Le reflet du miroir
Ma vie était tranquille, banale, sans intérêt. Je n'étais qu'une simple adolescente en pleine puberté, studieuse, avec peu d'amis, mais loyaux. Étant l'aînée d'une fratrie de quatre enfants, des jumeaux de différents sexes et un petit frère, ma tranquillité était rare, souvent interrompue par des disputes et des crises des petits.
Je me souviens très bien de ce jour. C'était le 3 septembre, plus particulièrement la rentrée des classes. Après avoir rejoint ma bande d'amis et regardé dans quelle classe nous étions, nous nous étions dirigés vers notre salle. Heureusement, nous nous trouvions tous dans la même classe, facilitant notre entrée au lycée.
La matinée se résumait à nos emplois du temps et à un discours de la part de notre professeur principal, portant sur l'assiduité dont devrions faire preuve durant nos trois prochaines années, capitales pour notre avenir. Après cette ennuyeuse matinée, nous avions enfin pu rentrer chez nous. C'était une rentrée comme les autres.
Un mois plus tard, alors que je commençais déjà mes révisions, j'entendis un bruit de vaisselle cassée. Je soupirai, levant les yeux au ciel, pensant que c'était encore les jumeaux qui se battaient. Mes parents n'étant pas là pour régler leurs différends, je décidais donc de descendre m'en occuper. Marche après marche, je commençai à froncer les sourcils.
Si d'habitude leurs éclats de voix s'entendaient depuis les escaliers, aujourd'hui, je ne percevais rien de suspect. J'accélérai le pas, le stress commençant à monter. Arrivée au bout de l'escalier, je me précipitai en direction de la cuisine, et... je m'arrêtai net.
Rien. Il n'y avait rien. Pas de vaisselle cassée, pas de bout de verres, les jumeaux ne se trouvaient même pas dans la cuisine. Je les appelais, mais n'eus pas de réponse. Je me dirigeai tout d'abord vers le salon, où trônait fièrement la télévision, prenant toute la place du meuble sur lequel elle était posée.
Personne.
Je décidais donc de me rendre dans leur chambre. Les lits n'étaient pas faits, et des habits et livres en tout genre occupaient le sol. Mais, ils n'étaient pas là. Il n'y avait personne.
Paniquant, j'ouvris les portes les unes après les autres.
Toujours personne.
Ma respiration se faisait haletante, tandis que la peur prenait possession de mon être. Et s'ils s'étaient fait enlever alors que je me trouvais ici ? Que je n'avais rien entendu ? Si c'était de ma faute ? Comme réagiraient les parents ?
Ressassant des questions de plus en plus angoissantes, je ne me rendis pas tout de suite compte que quelque chose d'autre clochait. Je reculai de quelques pas, m'arrêtant devant la porte de la salle de bain que je venais de dépasser.
Elle était fermée.
Fermée.
Alors que je l'avais ouverte en grand, sans la fermer. M'interrogeant sur le pourquoi du comment, un claquement se fit entendre. La porte de la chambre de mes parents venait de se fermer, elle aussi.
Toute seule.
Mes mains tremblaient, ma respiration toujours plus haletante, la sueur coulant le long de mon front, je me retournai lentement en direction du corridor. De là où j'étais, je pouvais voir toutes les portes.
Une troisième se claqua brutalement, me faisant sursauter. Mes yeux scrutaient le moindre recoin, à la recherche d'un quelconque personnage fauteur de troubles. Je ne voyais rien, ni personne pouvant expliquer ce qu'il venait de se passer. Une porte s'ouvrit, et je poussai un petit cri.
Des éclats de rire me parvinrent aux oreilles, et je reconnus sans hésitation le rire, semblable à un bêlement, de ma sœur. Dévalant les escaliers, je me rendis à leur rencontre, et je les pris dans mes bras, soulagée.
"Mais où étiez-vous donc passés ? leur demandai-je, avide de réponses.
- Bah, au foot, me répondit mon frère, ne comprenant pas ce qui m'arrivait.
- Au... Au foot ?
- Bah oui, on a foot le vendredi soir. T'avais oublié ? me répondit cette fois ma sœur, déçue que je les ai oubliés.
- Mais pourquoi vous ne m'avez pas prévenue que vous étiez partis ?
- On voulait pas te déranger, t'étais en plein dans tes devoirs.
- La prochaine fois, prévenez-moi, je me suis inquiétée en ne vous voyant pas vous disputer. C'était tellement calme, je suis pas habituée, moi."
C'est sur cette touche d'humour que nous nous séparâmes, mon inquiétude et mon moment de panique déjà oubliés. Peut-être aurais-je mieux fait de ne pas l'oublier, ce moment étrange.
Deux bons mois s'étaient écoulés depuis la soirée mouvementée, comme j'aimais l'appeler, et rien ne s'était produit d'étrange depuis.
