard qui commençait à se brouiller, la douleur cuisante devenant insupportable.
— Merci de l'avoir ramenée, leur jeta Hugues sans une oeillade pour eux. Bonne continuation !
— Renard, l'interpella tout bas Charlotte. Je n'aime pas ça. J'ai un mauvais pressentiment.
— On va les suivre discrètement, on... Ça va ? Tu es très pâle.
— Oui... Oui ça va... J'ai... Juste un peu... Juste un peu mal... Et...
Charlotte ne termina pas sa phrase. Ses jambes la lâchèrent, elle s'effondra durement sur le sol.
— Hé ! s'inquiéta Renard en se jetant sur elle.
Le cri de l'ex-militaire fit se retourner Hugues et Jeanne. Discrètement, le bourru tira la main de la fillette pour continuer à avancer, mais elle en décida tout autrement. Inquiète elle aussi, elle se précipita sur sa sauveuse maintenant à terre.
— Qu'est-ce qu'elle a Lapine ?! s'affola Jeanne.
La fillette commença à sangloter.
— Elle est morte ?
— Non, la rassura Renard qui venait de prendre son pouls, elle a juste fait un malaise. Elle était trop fatiguée.
Puis, se tournant vers le bourru :
— Avez-vous un campement quelque part pour que nous puissions nous reposer jusqu'à demain ? Elle a besoin de reprendre des forces.
L'homme hésita, mais il n'eut pas le temps de répondre que Jeanne le fit à sa place :
— Oui ! Là-bas (elle pointa un endroit au-delà du bosquet). On a une grande ville où tout le monde s'aime et s'entraide pour devenir meilleurs.
La dernière phrase ne rassura pas Renard. C'était trop lisse, trop beau. Sauf qu'il n'avait pas le choix. Il fallait que Lapine reçoive des soins au plus vite.
Ne voulant pas la laisser dans les bras de l'homme qui ne lui inspirait aucune confiance, il lui donna plutôt le sac de la jeune femme, et prit cette dernière dans ses bras. Son propre chargement, ainsi que le poids mort que représentait Charlotte inconsciente, torturait le dos de Renard qui avait aussi vu ses forces diminuer au fil de leur périple. Il serra toutefois les dents, et suivit le bourru et la fillette jusqu'à un village qui, heureusement, se trouvait non loin de là.
La petite ville avait été fortifiée avec les moyens du bord. Du bois, des tôles, des parpaings. Quand ils arrivèrent devant l'entrée, deux costauds se précipitèrent sur eux, armés de lances grossièrement taillées dans des branches. Ils laissèrent passer le bourru et la fillette, mais interdirent à Renard et Lapine de les suivre.
— Qui êtes-vous ? demanda l'un d'eux.
— Nous ne pouvons donner que nos surnoms. Je suis Renard, et voici Lapine. Elle est très faible, on a besoin de votre hospitalité.
— On ne peut rien pour vous, circulez.
— Si elle ne reçoit pas les soins nécessaires, ça mettrait sa vie en danger. Je vous en supplie, permettez-nous de rester rien qu'une nuit.
Le costaud n'eut pas le temps de répondre qu'une grosse voix se fit entendre derrière lui :
— Que se passe-t-il ici ?
Un énorme homme, habillé comme s'il s'apprêtait à participer à un carnaval, s'approcha du petit groupe. Lorsque ses yeux se posèrent sur Charlotte, ils s'agrandirent tout ronds.
— Oh mon dieu ! Qu'est-il arrivé à cette pauvre brebis ?
— Elle a eu un malaise, répondit Renard. Elle était trop faible, mais elle voulait quand même continuer notre route. Elle n'a pas osé me dire qu'elle allait mal, et j'ai fait l'autruche...
Le grand brun s'en voulait terriblement. S'il n'avait pas été aussi borné, il aurait peut-être pu faire quelque chose pour elle avant d'en arriver là.
— Et vous souhaitez notre hospitalité ? demanda le gros homme avec gentillesse.
— Oui, s'il vous plaît.
— Alors vous êtes les bienvenus. Nous n'allons quand même pas laisser des enfants de Dieu dans la détresse.
Renard tiqua. Dans quoi venaient-ils de mettre les pieds ?
Aidé par l'un des costauds, Renard emmena Charlotte dans une habitation délabrée. Toujours accompagné du gros homme, ce dernier dit, d'un air désolé :
— Voilà où nous pouvons vous loger. Ce n'est pas le grand luxe, mais nous sommes en nombre encore insuffisant pour maintenir cette ville à flot.
— Merci de votre hospitalité.
— Je vais vous envoyer un soigneur. Puisse Dieu vous bénir.
Renard tiqua une seconde fois.
C'est rien mon vieux, tu psychotes, tenta-t-il de se rassurer intérieurement. Un simple croyant qui a vu sa spiritualité décuplée depuis le début de la guerre. Mais rien n'y faisait, son mauvais pressentiment ne le quittait pas.
— Excusez-moi, le rappela Renard avant qu'il ne franchisse le seuil de la porte.
— Oui ?
— Où sommes-nous ici ? Qui êtes-vous ?
— Vous êtes au sein de la Communauté du Bois Perdu. Nous vivons pacifiquement, en vie grâce à Dieu Tout Puissant.
— D'accord, merci.
Le gros homme sourit à Renard, et quitta le petit logement insalubre. Dans la tête de l'ex-militaire, le mot « SECTE » s'illumina de rouge, synonyme de danger.
Et il espérait sincèrement se tromper.
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