Chapitre 16 : La fuite du technopole

  La salle dans laquelle Renard et Charlotte se retrouvèrent était parfaite. Assez spacieuse pour un petit groupe d'une dizaine de personnes, elle était équipée de plusieurs ordinateurs dont l'un était raccordé à un vidéo projecteur. Le must restait sa position excentrée, au bout d'un couloir quasiment vide.

— Quel incroyable jeu d'actrice ! dit Renard avec un sourire lorsque la porte fut refermée.

— Merci... rougit Charlotte. Tu t'en sors vraiment bien, toi aussi.

— J'ai de l'entraînement. Et du bagout. Beaucoup de bagout. Bon ! Alors, comment fonctionnent leurs PC ?

   Renard s'installa derrière l'un deux et l'alluma. La machine tournait banalement sous Windows. Grâce à un petit post-it collé sur le moniteur, il se connecta à un compte prévu pour les « Invités », et un bureau tristement neutre s'afficha à l'écran. Un sourire illumina alors le visage du brun qui sortit son téléphone de sa poche et composa le même numéro que précédemment.

— C'est encore moi. Je suis sur une cession lambda. Je fais quoi maintenant ?

— ...

   Après avoir écouté son interlocuteur lui donner ses directives, Renard se tourna en direction de Charlotte en tendant la main :

— Puis-je avoir la clé USB s'il te plaît ?

— Oh ! Oui !

   Pudiquement, la jeune femme se tourna et fouilla dans son soutien-gorge pour en retirer le petit objet noir qu'elle tendit alors à Renard qui s'en saisit en la remerciant. Ensuite, il la connecta à l'ordinateur. Elle, elle était de nouveau rouge de honte.

— C'est bon, reprit-il. Je suis dans le dossier.

— ...

   Pendant de longues minutes, Renard suivit les instructions au bout du fil. Soudain, l'écran se brouilla et sembla exploser en milliers de pixels fous.

— Je pense que ça a marché, annonça le beau brun.

— ...

— Ok, merci. À plus.

   Renard retira la clé USB de son port, la rangea dans l'une de ses poches, et se leva de sa chaise.

— Il faut qu'on parte rapidement maintenant, dit-il avec sérieux à l'adresse de Charlotte. Le virus va se propager très vite, l'alerte va être donnée d'une minute à l'autre. Si ce n'est pas déjà fait.

— Qui l'aurait déjà fait ? On a réussi à berner le type de l'accueil.

— Deux de leurs employés se sont peut-être déjà réveillés en sous-vêtements derrière un hangar crasseux. Donc on ne traîne pas, et on y va.

   L'angoisse revenant une nouvelle fois s'emparer de Charlotte, la jeune femme se remit à suivre Renard. Elle était en hypervigilance. L'environnement qui l'entourait était maintenant menaçant. Tout pouvait basculer d'une minute à l'autre.

   L'ex-militaire préféra les marches aux ascenseurs, et il eut raison de le faire. Alors qu'ils avaient presque atteint le rez-de-chaussée, une alarme se déclencha dans les hauts-parleurs, suivie aussitôt d'un message dicté par une voix robotisée :

Mesdames et messieurs, nous sommes au regret de vous annoncer que nous entrons en code noir. Pendant toute la durée de cette alerte, les entrées et sorties du bâtiment sont strictement interdites. Chaque accès est condamné le temps que nous procédions à une fouille totale de notre établissement. Merci de vous diriger dès à présent en direction du poste de sécurité afin de vous faire recenser. Nous nous excusons pour la gêne occasionnée, et nous vous souhaitons une agréable journée.

   Charlotte tourna son regard inquiet et apeuré en direction de Renard :

— Qu'est-ce qu'on va faire ?

— On va encore devoir bluffer. Tu me fais confiance ?

