Warm Beer & Cold Women
C'est très confus. Je suis partagée entre le fait que je déteste qu'on lise par dessus mon épaule et la surprise de découvrir l'acteur à nouveau. Encore une fois pas de possibilité de relecture, de revenir en arrière, de correction ou d'angoisse de la page blanche : faut faire une belle phrase tout de suite, avec de la répartie, de l'humour et du panache. Et en anglais dans le texte.
— I' m always very cute.
—HAHAHAHAHAHAH, dit le Dragon. T'es à chier.
— Oh yeah, I'm pretty sure! dit-il en prenant l'air faussement sérieux. May I ?
—Of course, please, have a seat.
Il s'installe sur le tabouret à coté du mien, et sort son téléphone portable pour me montrer que le buzz s'étend également sur ses pages. Je suis aussi mal à l'aise qu'il semble décontracté. Je n'ai pas envie qu'il me parle, je ne veux pas découvrir qu'il est différent de mon imaginaire. Il ne peut pas être hétéro, à l'aise dans son statut de célébrité et heureux en couple. C'est impossible que je le découvre de la sorte. Je n'ose même pas le regarder.
Trois gorgées de champagne d'affilée.
Il pose une pinte qu'il a déjà bien entamée sur le zinc et se penche vers moi pour regarder ma tablette. Il sent le savon bio.
— Si tu veux me suivre sur Twitter c'est @dylanobrien.
— Je te suis déjà depuis le début de mon écriture, le souci c'est que tu ne postes strictement rien si ce n'est un message de fan en délire les soirs de match des Met's.
— Moi je te suis depuis que ton éditeur a dévoilé comment l'inspiration t'était venue pour le personnage de "Kilian O'Hara". Je te suis sur Snapchat aussi, d'ailleurs tu n'y postes jamais rien non plus.
Je suis en train de prier pour qu'une grande trappe s'ouvre sous moi et que je disparaisse à tout jamais de la surface du globe. Maintenant.
— Cède à la tentation, ça ne sert à rien de résister plus longtemps. Tu en meurs d'envie depuis ton arrivée hier...
C'est vrai que je ne tiendrai plus très longtemps. Il faut que je finisse cette flûte avec une distinction toute Princess Kate.
— Cède. Ne résiste pas. Laisse toi aller.
Je lui jette un regard à la dérobée, il porte la pinte à sa bouche et efface d'un coup de langue adroit la trace de mousse sur ses moustaches. Le désir en moi est si violent que je ne peux le réprimer plus longtemps. Je frappe sur le comptoir, la respiration courte, et implore le barman d'une voix brûlante :
— A pint of IPA please !
Le serveur place le verre en face de moi et je hoche la tête en direction d'O'Brien en guise de "cheers". Je bois les deux premières gorgées très vite, l'une pour refroidir ma bouche et l'autre pour la débarrasser de toute saveur sucrée ou acide déplacée. C'est la troisième gorgée de bière que je préfère, celle sur laquelle je détaille la finesse des bulles sur ma langue et qui déploie le parfum surprenant planqué comme un trésor sous l'amertume du houblon, c'est celle qui me fait prendre conscience que de toutes façons j'en commanderai très certainement une seconde.
Pinte contre pinte je me sens à armes égales face à la panthère en noir sur ma gauche. Nous échangeons un regard qui contient autant de curiosité que de timidité.
De quoi parle-t-on avec quelqu'un qu'on ne connait pas et dont on a détaillé avec précision les performances sexuelles ? Je me suis toujours dit que j'assumerai mon texte jusqu'au bout mais face à lui je me sens honteuse et gênée. J'ai le sentiment de m'être fait prendre la main de le sac. C'est lui qui rompt le silence après avoir avalé une grande lampée de bière.
— Brittany a beaucoup aimé ton roman. C'est elle qui m'en a parlé, la rumeur sur l'identité de ton Kilian avait déjà commencé mais on n'en parlait pas autant.
- Et toi ? Tu l'a lu ? lui demandé-je avec l'impression de vivre ma première descente d'organe.
—Pas encore, mais j'en ai maintenant un exemplaire près de mon lit, dit-il en me lançant un regard qui se veut complice.
— J'aurais pu le dédicacer à vous deux dans ce cas là.
— Je suis le héros, ça vaut toutes les dédicaces du monde, non ?
— Tu n'es pas vraiment le héros. Tu es le deuxième sur l'affiche dirons-nous.
—Il a presque fini son verre, tu devrais accélérer ta descente pour en prendre un autre avec lui ? On est bien là, non ? C'est amusant finalement ce verre de fin de soirée ?
— Tu es là pour la promo d' "American Assassin" ?
— Non, pas encore, la promo en Europe est prévue dans plusieurs semaines, je suis venu pour quelques photos de tournage. Un peu comme on fait des retouches sur un tatouage fini en fait. Après je dois partir pour Budapest et Turin pour la même chose puisque l'essentiel du film a été tourné là-bas. Je vais rester sur place un petit peu pour en profiter et ensuite je retourne à New-York pour commencer la promo du film.
