Chapitre 12 : Le premier sabotage
La nuit était tombée depuis un moment, lorsque Renard arrêta la voiture dans un bosquet, loin de toute civilisation. Sur le siège passager, Charlotte dormait déjà profondément, la main encore posée sur son collier. Elle était tombée d'épuisement il y avait une heure de cela.
Bercée jusqu'alors par le bruit des moteurs et les cahots de la route, le silence et la fraîcheur de la nuit réveillèrent la jeune femme. Elle ouvrit doucement les yeux, le corps tout ankylosé, et posa son regard sur l'homme à ses côtés. Le siège baissé à son maximum, les mains sur les yeux, il semblait dormir.
— Qu'est-ce que tu veux ? lâcha-t-il sans même retirer ses mains de son visage.
— Comment pouvez-vous me voir ?
— Pas besoin, t'es pas discrète. Tout ton corps s'est tourné dans ma direction. C'était évident.
— Où on est ?
— Je dirais un peu avant Rennes.
— Pourquoi on s'arrête ici ?
— Tu préférerais sûrement qu'on se tue contre un arbre parce que je me serais endormi au volant ?
Charlotte ne répondit rien. Il avait raison, c'était une question bête. Mais elle avait besoin de parler. En temps normal, elle se serait ruée sur son téléphone, ou carrément chez Margaux, pour lui raconter cette histoire dingue, surréaliste. À la pensée de sa meilleure amie, une larme roula sur la joue de la jeune femme.
— Pleurer ne changera pas les choses, dit Renard avec un air détaché.
Charlotte ne l'avait pas vu jeter un furtif coup d'œil dans sa direction. C'est toute gênée qu'elle lui répondit :
— Ça me fait du bien, donc ce n'est pas inutile.
— Dors. Ça te sera encore plus bénéfique. Demain risque d'être mouvementé.
— Pourquoi ?
— Bonne nuit Lapine.
Le grand brun se tourna tant bien que mal sur le côté, dos à Charlotte, la laissant encore et toujours dans le flou, le mystère. C'est avec difficulté qu'elle s'endormit. L'énorme sieste qu'elle venait de faire avait sûrement été de trop.
Charlotte se réveilla, secouée par des balancements un peu plus violents de la voiture en mouvement. Aussitôt, elle jeta un regard à sa gauche, et fut rassurée de trouver Renard, toujours à la même place.
— On est partis depuis longtemps ? demanda-t-elle complètement désorientée.
— Déjà, bonjour. Et, oui, ça fait une bonne heure que je roule après avoir pris le temps de déjeuner tranquillement et de planifier notre matinée.
— Il y a quoi à déjeuner ?
— Des barres de céréales dans le coffre. T'attendras qu'on s'arrête.
— On s'arrête quand ?
— Dans une centaine de kilomètres, désolé.
— On va où ?
— Tu poses toujours trop de questions. Laisse-toi vivre, de toute façon t'as pas trop le choix.
Boudeuse, Charlotte s'enfonça dans son siège, bras croisés. Et si cet homme lui voulait finalement du mal ? S'il l'avait sauvée à des fins machiavéliques ? Où l'emmenait-il ? Pourquoi tant de mystères ?
Une cinquantaine de kilomètres plus loin, alors que Charlotte ne décroisait toujours pas ses bras, Renard éclata soudainement d'un rire qui semblait vide de toute émotion aux oreilles de la jeune femme :
— Tu vas faire la tronche jusqu'à ce que je te permette de te nourrir ?
— Je suis agacée par tous ces secrets que tu fais.
— Je t'assure que c'est pour t'en protéger. N'oublie pas, moins tu en sais, mieux tu te portes.
— J'ai besoin de savoir. Moins j'en sais, plus j'ai peur. On ne se connaît pas, je ne sais pas de quoi tu es capable.
— Je t'ai sauvé la vie.
— Peut-être pour mieux m'abattre après ?
— Dans quel but ?
— Je ne sais pas. Peut-être que tu es avec eux. Tu vas peut-être me livrer à l'ennemi. Ils feront alors peut-être de moi une victime de sévices horribles. Peut-être que...
La voix de Charlotte se brisa. Renard arrêta la voiture.
— Vas-y, dit-il. Sors. Tu es libre.
La jeune femme ne bougea pas d'un pouce.
— Alors ? insista-t-il. Tu n'y vas pas ?
— Je n'ai nulle part où aller.
— Descends te chercher un truc à manger dans le coffre. Dépêche-toi, on prend du retard avec tes états d'âme.
Charlotte s'exécuta rapidement, surtout de peur qu'il s'en aille sans elle. Elle engloutit deux barres de céréales avec une portion de jus de fruits en brique. En tant normal, elle aurait trouvé ça insipide. En ce moment, c'était le meilleur repas qu'elle pouvait avoir.
— C'est bon ? demanda Renard une fois qu'elle eut terminé son petit-déjeuner. T'es calmée ?
— Je ne suis pas une gamine.
— Tu te comportes tout comme.
Charlotte allait bouder à nouveau, mais cela aurait conforté Renard dans son comportement vis-à-vis d'elle. Alors, elle se contenta de feindre l'indifférence.