   La jeune femme hésita durant une fraction de seconde avant d'acquiescer. Renard l'entraîna alors à sa suite, au rez-de-chaussée, dans le tsunami humain qui s'y déployait. Des dizaines et des dizaines d'hommes et de femmes se ruaient en direction du poste de sécurité où œuvraient d'autres individus visiblement débordés par la situation.

— J'en étais à ma onzième page de rapport quand soudain, POUF ! Plus rien ! se plaignit un homme avec colère.

— Je t'avais dit de sauvegarder régulièrement, lui dit ce qui semblait être sa collègue.

— Je travaille au service informatique, se mêla un autre homme, et je peux vous assurer que cette cyberattaque va faire beaucoup de mal. M'est avis que toutes nos données sont perdues.

— Mais qui a bien pu faire ça ? se lamenta encore quelqu'un d'autre.

— Vous pensez qu'ils sont toujours ici ? pleurait une quadragénaire qui paraissait au bord du burn-out. Et s'ils nous retenaient en otage ? Et s'ils nous abattaient ? Je veux revoir mes filles...

   Autour de Renard et Charlotte, c'était la panique. Si quelques employés manifestaient tranquillement leur agacement d'avoir été interrompus dans leur travail, la plupart d'entre eux semblait plutôt en proie à la détresse.

— Qu'est-ce qu'on fait ? murmura Charlotte à son coéquipier.

— On se fond dans la masse, lui répondit-il sur le même ton. Je cherche la faille.

   Les yeux de Renard scrutaient attentivement chaque détail autour de lui. Les sorties, lorsqu'elles n'étaient pas barricadées, étaient gardées par des individus armés, avec le visage déterminé à faire feu à la moindre incartade. Aucune issue ne semblait possible.

   La masse de monde faisait la queue pour se faire recenser, dans l'espoir d'être rapidement libérée de ce cauchemar. La file d'attente avançait assez rapidement. La discipline restait de mise malgré l'urgence de la situation. C'était bientôt au tour de l'improbable duo.

   À quelques mètres devant eux, les employés devaient montrer leurs badges arborant leurs identités et photos individuelles, tout en acceptant de se soumettre à une fouille minutieuse. Si Renard et Charlotte y passaient, ils étaient perdus. Ils possédaient bien les cartes des pauvres victimes qui s'étaient vues dérober leurs vêtements, mais elles ne leur ressemblaient pas. Lui était blond aux yeux verts, elle était rousse aux yeux gris. C'en était fini d'eux.

— Je veux revoir mes filles... se lamentait toujours la femme devant le duo.

— Mais ferme-la ! s'agaça un homme qui faisait passer sa peur pour de la colère. C'est pas en chialant comme ça que tout ira mieux. Tu nous casses juste les couilles, alors arrête.

— Vous pourriez quand même lui parler autrement, s'imposa un gentleman tiré à quatre épingles. On est tous sur les nerfs, il faut qu'on arrive à se supporter ainsi.

— Dis ça à l'autre grognasse ! Elle fait que chialer, ça m'insupporte.

— Je suis sûr que tout finira par rentrer dans l'ordre, tentait de temporiser l'autre même s'il semblait en difficulté pour réguler ses propres émotions.

— Pas sûr, s'interposa Renard au grand étonnement de Charlotte.

— Comment ça ? demanda la femme dont les pleurs redoublèrent.

— Je travaille à la sûreté et, pour vous mettre dans la confidence, les nouvelles ne sont pas bonnes du tout.

— C'est-à-dire ?! cria presque la quadragénaire tandis que le sang semblait avoir quitté le visage des deux autres hommes.

   Autour d'eux, des oreilles se tendirent. Elles attendaient les explications de Renard avec anxiété. Sérieusement, et sur le ton de la confidence, mais suffisamment fort pour qu'un maximum de personnes l'entende, il dit :

— Le virus informatique a été inoculé en interne. Ils ont réussi à infiltrer les locaux. Ils sont trois. Trois hommes, à priori habillés comme vous et moi.