— Tu habites où en fait ?
— Je suis de New-York à la base mais je passe énormément de temps en Californie puisque Teen Wolf a été tourné là bas et le Labyrinthe au Nouveau Mexique. Mais c'est tout de même bien bon de revoir la Grosse Pomme. Les vieux potes, la famille et puis la ville tout simplement... dit-il rêveur en finissant son verre.
—Je pars peut-être pour New-York aussi dans quelques semaines, dis-je en avalant une quantité de bière à faire vomir la Duchesse de Cambridge.
— Ah oui ? Et tu connais ?
- Oui j'y suis déjà allée mais il y a longtemps. Je suis montée en haut du World Trade Center la dernière fois. Ça date.
— Tu y vas quand ? Tu reprends un verre ?
—Oui, elle en reprend un avec toi. Maintenant qu'elle est décontractée, tu vas voir que c'est une rigolote par moment même.
— Merci mais non, je vais finir celle-ci et remonter j'ai une autre grosse journée demain qui m'attend.
— J'imagine. Je vais te laisser alors, j'ai un livre à lire. On en parle demain soir autour de cette deuxième bière si tu veux bien ?
— Elle est ravie t'imagine même pas. Dis au Monsieur que tu es contente !
— Oui, pourquoi pas si on se recroise.
Deux "'Wish you a good night" plus tard, je me retrouve seule face à ma tablette et à mes notifications. Le Dragon ne cesse de ricaner bêtement et cela m'irrite. Je prends mon courage à deux mains et j'épluche les messages sordides et pathétiques de Nicolas qui se sont succédés tout au long de la fin de l'après-midi. Ça se finit bien-sûr par le grand classique "J'ai déconné, j'aurais pas du te dire des trucs pareils, je le pensais pas. Je te promets de me faire pardonner quand tu rentreras, je sais bien qu'il n'y a rien entre toi et ce mec là et que tu ne couches pas avec ton éditeur. T'es ma princesse, tu sais Bébé, reviens vite. Je t'aime."
Je bois la fin de ma bière sans plaisir. Un seul message me gâche toute ma journée. Mes sentiments sont très ambivalents, je suis apaisée que sa colère contre moi soit retombée et en même temps je suis désespérée parce que je sais que tout va redevenir comme avant et que rien ne changera. J'ai envie de rester toute ma vie dans cet hôtel. Je voudrais être coincée ici et condamnée à vivre une séance de dédicace comme je l'ai toujours rêvée, manger du Fish & Chips et finir la journée en buvant une IPA avec mon personnage dans l'atmosphère obscure de ce bar. Ce serait mon "Jour sans Fin" idéal à moi.
Dans l'ascenseur qui me ramène à mon étage le Dragon m'en rebalance une couche.
—"Pourquoi pas si on se recroise". Non mais tu t'es entendue ? Tu crois que Princess Kate a fait autant la Sainte Nitouche quand William lui a proposé une deuxième bière ?
— Mais quel rapport ? Je ne me suis pas faite draguée, là ! J'ai bu un verre avec une relation de travail. Et plus jeune que moi je te rappelle. Qui habite à New-York. Qui a une petite amie, et moi j'ai quelqu'un dans ma vie depuis un bon moment. Qu'est-ce que tu es en train de mijoter ?
— "Une relation de travail" ? AHAHAHAHAHA !! Quand je pense que tout ça à commencé avec un Wattys sur Wattpad je suis mort de rire. Ils te l'ont décerné dans la catégorie "Mauvaise foi" ton Wattys ? Entre ton régulier qui est persuadé qu'Anastasia est un homme et toi qui bois des coups avec ton personnage en l'appelant "relation de travail" je te jure que t'as un potentiel comique extraordinaire. Quand on rentre on contacte Michel Leeb, hein ?
Il est vrai que la perspective de devenir auteur pour Michel Leeb m'enchante à peu près autant que celle de retrouver mon quotidien parisien. Ma conscience commence à sérieusement me chauffer les oreilles. Je me mets au lit en priant pour que le sommeil ne tarde pas trop mais le Dragon revient chuchoter dans ma tête aussi sec et je ne dors pas.
— Je ne suis pas vraiment ta conscience, je suis la somme de ta colère, de tes rancœurs et de ta frustration. Je te laisserai en paix quand tu auras résolu tout ça. En attendant je t'avoue que je me fends bien la poire...
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Bonjour tout le monde,
Le chapitre du jour sera dédicacé à FeuFoLex qui est une adversaire de taille lors des Joutes Wattpadiennes. Ses poésies sont adorables et je vous recommande d'aller jeter un œil à son histoire en commun avec MiniMarjo "La Rose et le Ballon" un genre de Néo-Princess Bride déjanté.
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