Underwater Love

Les deux griffus à dents longues s'enferment volontiers dans la petite cage qui les mène au deuxième étage. Pas de bruits. Je me fais toute petite pour ne pas être remarquée. Chacun adossé à une paroi, aucun des deux ne parle. Leurs respirations s'accélèrent un peu, les oreilles du Léopard prennent une teinte rouge sur leurs extrémités.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent, Dylan me prend la main et avance à grandes enjambées jusqu'à la neuvième porte du couloir. Le choix est fait, nous allons donc écrire une nouvelle page Chambre 237. Le Dragon conserve jusque là son air tranquille avec un demi-sourire alors que j'avale péniblement ma salive. Le comédien de série teenage a un peu de barbe, les épaules larges et le parfum d'un homme. Je cherche mon personnage, je cherche l'amoureux de Clément sous la vérité de la personne qui se tient près de moi, mais je ne le trouve pas. Il ne lâche pas mon poignet tandis qu'il sort la clef pour entrer dans la chambre, j'entends son souffle rapide, je sens un empressement.

J'ai bien conscience de ce qui est en train de se produire. Je m'apprête à coucher avec un homme que je connais à peine et qui est officiellement amoureux d'une autre. Mon objectif est de m'envoyer en l'air avec quelqu'un que je pense avoir crée. Gay.

Qu'est-ce que je fous là ?

Quand Dylan referme la porte sur moi j'ai le sentiment d'être une chèvre naine dans la savane, je vais me faire étriper en cinq minutes. Ma suffisance et mon manque de discernement sont sur le point de m'exploser au visage et de me faire faire demi-tour lorsque le Léopard s'empare de ma gorge d'une seule patte, très sûr de lui.

— Je préfère être franc : je n'ai aucune envie d'écrire quoi que ce soit à Brittany.

Je suis terrifiée. Je ne vais jamais y arriver, j'aurais du me taper le mec de l'avion pour me faire du bien, je n'en serais pas là à me poser des questions existentielles sur le pourquoi du comment "baiser avec un acteur". Autour de moi la chambre est presque identique à la mienne, mes yeux sont attirés par le dessus de lit bleu profond qui diffère du mien, gris.

Et puis ses deux mains ramènent mon regard dans le sien, il resserre son emprise et m'embrasse. Sur la bouche.

 Va-t-en, tu n'es pas à ta place ici. Laisse-moi faire, c'est mon domaine. souffle ma conscience.

Je m'éloigne de la scène, prends de la distance pour m'en aller flotter au dessus de la pièce.

Les deux gueules restent soudées l'une à l'autre quelques secondes, maintenant qu'ils se sont trouvés ils ne céderont que lorsque ce premier échange aura fait baisser une tension vieille de plusieurs semaines. Des souffles bruyants s'échappent de la façon dont ils se dévorent mutuellement.

C'est le Dragon qui met fin à leur étreinte, le baiser vient d'enclencher un processus de mutation. Il recule alors d'un mouvement souple jusqu'au lit et se laisse tomber à la renverse dans les draps bleus.

Ses écailles changent, se rapprochent, son complice l'aide à muer et laisse apparaître une peau plus lisse et plus brillante.

Humide. Moite. Du bleu. De l'eau.

Sous l'eau, le Monstre est à sa place. Planqué dans les ondes du lac le Léviathan tourne et tourne en rond, il sait qu'il n'a qu'à patienter, tout va venir à point nommé. Lorsqu'il aura fini de tourmenter le petit Félin qui se croit redoutable, celui-ci voudra boire. Le Léopard viendra tôt ou tard étancher sa soif dans le flot de sa mare.

Je ferme un peu les yeux, je ne regarde qu'à travers mes doigts : la scène me fait frissonner.

Dans l'eau trouble des draps céruléens, les deux Carnivores se bouffent. Quelles que soient leurs vies ailleurs, leur faim et leur désir semblent s'étoffer à mesure qu'ils se découvrent les chairs.

Ce n'est pas bien ce que je fais.
Ce n'est pas bien ce que je fais.
Ce n'est pas bien ce que je fais.

Alors que ma culpabilité me traverse le cerveau, j'aperçois le Dragon ouvrir grand la gueule pour engloutir un morceau de plus.

