The Red Right Hand

C'est la sonnerie de mon téléphone qui me réveille. Il est 7h30.

— Bébé ?

— Hmmm ?

— Ben alors ? Tu ne m'as pas rappelé hier soir ?

—  Oui, c'est vrai. Excuse moi. J'ai enchaîné par le dîner et après je me suis couchée et...

— T'as dîné avec qui ? me coupe Nicolas d'un ton sévère.

— Et bien... En fait j'avais envie d'être seule alors j'ai marché un peu et j'ai mangé un Fish & Chips dans la rue.

— Et y avait des mecs ?

— Pardon ?

— T'as mangé avec des mecs ?

— Non pas du tout. Je viens de te dire que j'ai mangé seule dans la rue, ensuite je me suis acheté des clopes et un coca et je suis allée profiter de la vue. C'est superbe Londres la nuit si t'avais vu ça c'est...

— En fait tu kiffes d'être toute seule là bas ? Sans moi c'est mieux, hein ? Tu vas en profiter pour faire la jolie devant ton éditeur. T'es contente là ? Hein, tu te sens bien ? T'es heureuse, là ?

Non Non Non NON NON!!!

Il fait exprès. Il a dû boire hier soir et il est pas bien ce matin. Il ne pense pas vraiment ce qu'il dit. Il essaye de me faire réagir parce qu'il est triste tout seul mais en fait il ne souhaite pas me blesser. Il est pas comme ça en vrai : je le connais, c'est un mec bien. Quand on s'est rencontré c'était différent. J'aurais peut-être pas du partir aussi longtemps. J'aurais du m'arranger pour le faire venir avec moi. C'est de ma faute. S'il est en colère : c'est de ma faute !

— Je suis désolée Nico, j'aurais du faire autrement, je sais que je pars trois jours et que c'est pas cool pour toi. Pardonne moi. Excuse moi. On fera autrement la prochaine fois je te pro...

— La prochaine fois ? La prochaine fois ? Mais tu crois qu'il y aura une prochaine fois ? rugit-il avec un rire faux et pervers.

— Il est possible que j'enchaîne sur des signatures à ...

— Mais vas-y ! Va faire la potiche partout avec ton petit roman de merde que personne ne lit. Vas-y ! Viens pas chialer quand tu devras baiser avec tes éditeurs ou avec le balayeur de tes hôtels de pute de luxe ! Tu sais quoi ? T'es qu'une...

Je ferme les écoutilles. J'écarte un peu le combiné de mon oreille pour moins entendre les horreurs qu'il me dit. J'ai le cœur qui bat à tout rompre j'ai peur que ça s'entende au bout du fil. Une voix gronde à l'intérieur. Comme un Dragon qui s'éveille après un sommeil de plusieurs siècles.

 Raccroche, dit-il. Raccroche maintenant. On aurait du l'envoyer chier il y a belle lurette. Raccroche. Il ne te fera pas de mal ici il ne connait même pas l'adresse de l'hôtel. Raccroche avant de la lui donner.

Je raccroche. Je jette le téléphone loin de moi sur le lit et tente de faire baisser mon rythme cardiaque. Le téléphone se remet à vibrer mais je rejette l'appel aussi sec et recommence l'opération plusieurs fois de suite. Je ne veux surtout pas qu'il laisse un message ignoble sur ma messagerie. Je vais passer l'après-midi à dédicacer mon livre. Je vais vivre un excellent moment. A Londres. Et il cherche à me le bousiller au maximum.

Une faille énorme est en train de s'ouvrir à l'intérieur de moi.

Une colère intense et une frustration inimaginable me traversent de part en part. Lorsque je regarde mon reflet dans le miroir de la salle de bain j'ai le sentiment que toute cette hargne contenue si longtemps prends l'aspect presque palpable d'un reptile géant et diabolique.

Dans la glace je vois mon Dragon qui s'étire les ailes et déroule ses anneaux.

