Chapitre 3 : Chloé


« Chloé, réveille-toi, on est arrivé... me murmura ma tante. »

La voiture venait juste de se garer dans une allée, devant une superbe maison en bois. Je n'en croyais pas mes yeux, au moins ça nous changera de notre ancien appartement. Cela faisait deux ans que Richard, mon oncle, attendait sa mutation. Deux ans que l'on vivait dans des cartons.

Très peu enthousiaste, j'avais quand même hâte de voir à quoi ressemblait cette maison. Je descendais donc de la voiture pour pouvoir vider le coffre. C'était notre dernier voyage, et heureusement car j'en avais assez d'être trimbalée de gauche à droite. C' était dans ces moments là que l'on se rendait compte que l'on avait pas vraiment d'amis. Mon oncle était un avocat assez réputé, il passait sa vie au travail et rentrait toujours très tard à la maison. Ma tante, Cassey, était institutrice, et entre préparer ses cours, aller au yoga, au tennis, et ses cours de cuisine... Autant dire que j'étais souvent toute seule. La plupart du temps on se croisait pour le petit- déjeuner, et ensuite chacun faisait sa vie de son coté.

Enfin arrivée dans le salon, je déposais mes affaires. il était immense et donnait sur une cuisine américaine. Mon oncle me cria du premier étage que ma chambre se trouvait au sous-sol. Je reprenais donc mes affaires et me dirigeai vers le sous-sol. À ma grande surprise, ma chambre faisait la totalité du sous-sol, on aurait dit une sorte de grand atelier, ce qui me réjouissais au plus haut point. Je m'empressais donc de déballer mes cartons.

« J'ai fait insonorisé ta chambre, comme ça tu ne dérangeras ni les voisins, ni ta tante quand tu joueras de la guitare. Sa voix me fit sursauter, je ne l'avais pas entendu arriver celui-là... »

Cette annonce me fit l'effet d'une douche froide, je sentais ma respiration se couper. Pendant cinq petites minutes, j'y ai cru. Une nouvelle ville, une nouvelle vie. Je ne pouvais que hocher la tête. Il me fit un sourire et remonta.

Je pouvais respirer de nouveau, mais mes mains tremblaient toujours. Il fallait que je prenne l'air, je laissais donc mes affaires sur le lit et me frayais machinalement un chemin vers le jardin. L'air frais me caressait le visage, mes yeux se fermèrent doucement, et je laissais ce sentiment de liberté envahir tout mon corps, comme si plus rien ne pouvait m'atteindre.

Lycée Emile Newton

Comme à mon habitude, je me dirigeai vers le fond de la classe. Le cours de philosophie m'ennuyait tellement que je me mettais toujours au fond pour écrire ou dessiner tranquillement.

Elle arrivait toujours en retard avec un sourire collé aux lèvres, mais ses yeux, eux, ne riaient pas. Sans que je m'en rende bien compte, mes mains se mirent à dessiner son regard. Depuis la rentrée, je l'avais prise pour modèle, la moitié de mes dessins la représentait. Elle avait ce je ne sais quoi, qui vous attirait, vous hypnotisait. Ses yeux verts étaient à la fois, tristes, profonds mais pétillants. La sonnerie de fin de cours me sortit de ma rêverie, je n'avais absolument pas vu les deux heures de cours passer.

Je déposais mes affaires dans mon casier et me pressais de rejoindre les autres malgré le fait que le couloir soit bondé. J'essayais de me faufiler entre les élèves quand soudain je sentis quelqu'un me rentrer dedans, mon carnet de dessins m'échappa des mains sans que je puisse le rattraper à temps. Toutes les feuilles s'étaient éparpillés au sol, c'est alors que j'entendis sa voix...

« Oh mon dieu ! Je suis vraiment désolée ! Je regardais mon téléphone, je ne t'avais pas vu, attends je vais t'aider à ramasser. »

Je relevais lentement la tête pour pouvoir confirmer que je me trouvais bien en face d'elle. C'est à ce moment-là qu'elle me regarda de ses yeux verts et perçants.

- Ne t'excuse pas, ce sont des choses qui arrivent. Je me dépêchais de ramasser les feuilles éparpillées, en réalisant que la moitié des dessins la représentait. »

Ce qui ne pouvait pas lui échapper puisqu'elle tenait justement trois dessins d'elle. Je profitais de son étonnement pour les lui reprendre et prendre mes jambes à mon cou, son regard pointé vers moi jusqu'a ce que je pénètre dans la cafétéria.