— Dis, la relança le grand brun, si je te nourris après minuit, je risque quelque chose ?
La jeune femme leva les yeux au ciel. Elle se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas rire. Hors de question de lui faire ce plaisir.
Une autre cinquantaine de kilomètres plus loin, Charlotte sentit le visage de Renard se fermer. Il ne conduisait plus aussi nonchalamment qu'avant. Tout dans sa posture avait changé. Il était aux aguets.
Au loin, la jeune femme put percevoir ce qui ressemblait à un camp. Tandis qu'ils étaient toujours dans une forêt assez dense, Renard alla garer leur véhicule entre deux énormes buissons, mais il n'en sortit pas. Son visage semblait analyser chaque millimètre carré de ce qui les entourait. Ses yeux paraissaient faire des calculs, des statistiques, un plan.
— Qu'est-ce... commença Charlotte avant d'être interrompue.
— Chut !
— Mais...
— Tais-toi !
Soudainement inquiète, Charlotte se tut. Elle s'était aussi mise à guetter le moindre mouvement autour d'elle, le moindre bruit. Que se passait-il encore ?
Puis, elle crut percevoir un bruit de moteur au loin, étouffé par la végétation très dense. Renard devait sûrement avoir entendu la même chose car ses muscles semblèrent se contracter. Il ressemblait à un fauve prêt à bondir sur sa proie.
— Cache-toi sous le tableau de bord, lui ordonna-t-il en chuchotant.
— Pourq...
— Pas de question. Fais ce que je te dis, si tu veux rester en vie.
À contrecœur, Charlotte s'exécuta. Bien que fine, elle était quand même à l'étroit entre le siège et le tableau de bord. Mais que se passait-il à la fin ?!
La jeune femme ralentit inconsciemment sa respiration, suivie de son rythme cardiaque. Elle était à l'affût. Privée de tout support visuel, elle se concentrait sur son ouïe. À côté d'elle, Renard avait quitté le véhicule. Il était allé chercher quelque chose dans le coffre, puis avait semblé s'éloigner à très petits pas dans la végétation.
Je suis seule, paniqua alors la jeune femme. Elle sentit ses muscles se tendre, son rythme cardiaque s'affoler. Elle voulait sauter et courir auprès de Renard qu'elle ne connaissait pourtant pas. Et si c'était un piège de sa part ? Et s'il allait la tuer maintenant en faisant exploser la voiture ? Mais dans quel but ? Pourquoi faire ça ainsi ?
Le son émit par le moteur perçu il y a peu se rapprochait d'elle. Il avait maintenant complètement couvert les bruits de Renard. Il était impossible pour la jeune femme de savoir dans quelle direction il était parti.
Ce qui semblait être un énorme camion passa assez près d'elle, et continua sa route. Elle l'entendît rouler encore quelques mètres avant d'être soudainement secouée par une énorme explosion qui fit trembler le sol et se propager un nuage de chaleur. La deuxième en deux jours.
Ensuite, tout s'enchaîna très vite. Renard revint en courant jusqu'à la voiture et bondit sur le siège avant. Il jeta une arme sur le siège arrière puis, tout en parlant à Charlotte, il démarra :
— Rassieds-toi et attache-toi. On doit partir immédiatement, on va être un peu secoués.
Livide, la jeune femme se réinstalla sur son siège, attacha sa ceinture avec difficulté tellement ses mains tremblaient, et elle se laissa porter. Sa mâchoire était tellement serrée qu'elle commençait à en avoir la migraine.
Derrière eux, un incendie monumental gagnait du terrain. Une course folle entre le 4x4 et les flammes s'était engagée. Il fallait qu'ils sortent de cet enfer avant qu'il ne soit trop tard.
Le visage grave, Renard conduisait le véhicule d'une main de maître. Le 4x4, malgré son imposante carcasse, semblait voler au-dessus du sol. Le paysage défilait à tout vitesse sous les yeux de Charlotte, morte de peur. Ses doigts glissaient compulsivement sur son collier malmené.
Ils virent enfin la sortie de la forêt droit devant eux. Alors qu'ils s'y précipitaient aussi vite que possible, le feu fragilisa un arbre sur leur gauche qui s'abattit en travers de leur route, complètement embrasé. Avec des réflexes qui parurent surhumains à Charlotte, Renard l'évita de justesse et poursuivit sa route, hors du chemin cette fois.
Bringuebalés dans tous les sens, la chaleur envahissant de plus en plus l'habitacle, Charlotte se voyait mourir brûlée vive. L'air commençait à devenir âcre, respirer était maintenant difficile. Si Renard pliait, ils étaient cuits.
Mais Renard ne plia pas. Il évita chaque obstacle avec une apparente facilité, jusqu'à réussir à enfin sortir de cette forêt infernale.
Quand ils furent plus loin, le grand brun gara la voiture sur le bas-côté, le souffle court. Ils jetèrent un regard derrière eux, et purent apercevoir l'étendue de l'incendie. C'était énorme, incontrôlable. Il faudra plusieurs jours, si ce n'est plusieurs semaines, avant de réussir à s'en débarrasser.
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