Aujourd'hui, nous étions le 24 décembre, au soir. Les convives se tenaient dans le séjour, tandis que j'étais partie retoucher mon maquillage. Alors que je posais délicatement mon rouge à lèvres bordeaux sur mes lèvres, la lumière de la salle de bain, celle se trouvant au-dessus du miroir, se mit à flancher, comme si quelqu'un s'amusait à éteindre puis rallumer la lumière.
Je soupirai, pensant que c'était encore une des blagues de mon petit frère, lorsque je me rappelais brusquement ce qu'il s'était passé il y deux mois de cela, lorsque j'avais cru à une dispute des jumeaux.
La lumière s'éteignit alors brusquement, mais ne se ralluma pas. Mes muscles se crispèrent, mais je ne bougeai pas. Ma conscience me hurlait de le faire, mais, pour une raison inexplicable, j'étais dans l'incapacité de faire le moindre mouvement. Je voulais m'enfuir, je le voulais, vraiment, mais tout ce que j'arrivais à faire, c'était ranger mon maquillage dans ma pochette.
Ce geste fait, je m'accrochai alors au rebord du robinet, tandis que mes jambes tremblaient. D'un coup, la chaleur que procurait le radiateur se coupa, remplacée par une fraicheur presque glaciale. Le changement de température se fit rapidement, aussi vite qu'un claquement de doigt.
Un souffle chaud se fit alors sentir dans mon cou, seule source de chaleur dans cette pièce aussi froide qu'un congélateur. Mes poils se hérissèrent, comme si quelqu'un passait ses doigts le long de mon bras. Dans le miroir, je vis une de mes mèches, échappée de mon chignon, se remettre en place derrière mon oreille, sans que je n'esquisse le moindre geste. Je portais ma main près de mon oreille, comme si j'espérais, inconsciemment, pouvoir toucher la chose qui m'avait remis en place la mèche. Pendant un bref instant, j'eus l'impression de toucher quelque chose. Un frisson me parcourut, avant que je ne me détache de cette paralysie. Je me ruai vers la porte de la salle de bain et abaissai la poignée d'un coup sec.
Mais la porte ne s'ouvrit pas.
La clé ne se trouvait plus dans la serrure. J'appuyai et relâchai la poignée, tentant désespérément d'ouvrir cette porte qui me résistait. Je fus obligée de me rendre à l'évidence, j'étais bloquée dans ma salle de bain. Je me mis alors à chercher, dans la pièce plongée dans le noir puisque la lumière ne se rallumait pas non plus, la clé.
Après dix minutes, je soupirai une nouvelle fois, et m'adossai contre la porte. Je glissai le long et une fois assise au sol, je pris ma tête entre mes mains. Bien évidement, j'avais laissé mon téléphone dans ma chambre et la salle de bain était trop loin pour que quelqu'un m'entende depuis le séjour.
Ce fut vingt longues minutes plus tard que des pas résonnèrent dans le couloir. Je me relevai précipitamment, époussetant ma robe, remettant mes cheveux en place. J'avais prévenu ma mère que j'allais dans la salle de bain une demi-heure plutôt, ça ne pouvait donc être qu'elle.
Avant que je n'eus le temps de la prévenir que la porte était fermée, je vis la clenche s'abaisser et la porte s'ouvrit brusquement. La lumière du couloir m'éblouit, et je me protégeai vivement les yeux à l'aide de mes bras.
"Je peux savoir ce que tu fabriquais ici, dans le noir en plus ? Et puis il fait une chaleur, peux-tu baisser le chauffage s'il te plaît ?"
Je la regardai, estomaquée. Il faisait un froid de canard, ne le sentait-elle donc pas ? Et comment avait-elle fait pour ouvrir la porte ?
Voyant que je ne bougeais pas, ma mère entreprit de faire le travail qu'elle venait de me demander, elle-même. Elle repassa devant moi, et inquiète, posa sa main sur mon front.
" Oula ma chérie, tu es brûlante. Va te coucher, je dirai aux invités que tu t'excuses mais que tu es malade."
J'hochai la tête, ne sachant quoi faire d'autre, et me dirigeai vers ma chambre. Ne prenant pas la peine de me déshabiller, ni de me démaquiller, je me laissai tomber sur mon lit, et m'endormis.
Plusieurs faits étranges se reproduisirent durant les quelques mois qui me séparèrent des vacances de Pâques, si bien que je n'osais plus rester seule à la maison, trouvant tout un tas de prétextes pour m'enfuir de cette demeure, que je qualifiais désormais de hantée. Après avoir étudiée de nombreuses hypothèses, plus invraisemblables que les autres, j'avais dû me rendre à l'évidence, que cette conclusion était la plus plausible.