Lara faisait la conversation à elle toute seule. Nathan avait lui, pris place à coté de moi. Selon Lara, Nathan aurait un faible pour moi, et ne ratait aucune occasion pour me le dire, surtout lorsqu'il me regardait longuement en pensant être discret. L'inconvénient, c'est qu'il ne m'intéressait pas du tout. Il était pourtant l'un des garçons les plus populaires du lycée, brun, yeux bleus, sportif, sourire charmeur, mais un peu simplet. Sinon il aurait déjà remarqué que Judith et Bérénice le dévoraient littéralement des yeux.

S'il pouvait tenir une conversion autre que le sport et la politique, je pense que cela aurait pu fonctionner. Mais là, je saturais complètement, heureusement que les cours reprenaient dans cinq minutes.

Elle avait surement remarqué mon changement furtif de place, puisque c'était habituellement ma voisine d'anglais. Mais elle ne fit aucun commentaire et alla s'asseoir près du radiateur. Au lieu de me sentir soulagé, je me sentais encore plus mal. Le cours passa assez vite et pour une fois j'avais hâte de rentrer chez moi. Je pris mes affaires et sorti de classe. J'avais l'habitude de couper par le parc pour rentrer quand soudain quelqu'un cria mon nom. Lara et Nathan n'habitaient pas dans le coin, je décidais donc d'ignorer et de marcher de plus en plus vite. Mais j'entendis mon nom retentir encore une fois et reconnu alors la voix en question.

« Hé ben, t'es une rapide toi ! dis Jude, en rigolant.

- Oui désolée, j'ai un peu flippé. Répondis-je en souriant.

- Tu t'appelles Chloé, si je ne me trompe pas ?

- C'est moi-même ! m'exclamais-je.

- J'ai vu tes dessins, et je dois dire qu'ils sont plutôt pas mal. Tu dessines vachement bien. »

Il fallait bien qu'elle aborde le sujet à un moment où un autre, ce n'était pas ma journée. Comment expliquer les tonnes de dessins d'une personne à qui l'on a jamais adresser la parole. Un simple merci devrait couper court à la situation.

« Merci.

- Mais de rien. Au fait, je m'appelle Jude, dit-elle en me tendant la main.

- Chloé, la nouvelle ! Il se fait tard, je devrais sûrement rentrer, ravie d'avoir fait ta connaissance Jude. dis-je en essayant de fuir le plus rapidement possible.

- On peut rentrer ensemble si tu veux, tu habites dans le coin, je suppose ?

Et zut.

- Oui, j'habite juste derrière le parc, dans la rue...

- Sérieux ? On est voisines alors, j'habite dans la même rue ! On pourra faire le chemin ensemble plus souvent.

- Je suppose oui...

Le silence s'installa pendant une bonne dizaine de minutes, puis elle reprit la parole.

- Tu viens d'où ? Tu as quelle âge ? Moi 18 ans ! Tu me dis si je te saoule avec mes questions. J'ai l'habitude de faire subir des interrogatoire à tout le monde... dit-elle en me faisant un clin d'oeil.

- Ma famille a été muté ici, j'ai un peu été obligé de suivre le mouvement. Et ne t'inquiètes pas, tu ne me soules pas du tout.

- Tant mieux alors !

On arriva pile devant sa maison, on se dit au revoir, et au moment de refermer sa porte elle se retourna et me dit en souriant :

- Tu me montreras le reste de tes dessins la prochaine fois ?

- Promis. »

Je me dépêchais de rentrer chez moi, sorti mon carnet et commençai à trier mes croquis. Plus de la moitié la représentait, deux choix s'offraient à moi : soit je lui montrais le tout et passais pour une psychopathe, soit j'enlevais tous les dessins d'elle et lui montrais le reste. Vous pouvez imaginer celle que j'ai choisi.

Une bonne douche. Une série. En m'endormant ce soir là, je me disais qu'au final, cette journée n'était pas si mal que ça.

J'ouvris les yeux, étrangement sereine, je n'avais pas passée une aussi bonne nuit depuis longtemps. Je devais passer prendre Jude, je me dépêchais donc de me préparer. Moi qui ne jetais habituellement aucun regard à mon miroir, je m'y arrêtais quand même pour voir si j'étais présentable.

8 heures. C'est sa mère qui m'ouvrit la porte en insistant sur le fait que Jude était toujours en retard et que je pouvais l'attendre dans le salon. Je l'entendis alors descendre les escaliers en courant.

« Désolée pour le retard, Chloé ! »

Elle n'était absolument pas du matin à ce que je voyais. On parla très peu sur le chemin, arrivées en retard en cours, je me posais à coté du radiateur et elle prit place à coté de moi.