Il a une petite amie.
Il a une petite amie.
Il a une petite amie.

Le Léopard lape de plus belle, il s'en met plein les moustaches.

Tu vas pleurer et appeler Xavier.
Tu vas pleurer.
Tu vas pleurer.

Prise de becs, les deux Prédateurs grognent et s'empoignent, ils n'ont pas assez de serres, de griffes et de bouches pour se satisfaire. Ni contents ni repus, le combat reprend de plus belle sous l'eau, sur l'eau.

Le Léviathan domine longtemps la bataille, brûlant et aquatique il encaisse et rend autant que l'autre lui donne.

Je lâche prise. Je ne regarde plus. Quelle vivacité ! Quel acharnement ! Quel... Quel...

Quel plaisir, qu'est-ce que c'est bon, râle le Dragon.

Trop fort pour moi, je m'évapore dans les brumes du lagon de fluides des deux carnassiers.

Un soleil d'hiver gris et froid entre dans la chambre au matin, les rideaux sont restés ouverts, nous n'avons pas eu la force de les tirer. Un instant je m'inquiète d'une sensation de lendemain de fête sous mon crâne, mais je me souviens que je n'ai bu que de l'eau hier soir. Je n'ouvre pas les yeux tout de suite, mais je sens le poids d'un bras endormi qui pèse sur mon ventre. Le mot qui convient pour mon réveil est "défrustrée". Pas très fière de moi, mais bien défrustrée de partout. La sonnerie de mon portable achève de me sortir des bras de Morphée, ou qui que ce soit. Je tends la main vers mon jean en boule par terre pour voir qui me gonfle si tôt dans ma journée.

Hugh.

Pas envie de répondre. Puisqu'il ne laisse pas de message, c'est que ça ne doit pas être très important.

Mon gigotage a réveillé l'homme qui dormait à mes côtés. Sourires, étirements. C'est d'un classique lamentable.

— Tu as des projets aujourd'hui ?

— Interviews, shooting photo, embrassade de fans. Et toi ?

— Rendez-vous avec éditeur, réponds-je puisque les verbes n'ont pas lieu d'être au réveil.

Ses bras repassent autour de moi et il enfouit ses lèvres dans mes cheveux. Au creux de mon oreille il chuchote :

— Mais on s'en fout, hein ? On n'y va pas, on reste là. Je commande des bières et des pizzas et je cache tes vêtements.

— Tu... Tu n'irais pas pour rester avec moi ?

— Ben oui : on ne me dira rien ou on dira que je suis une diva, mais de toutes façons ça ne changera pas grand chose. Tu repars à Paris et moi à L. A. dans quelques jours. C'était un bon moment, non ? On devrait en profiter tant qu'on peut ?

Je suis surprise. Et le Leviathan a l'ego flatté. En bien ou en mal, je ne saurais dire. La proposition est plus que tentante, d'autant que je n'ai rendez-vous avec Hugh qu'à seize heures. Le Dragon m'a ouvert une porte sur un monde troublant et chaotique. Il est encore tôt, je peux traîner au lit avec Dylan et regagner ma chambre pour me préparer vers quinze heures.
Oui, voila. Je vais faire ça. Je vais tout gérer d'un coup, le plaisir, le travail, les obligations, le plaisir, le plaisir, le plaisir...

Le téléphone sonne une nouvelle fois et Dylan l'attrape.

— Christophe Millot ? C'est important ? questionne-t-il avec un accent charmant.

— Pas le moins du monde, je rappellerai.

Le téléphone n'a pas touché terre que le Léopard me ramène déjà au bord du lagon de la veille. Jusqu'à quinze heures... nous avons tout notre temps...

***
Bonsoir tout le monde,

Juste un petit message pour vous dire que Aemir_D s'est adorablement proposée pour traduire ce texte en anglais, elle fait un travail merveilleux avec talent😘👍😘👍😘😘.

Si vous passez par là et que vous avez justement des amis dans la communauté anglophone, foncez leur dire que le "Reflet" est à leur disposition. On attend pleins de lecteurs anglophones avec impatience sur "The Leopard's Reflection".

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