Venaient donc les vacances de Pâques. Je les passais principalement aux côtés de mes frères et ma sœur, à leur plus grand bonheur. Mes parents, ayant remarqués mon comportement soudain ouvert, avaient tenté de me poser des questions, sans grand succès. Je donnais l'excuse de "l'adolescence", mais en réalité, je ne pouvais plus supporter rester seule dans une pièce. Le pire venait la nuit. Mes nuits se faisaient courtes, entre-coupées par des cauchemars et des insomnies.
Une semaine était passée depuis le début des vacances, lorsque j'appris une nouvelle qui me terrifia. Mes grands-parents avaient proposé de nous prendre chez eux le temps que les vacances se terminent, et mes parents, pensant que je prenais du retard dans mes devoirs étant donné que je passai mes journées à m'occuper des plus jeunes, avaient pris l'initiative d'envoyer les petits là-bas, me laissant seule avec mes pensées et mes cauchemars.
Ce que je craignais arriva. Deux jours après leur départ, alors que je prenais mon petit-déjeuner dans la cuisine, tout en regardant sur mon téléphone les dernières nouveautés de ma boutique préférée, j'entendis un bruit venant du bureau de mon père.
Mes cauchemars se reproduisant dans ma tête, les souvenirs se bousculant, je déposai mon téléphone sur la table avant de me lever. Devant la porte, j'hésitais à rentrer. Qu'allais-je trouver cette fois? Prenant mon courage à deux mains, je poussai la porte, déjà entrebâillée.
Un pas après l'autre, j'observais les alentours, cherchant ce qui avait bien pu provoquer le bruit de tout à l'heure. Ne voyant rien dans la pièce principale, je me dirigeai vers la petite salle adjacente. C'était une grande bibliothèque, où j'aimais passer mon temps libre, lorsque j'étais enfant.
Les yeux illuminés, je passai mon doigt le long des reliures, replongeant dans des souvenirs heureux. Les titres s'enchainaient, leurs seuls points communs étant les nuits blanches que je faisais pour arriver au bout de ces merveilles. Alors que mon doigt passait sur Jane Eyre, un roman de Charlotte Brontë, je m'arrêtai net, fronçant les sourcils. Il y avait un trou ; il manquait un livre. Je baissai les yeux vers le sol. Il était par terre. Je me baissai et le ramassai.
Alors que je me relevai, j'entendis un bruit sourd : un autre livre, venant d'une étagère plus haut, venait lui aussi de tomber. Je me rabaissai pour le ramasser, mais un troisième livre tomba. Les livres se firent projeter, un par un, de la bibliothèque, la plupart me tombant dessus.
Je me protégeai tant bien que mal, mes bras devant mon visage, lorsque j'entendis un rire. Le rire était aigu, semblable à celui d'un esprit frappeur diabolique. Je ne savais pas d'où il venait, mais, une chose était sûre, je n'étais pas seule dans cette maison.
Un frisson de terreur me parcourut, et je sortis en courant du bureau de mon père, le livre que j'avais ramassé précédemment toujours dans ma main. C'était les Hauts de Hurlevent, un roman d'Emily Brontë, le seul à ma connaissance. Le livre à la main, je me précipitai d'abord vers ma chambre, avant de faire brusquement demi-tour, direction le jardin. Le rire retentissait toujours à mes oreilles, mais je ne sus dire s'il était toujours là ou bien si ce n'était que la peur qui atténuait mes capacités.
Une fois dehors, je pouvais enfin souffler. Mais ma pause fut brève, bien trop à mon goût d'ailleurs car, alors que je me dirigeai vers le hamac pendu entre deux arbres dans l'optique de me reposer et de lire un peu, je vis sur le mur ces mots là, écrits de manière enfantine, les lettres s'arrondissant bizarrement.
" BIEN QUE JE M'AMUSE, L'HEURE VIENDRA OÙ TOUT CELA NE ME SUFFIRA PLUS. ET LORSQUE CE JOUR ARRIVERA, MA PETITE, TU SOUFFRIRAS TANT QUE TU N'EN SORTIRAS PAS INDEMNE "
Je ne sus dire si le plus effrayant était le message en lui-même ou bien le fait qu'il soit écrit avec une substance non recommandable. Vous l'aurez certainement deviné, le message était écrit avec du sang. Un flash me revint en mémoire. Je relevai mon T-Shirt, et jetai un regard vers ma hanche gauche : une grande cicatrice se trouvait là, allant de mon bassin jusqu'à la naissance de ma poitrine. Je ne me rappelais pas comment je m'étais faite cette cicatrice, ni comment elle avait cicatrisé aussi vite, mais je comprenais quelque chose. Ce message n'était pas seulement fait avec du sang, mais il était écrit avec mon sang. Le début de ma fin s'annonçait bien plus proche que prévu.