Par reflex, je sorti mes affaires et mon carnet de croquis. Le cours débuta et je me mis mécaniquement à dessiner un sourire, celui de ma mère. J'essayais de me remémorer son visage, mais plus j'essayais et plus il s'effaçait.

« Qui est-ce ? me demanda Jude, intriguée.

- Ma mère...

- Jolie sourire... Tu me fais voir ton carnet ?

J'acquiesçais en le lui tendant, elle le feuilleta en faisant des remarques ici et là.

- Il en manque quelques-uns non ? demanda-t'elle avec un grand sourire.

- Oui, j'en avais beaucoup trop de toute manière... répondis-je en espérant qu'elle ne voyait pas à quelle point je rougissais.

- C'est ce que je pensais, j'ai cru apercevoir mon portrait, l'autre jour...

- J'aime bien dessiner les gens qui m'entourent.

- Je comprends, tu me les montreras ? Enfin mes portraits je veux dire.

- Si tu es sage.

Elle me rendit mon carnet, en me souriant, et se tourna lentement vers le tableau. J'en fis autant.

Le reste du cours se passa tranquillement, elle retrouva ses amies et moi les miens. La journée passa très vite et il était déjà l'heure de reprendre le chemin de la maison. Je m'arrêtai pour chercher mes écouteurs quand je reconnu la voix de Jude.

« Hey ! Tu ne m'attends même pas pour rentrer ?

- Excuse-moi, je ne pensais pas qu'on finissait en même temps. »

Au fil des jours, on avait pris l'habitude de faire le chemin ensemble, on parlait de tout et de rien, je m'arrêtais de temps en temps prendre les fameux cookies de Maman Dove pour le goûter et je rentrais chez moi. C'était devenu notre rituel. Et je commençais à m'y habituer, mais il y a toujours un retour brutal à la réalité.

J'appréhendais toujours ses retours de voyages. Ces derniers temps j'étais plutôt sur un nuage à cause de Jude, ou plutôt grâce à elle. Alors j'avais commencé à oublier... Mais ce soir, il rentrait.

Je me souviens de la première fois. C 'était deux mois après l'accident de mes parents. Ma tante était à son cours de yoga et mon oncle prenait sa douche dans la salle de bain à l'étage, quand tout à coup j'entendis la porte de ma salle de bain grincer. Il était là devant moi, avec seulement une serviette.

Il m'a demandé de lui faire plaisir. Quand tu as 7 ans et que tu entends cette phrase, tu te dis simplement qu'il avait besoin que tu ailles lui chercher quelques choses ou encore qu'il avait besoin de toi. Ensuite il a rajouté que cela ne ferait pas mal. Comme tout enfant je m'étais pas poser de questions et je me suis approchée de lui. Il s'est alors saisi de ma petite main et la mise sur lui en la bloquant avec la sienne.

Très vite j'ai eu peur de ce qui m'arrivait. J'ai commencé à paniquer comme si l'on me plongeait dans un bain de glace. Le silence, la mort qui arrive. Je savais qu'il n'y avait personne pour m'aider. Que se passait-t'il ? Que faisait-il ? Je commençais à pleurer. À vouloir me libérer. Mais il ne me lâchait pas. Il me disait de me taire, de continuer, que cela lui faisait du bien. Je réussis à me dégager et à partir. Il me rattrapa en me persuadant de ne rien dire et que si je ne disais rien, il serait super gentil avec moi. Que tous les enfants faisaient ça pour faire du bien et que de toute manière entre lui et moi, ma tante le croirait lui.

Je n'ai rien dit. Tout simplement parce qu'il avait raison sur ma tante. C'était une femme naïve, soumise et qui terrait au fond d'elle un mal-être évident. Avec un mari aussi dominateur qui ne le serait pas. Si j'avais dit à cette époque que mon oncle me faisait ce genre de chose. Le mensonge aurait été tellement énorme que j'aurai été puni. Alors comme tout enfant je me suis tût.

Ma tante avait quand même remarqué mon renferment mais elle le mit sur le compte de la perte de mes parents. Je ne parlais plus à personne et tout le monde trouvait cela normal après ce qui était arrivé.

Plus le temps passait plus j'avais du mal à faire ce qu'il me demandait, surtout que je grandissais et comprenais que tout cela n'était pas normal. Je baissais les yeux et regardais mes bras, parsemés d'entailles plus au moins profondes. Ma manière à moi d'évacuer le mal être. Je me décidais alors à sortir de mon lit et à répondre au message de Jude en lui donnant rendez-vous chez elle.

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