 Ça fait trop longtemps que je reste à l'intérieur et que je ne dis rien. Ce connard m'empêche de vivre depuis belle lurette. En plus c'est une outre à vin et à bière frelatée : ça fait combien de temps qu'il ne t'a pas fait ressentir un truc agréable ? La dernière fois que vous avez passé un bon moment c'était quand ? La dernière fois que tu as eu du plaisir et même juste de l'envie dans ta vie morne, c'était quand ?

Ce dialogue avec moi même me laisse interdite toute seule devant la glace. Aujourd'hui est une journée de rêve. Je vais la vivre et la savourer à chaque seconde. Je ne le laisserai plus me gâcher une miette de bonheur.

 T'as vu ta tronche, en même temps ? Pour gâcher ça il aurait du se lever plus tôt! Tu peux te foutre de la gueule de ton éditrice : tu te coiffes avec les doigts depuis deux mois et tu ne te souviens plus de la différence entre ton mascara et ton stylo.

Il est à peine huit heure. J'ai un marathon "cœurs & sourires" à courir cet après midi et le seul accessoire de séduction que j'ai dans ma valise est une brosse à dent. Pitoyable. J'enfile un jean et un truc en haut et je descends au spa pour demander à la gentille dame de me rendre brillante pour les douze prochaines heures.

Lorsque je rejoins Anastasia dans le hall trois heures et deux cents livres plus tard elle ne me reconnait pas tout de suite.

— Superbe ! Tu es superbe, Saah ! Ça va être une journée géniale, je suis sûre que nous allons passer un bon moment, dit-elle excitée comme une môme de quatorze ans.

Pauvre conne exaltée ! pense le Dragon. Mais il ne le dit pas parce qu'au final Anastasia est une merveille comparée au coup de fil que j'ai reçu ce matin. Alors je souris et je la remercie.

Le marathon commence avec un déjeuner charmant en compagnie de la traductrice et de l'éditrice londoniennes. Ça parle surtout pub et promo. Ils ont joliment orchestré la sortie du "Léopard" en jouant à fond la carte Ana Todd & Harry Styles : Hugues et ses amis a laisser fuiter volontairement l'info comme quoi Dylan O'Brien a inspiré le personnage de "Kilian O'Hara". Elles se frottent les mains toutes les trois en me montrant des petites coupures de presse où c'est écrit. Ça me peine un peu. Pour des raisons évidentes le nom de l'acteur a du être changé mais mon histoire en format papier enrichie de nombreuses scènes de cul et engueulades viriles au prix de 18 £ me semble moins fraîche et plus convenue que la Fanfiction assumée et gratuite sur Wattpad. J'ai réussi à imposer Clément mais j'ai le sentiment d'avoir trahi Dylan. De l'avoir perdu. Ça me chagrine un peu.

— On a dit qu'on ne gâchait rien de cette journée, gronde le Dragon.

Lorsque nous arrivons à la librairie Waterstone je me sens mal à l'aise et émue à la fois, il y a la queue devant la librairie. Une foule de jeunes filles, jeunes femmes et même des garçons, tous très excités. 

Les Zombies-Fans viennent pour toi

Je trouve ça dément, j'ai le sentiment d'être le pire des imposteurs. La couverture britannique du livre est placardée à plusieurs reprises sur les vitres du magasin pour annoncer l'événement et elle est monstrueusement colorée. J'ai un trac fou qui me tient la gorge serrée.

Le directeur du magasin vient nous accueillir et après quelques politesses de rigueur il m'accompagne à ma table. Une jeune femme est à ma disposition pour m'apporter des rafraîchissements et renflouer les piles de "The Leopard's Tail" et sa couverture ambiance "comic gay kitch". À chier.

 En même temps tu voulais quoi ? Payer des droits d'image à O'Brien ?


Une fois que je suis installée les vigiles ouvrent les portes pour faire rentrer la file des lecteurs. Je place un sourire forcé sur mon visage mais à l'intérieur je n'en mène pas large : je suis morte de trouille.