Cela faisait trois jours. Trois jours que j'avais lu le message. Il repassait sans cesse dans ma tête, me narguant, m'annonçant, subtilement, une mort affreusement douloureuse. J'avais été obligée d'effacer le message le jour même, avant que mes parents ne le voient, et j'y avais passé plusieurs heures, encrant plus profond, si c'était possible, le message dans mon esprit.
J'avais découvert, ces derniers jours, la véritable signification du mot "peur". Ce n'était pas seulement un peu de surprise, lorsqu'on ne s'attend pas à voir quelqu'un. La véritable peur c'était autre chose. C'était un sentiment qui prenait possession de nous. Elle nous tordait les tripes, nous empêchait de respirer, nous rendait parano. Cette peur ne me quittait plus, elle me suivait partout, prenant possession de mon être. C'était comme un virus, un virus mortel, très douloureux, que mon système immunitaire ne parvenait à rejeter.
Me maudissant sur mon incapacité à résister à ce sentiment destructeur, je parvenais tout de même à l'oublier l'espace de quelques instants, le temps de m'évader dans la lecture. Après avoir finie les Hauts de Hurlevent, j'avais décidé de replonger dans mes souvenirs d'antan en recommençant une énième fois la lecture des Harry Potter.
Lorsque j'ai découvert l'univers fabuleux de la magie et la tragique histoire de l'orphelin, c'était dans mon lit, après un cauchemar. Mon père, avec qui j'entretenais une relation très fusionnelle à cette époque, était venu me rassurer après un cauchemar à propos d'un fantôme. Ironie quand tu nous tiens. Il m'avait préparé un chocolat chaud et, emmitouflée dans ma couette à l'effigie des princesses Disney, je m'étais rendormie durant le premier cours de vol. Mon père avait continué de me lire cette saga pendant très longtemps et à chaque fois que je refaisais un mauvais rêve, il ressortait ces merveilles. C'était une tradition que j'avais continuée, et c'est pourquoi je me retrouvais, assise confortablement dans un fauteuil du salon, à lire Harry Potter à l'école des sorciers.
Tandis que Harry faisait disparaître la vitre de l'enclos dans lequel se trouvait le serpent, je sentis un souffle dans mon oreille. Je sursautai brusquement, mais n'arrêtai pas ma lecture pour autant. Marre de toujours réagir au quart de tour à chaque fois que quelque chose de bizarre survenait. Le souffle dans mon oreille, semblable à une respiration, ne s'en alla pas pour autant.
D'abord dans un murmure imperceptible, puis de plus en plus fort, la chose prononçait des mots.
"Tic
Tac
Tic
Tac"
Je ne compris pas tout de suite pourquoi il imitait le bruit du temps qui s'écoulait.
Le temps qui s'écoulait.
Je relevai ma tête en direction de l'horloge. Les aiguilles semblèrent avancer de moins en moins vite, les secondes s'allongeaient, les minutes semblaient durer des heures, quand soudain, l'horloge s'arrêta. Le temps sembla se figer un bref instant qui me parut le plus long de ma vie.
L'horloge ne redémarrait pas. Peut-être était-elle cassée ? Peut-être était-ce tout simplement une coïncidence ? J'avais beau en douter, c'était la seule explication plausible.
Me convainquant que c'était cela, je ne remarquai pas immédiatement que l'horloge avait redémarré. Mais elle n'avait pas redémarré correctement. En effet, les aiguilles tournaient dans l'autre sens. Le "Tic Tac" du souffle dans mon oreille se fit plus présent que jamais, devenant de plus en plus fort. Il résonnait si fort dans mes oreilles que je me laissai tomber au sol, les mains sur les oreilles, priant, criant, que tout cela s'arrête.
Je pris une énorme respiration, comme si je n'avais pas respirer depuis des mois. Je me trouvais dans mon lit, la sueur collant mes cheveux à mon front, la respiration haletante. Je mis plusieurs minutes à remettre mes idées en place, et à comprendre ce qu'il venait de m'arriver. Je me saisis de mon téléphone et regardai la date : 3 septembre. C'était le jour de la rentrée, et j'entrais réellement en seconde. Alors tout ce qui venait de se passer n'était qu'un rêve ?
Pas encore complètement remise de mes émotions, je me levai de mon lit et me dirigeai vers la salle de bain. Je me passai de l'eau sur le visage, en espérant que ça me calmerait. Appuyée sur les rebords du robinet, je relevai la tête pour voir mon reflet dans le miroir. Mon teint pâle, mes cheveux bruns emmêlés, des cernes bleutés sous les yeux et...
Je poussai un hurlement. Comme jamais je n'en avais poussé. Dans le miroir, je pouvais voir une silhouette translucide, un sourire en coin malicieux, et les yeux brillants d'amusement et de folie.
Était-ce donc réellement un rêve que je venais de faire ?
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