— Mais pourquoi ont-ils fait ça ?! s'emporta un quidam qui avait été silencieux jusqu'à présent.

— On ne connaît pas encore tout à fait leurs motivations, mais on pense qu'ils cherchent à semer la panique pour que nous en arrivions justement à cette situation. Je suis presque certain qu'ils n'attendaient que ça, que nous nous regroupions tous ici. Ils vont tout faire sauter, j'en suis sûr.

   La quadragénaire faillit défaillir. Un brouhaha indigné commença à s'élever autour d'eux, puis à se répandre comme une traînée de poudre. La rumeur enfla et devint de plus en plus dramatique au fur et à mesure qu'elle était amplifiée par le bouche à oreilles.

— Et comment ça se fait que vous êtes aussi calme ?! demanda le vulgaire homme à Renard.

— Que voulez-vous faire d'autre ? Nous sommes obligés de nous soumettre à leurs règles, aussi idiotes soient-elles.

— Pas question ! Moi, je décide de survivre !

   Avec rage, l'indélicat poussa la foule pour forcer le passage en direction de la sortie principale où des vigiles attendaient, l'arme au poing. Alors, tout s'enchaîna très vite.

   L'homme qui voulait sortir fut repoussé sans ménagement. C'est l'étincelle qui mit le feu aux poudres. Une vague d'indignation se propagea à toute vitesse entre ces humains qui bouillonnaient d'émotions. La peur et la colère qu'ils n'osaient pas vraiment exprimer par correction, incertitude et incompréhension, put enfin éclater avec un objet clairement identifié : la sécurité excessive mise en place.

   Les plus téméraires foncèrent dans les agents de sécurité pour les empêcher de faire leur travail, mais surtout d'appeler du renfort. Dans la lutte, un malencontreux coup de feu partit, tuant immédiatement un innocent individu, et en blessant deux autres. C'était l'incident de trop. Ce qu'ils redoutaient venait d'arriver, la mort s'était invitée à la fête. Pas de la façon attendue, mais ils n'en avaient que faire. Elle était là.

   Il n'en fallut pas plus pour que la foule, qui n'arrivait pas à voir toute la scène, cède complètement à la panique et se rue hors du bâtiment de verre. Sous les yeux de Charlotte, la quadragénaire qui pleurait ses filles quelques minutes plus tôt fut projetée à terre dans la débâcle et, piétinée par les individus pris de folie, mourut dans une souffrance incomparable.

   Charlotte se stoppa de stupeur, bousculée par tous les autres. Sentant qu'il avançait désormais seul, Renard chercha du regard la jeune femme et, lorsqu'il la trouva, lutta contre la foule compacte pour la rejoindre, jouant des coudes au péril de sa vie.

   L'ex-militaire se saisit fermement du bras de sa coéquipière qu'il sentit faiblir, et il l'entraîna avec lui en direction de la sortie. Les jambes de Charlotte manquèrent de peu de se dérober sous elle. Une seconde de plus, et elle finissait comme la pauvre quadragénaire. Cette peur intense lui fit redoubler d'efforts pour fuir cet enfer.

   Mais leur calvaire n'était pas encore terminé. Derrière eux, ils entendirent soudain des coups de feu. D'autres agents de sécurité venaient de faire leur arrivée, alertés par le brouhaha, et ils tiraient à présent dans le tas, eux aussi pris de panique. Une balle passa si près de la tête de Charlotte qu'elle l'entendît siffler dans son oreille. C'était infernal. Son cœur battait à tout rompre, mais elle n'en avait que faire. Elle voulait fuir. Sa poitrine se serrait et son souffle commençait à lui manquer. Il fallait qu'elle retrouve l'air frais de l'extérieur, et vite.

   Après d'interminables minutes, alors que ceux derrière eux tombaient comme des mouches sous l'assaut des balles, la mort se rapprochant à grands pas de là où ils en étaient, Charlotte et Renard atteignirent enfin la sortie.

   Ils étaient libres.

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