— Hello ! What's your name ?

La première dédicace est pour Amy, une jolie jeune femme rousse qui semble avoir autant le trac que moi. Ensuite il y a Gina qui me demande un selfie que j'accepte avec enthousiasme. Une mamie me demande une dédicace pour son petit fils David. Il y a aussi Carla, Lindsay, Mary, Edna, Emma, Andy, Leïla, Ava, Mindy, Christopher, Christin, Charlotte, Diana, Margarett, Aminata, Billy, Meredith, John, Evelyn, Cameron, Vince... Je ne vois pas le jour, j'ai la main droite rouge et les doigts douloureux de signer et de mettre un mot pour chacun tout l'après-midi. A dix-sept heures il fait presque nuit et la queue sort toujours du magasin. C'est aussi gratifiant qu'épuisant. Je suis sur une quantité exceptionnelle de selfies. Je repense à mon Dylan/Kilian lors de son avant-première, quelle ironie !

Je signe de plus en plus vite, c'est bientôt la fin et j'aimerai qu'un maximum de lecteurs puissent avoir leur dédicace, je reste plongée sur la table et demande à la jeune femme de prévenir que je ne pourrai plus prendre le temps pour des photos. Je me sens miteuse : des gens viennent me témoigner de leur affection et je dois les envoyer promener parce que c'est l'heure. 

Je signe. 

Je signe toujours plus vite, je lève à peine la tête pour croiser le regard des gens. Une clameur monte depuis l'entrée du magasin, sûrement parce que la sécurité est en train de mettre un terme à la file et de renvoyer des gens chez eux. Le brouhaha ne baisse pas mais je continue de signer il y a encore beaucoup de monde. Les gloussements non contenus des jeunes filles ne tarissent pas, elles semblent toutes plus excitées qu'il y a quelques minutes. Elles prennent des photos dans la queue et j'entends des "thank you so much ! I'm such a huge fan" à tire larigot. Pourtant les louanges ne viennent pas de ceux qui sont proches de moi.

Signe. Signe. Signe. 

Plus vite, plus souriante. Signe. Il en reste plus que trois. Deux femmes et un homme. Les autres ont du mal à quitter la librairie après avoir pris leur livre, il y a un attroupement au fond du magasin et les flash des téléphones crépitent sans arrêt. Je suis exaspérée et fatiguée comme je ne le pensais pas possible. Je n'ai pas le temps de relever la tête que le dernier exemplaire arrive sous mon nez.

- Hello ! What's your name ?

- To Brittany please, annonce Le Léopard avec un large sourire sous les flashs des smartphones et les applaudissements des lecteurs.

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Hello!
On refait une ovation à OrezzaDantes qui est une créatrice de couverture extraordinaire puisque la version anglophone de "La Queue du Léopard" n'a eu aucun secret pour elle.
Promis je vous fait un index à la fin avec les bonnes adresses, notamment pour acheter le même slip que le monsieur sur la photo!

J'en profite même pour lui dédier ce chapitre "The Red Rigth Hand", en effet Orezza est un auteur qui mérite un sacré coup de chapeau, elle est capable d'enchaîner plusieurs fictions très bien écrites en postant un chapitre par jour, d'assurer son rôle au sein des @AmbassadeursFR sans fléchir (Comment ça vous ne suivez pas le profil des AmbassadeursFR et vous lisez/écrivez du francophones? Allons, allons un peu de sérieux je vous prie!), de lire des fictions, d'assumer une situation professionnelle très prenante et de s'occuper de ses deux chevaux tous les jours. Cette femme est un mystère pour la science, allez lire son palpitant "Howlin' for You" ou si vous aimez frissonner le soir filez voir "La peau que j'habitais"! Je t'embrasse au passage Orezza.

Et ne soyez pas inquiets pour Nick Cave, je ne suis jamais allée l'écouter en live.

À très vite 😘!

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