Chapitre 26 : Le départ du camp
Le lendemain matin, après cette nuit cauchemardesque pour l'un comme pour l'autre, Renard frappa à la porte de la chambre de Charlotte aux aurores. Comme elle ne répondait pas, il insista un peu plus. Alors qu'il allait cogner plus franchement le panneau de bois, la porte s'ouvrit d'un coup sec.
Sans dire bonjour, Charlotte lui passa devant et alla s'enfermer dans la salle de bain. Renard aurait juré voir son visage bouffi par des larmes. Le doute était peu permis, elle avait sûrement entendu ce qu'il s'était passé cette nuit. Et elle avait été terriblement blessée.
Quoi faire ? Lui dire ? Lui avouer ce qu'il avait dû faire pour la protéger ? Lui expliquer ce à quoi il avait dû se rabaisser pour deux putains de sacs de survie ? C'était de la prostitution. Il avait vendu son corps contre quelques objets. Hors de question que le reste de sa dignité soit piétiné en assumant cet acte ignoble. C'était décidé, il ne lui dirait rien. Tant pis, l'orage finira bien par passer. Après tout, elle n'était rien pour lui, et vice-versa.
Mais en même temps, cette nuit, c'était elle qu'il avait imaginée dans son lit. Il était complètement perdu. Le retour un peu brutal de ses émotions le chamboulait complètement. Finalement, c'était peut-être plus simple de ne rien ressentir...
D'un geste agacé de la main, il chassa ces images de sa tête. Susanne était de l'histoire ancienne. Lapine ne sera jamais rien de plus que le fantasme de deux nuits. Il n'avait pas d'énergie à perdre avec ces pseudos sentiments. Qu'il commence par retrouver le contrôle total de ses émotions, la suite attendra. Aucune histoire d'amour ne pouvait plus rien attendre d'un type aussi fracassé que lui.
— Je suis prête à partir, lança Charlotte avec un semblant de détachement en sortant de la salle de bain.
— Alors on y va. Tu n'as rien oublié ?
— Je n'ai rien à emporter.
La jeune femme passa machinalement la main sur la poche de son pantalon qui abritait ses deux précieuses photographies et le petit coeur en métal. Ces trois objets et son collier de perles étaient ses biens les plus précieux, seuls souvenirs de sa vie d'avant, quand tout était moins compliqué.
— De toute façon, rétorqua le grand brun, nos sacs sont prêts. Ils nous attendent à la caserne.
Sans répondre, la jeune femme passa devant Renard, sortit du préfabriqué, et se dirigea vers le bâtiment militaire. Elle ne jeta pas un seul regard en direction du logement de fortune qui les avait abrités pendant de nombreuses semaines. Elle ne voulait plus jamais le voir, plus jamais y remettre les pieds. Chaque mur était imprégné des cris de jouissance de Justine. Chaque plaque de linoléum au sol était contaminée par la présence obscène de cette garce blonde.
Dehors, le camp dormait encore. Le soleil peinait à se lever au-dessus des nuages à cette heure aussi matinale. L'air était frais, mais il annonçait toutefois une journée agréable. Au moins, ils n'auraient pas à se soucier de la météo pour leur première journée de marche.
Silencieusement, saluant les quelques soldats de garde qu'ils croisaient, le duo se rendit à la caserne récupérer leur dû. Avec soulagement, Renard constata que Justine avait tenu parole. Au moins, il n'avait pas fait tout ça pour rien. Deux gros bagages surmontés d'un sac de couchage et d'une tente tellement compacte qu'elle paraissait avoir été conçue pour des enfants, les attendaient sagement contre le mur.
Ils s'en saisirent après en avoir fait le rapide inventaire. Ils étaient très complets, tout le nécessaire de survie y était, ainsi que des rations pour plusieurs jours. Justine n'avait pas cherché à leur faire un dernier coup de fourbe. Mais ce n'était pas pour autant qu'il se sentait reconnaissant envers elle. Cet équipement était parfait pour des personnes entraînées à porter autant de poids sur de longues distances, terrible pour une jeune femme peu sportive.
— Ça va aller ? demanda Renard à sa coéquipière en la voyant installer péniblement le sac sur son dos.
— Oui.
Tout aussi froidement, Charlotte quitta la caserne et se dirigea vers la porte blindée toujours entrouverte. Le sac était terriblement lourd. Les anses lui lacéraient déjà les épaules. Mais pas question de montrer sa faiblesse à ce connard. Elle serrerait les dents, et ce serait tout aussi bien.
Renard la suivit, morose. Les jours et les semaines qui suivraient promettaient d'être bien ternes.
À sa fenêtre, Justine n'avait raté aucune miette de leur départ. Elle avait perçu cette distance évidente entre eux. Elle jubilait. La petite poufiasse avait tout entendu. Elle lui avait fait du mal. C'était jouissif. Elle perdait Renard mais, après tout, il ne la méritait pas. Elle avait eu ce qu'elle voulait, maintenant elle chercherait bien mieux. Ce ne sera pas difficile, elle en était certaine. On ne lui manquait pas de respect comme il l'avait fait.
— On va où ? demanda Charlotte une fois sortie de la forteresse.
— À l'Est. Il va falloir qu'on traverse le pied des Pyrénées.
— Comment ça ?! Je pensais que le prochain camp n'était pas loin ?
Le visage de la jeune femme se vida de son sang. Jamais elle ne supporterait le poids de son sac. Il était beaucoup trop lourd pour qu'ils longent les Pyrénées. Renard lui avait encore menti. Une flopée d'insultes lui traversa la tête pour s'arrêter à la barrière de sa bouche. Pas question de lui montrer sa faiblesse.
— Parce que notre prochain camp se trouve de l'autre côté de la chaîne des montagnes, répondit l'ex-militaire mi-agacé, mi-gêné.
— On est sûrs qu'ils accepteront de nous accueillir ? Je n'ai pas envie de faire toute cette route pour rien.
— Non. Mais dans tous les cas, nous ne pouvions pas rester ici. Alors autant tenter.
— Je n'ai pas l'impression qu'on ait suffisamment de nourriture dans nos sacs pour tout ce nouveau périple.
— Effectivement. Nous devrons demander la charité pendant le voyage.
— Et si nous ne la trouvons pas ?
— Le cannibalisme ne me fait pas peur, désolé.
Cette tentative d'humour ne fit pas rire Charlotte. Elle était beaucoup trop en colère contre lui pour être de bonne humeur. Elle haussa les épaules, et se lança sur le sentier qu'ils avaient commencé à prendre. Leur chemin promettait d'être long et terriblement morose. Leurs meilleurs moment, aussi brefs furent-ils, étaient terminés depuis bien longtemps.
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