The Boss
Quarante-cinq minutes de route pour aller de JFK Airport jusqu'au Hyatt. Je ne les ai pas vues passer, car il y a encore des résidus de Dolornox et d'alcool qui stagnent dans mon réseau sanguin : j'ai dormi la bouche ouverte tout du long dans la grosse berline allemande.
Un chasseur en livrée récupère mes effets dans le coffre devant l'entrée du palace.
J'ai opté pour une tenue camouflage de jet-lag, des lunettes de soleil anticernes, un bonnet contre les cheveux graissés par la climatisation de l'avion et une grosse écharpe qui masque le teint gris. Avec encore un peu d'entraînement, je deviendrai une vraie célébrité.
Une fois la porte d'entrée passée, j'ai le souffle coupé par la splendeur du lieu. La réception est grandiose, des statues représentant des visages tibétains de deux mètres de haut éclairent le lieu de leur sérénité blanche et lumineuse.
Le comptoir de pierres sombres qui constitue la réception n'en est que plus souligné.
Alisha m'accueille avec un sourire parfait, le badge qui porte son nom est impeccable, droit et net, comme son uniforme et sa coiffure, comme tout ici sauf moi.
Un vertige me saisit.
— Bonjour Madame, avez-vous une réservation ?
— Oui, au nom de TheGrey.
— Bien-sûr, Mme TheGrey. Je vous demande un instant s'il vous plaît.
La jeune femme me tend une petite carte avec quelques documents.
— Vous avez une réservation pour la suite 269. Je vous souhaite un un excellent séjour au Hyatt, Mme TheGrey. Garry va vous accompagner à votre chambre.
Je grimace un sourire presque poli et suis Garry jusqu'aux ascenseurs. Plus le temps passe et moins mon comportement s'améliore. Je deviens ce que je détestais lorsque j'étais en couple avec Nico. Une femme qui assume son caractère quel que soit le moment ou le lieu et fait preuve d'une franchise parfois blessante pour satisfaire ses envies.
Je suis devenue forte.
Comme un Peter Parker qui vient de découvrir le Spider-Man en lui.
Garry reste très professionnel avec ma valise sale décorée de bracelets brésiliens grisâtres, je me rends compte que je n'ai pas le début d'un dollar pour le pourboire à lui donner et me console en m'appuyant sur la réputation de mes concitoyens à l'étranger. Ils ont l'habitude dans les hôtels, après tout.
Dans le couloir immense et large qui mène à la suite 269, je cherche du regard la chambre 237 mais je suis trop larguée pour réussir à distinguer le moindre numéro sur les portes.
—Faut que tu te reprennes un peu tout de même, gronde ma conscience pas très fière de ma léthargie médicamenteuse.
Une fois arrivés à la porte, j'opte pour un air ravi et gêné de sorte que Garry prend congé rapidement sans espérer un billet de ma part. Je redeviens pathétique, la solitude dans les chambres d'hôtel ne me réussit pas.
—Ne perd pas de temps, dors, va voir ton éditeur et appelle ton voisin en rentrant.
—T'as cru qu'on était en colo ?
— Dormir. Il faut que tu dormes. Et après faudra que tu t'envoies en l'air, mais ça, on en reparlera.
J'ai tout juste le temps de vérifier l'horloge sur mon téléphone et de lancer une alarme pour mon réveil que je m'endors sur le lit au côté du Dragon qui ronfle déjà.
Il est treize heures.
Techniquement je ne suis pas en retard parce que je n'ai rendez-vous avec Hugh que dans une heure. Dans la réalité j'ai besoin d'une douche, de réfléchir à ce que je vais porter, de ravaler ma façade parce que mes yeux ressemblent à des tags ratés, de réfléchir à ce que je vais pouvoir lui dire sur mon projet et de manger quelque chose pour que mon ventre arrête de hurler à la mort. J'ai donc le choix entre vingt minutes de retard ou me présenter avec les cheveux gras chez le patron. Je suis sur le point de choisir les cheveux gras lorsque le Dragon me rappelle que je peux à tout instant croiser le Léopard dans le lobby.
Tant pis pour la ponctualité.
Comme je suis très organisée, j'arrive avec seulement un petit quart d'heure de retard chez l'éditeur. Si je n'étais pas en train de penser au visage désespéré d'Anastasia devant mon manque de sérieux, je me sentirais presque à l'aise. La micro sieste et le fond de teint me permettent de donner le change devant l'hôtesse d'accueil qui est presque aussi irréprochable qu'Alisha du Hyatt.
Mais pour combien de temps ?
On me fait asseoir sur un fauteuil pour patienter après que je me suis excusée platement pour mon retard. Je suis miteuse et minable. Encore une fois je n'ai pas écouté les conseils d'Anastasia et je suis habillée en jean et en bottines. Ça se voit que j'ai dormi dans mes fringues.
Quelques secondes plus tard un homme charmant vient à ma rencontre, ouvre les bras aussi grand que son sourire.
—Saah ! Quel plaisir de te rencontrer ! Tu as fait bon voyage ? Viens avec moi, allons dans mon bureau !
— Grbl...erci, réponds-je entre mes mâchoires serrées par la honte.
Je m'attendais à rencontrer un sexagénaire grisonnant avec un léger embonpoint. Derrière son bureau Hugh est un quinqua plus "sex" que "âgénaire". Il dégage quelque chose d'accueillant et de glacial à la fois. Tassée dans mon siège par la fatigue et les excès du vol je me sens terriblement seule : le Dragon n'apparaît pas, il est resté dormir à l'hôtel.
Maudit Dolornox.
Maudit verres d'alcool.
Maudit Luc.
Je ne me fais aucune illusion, je sens déjà qu'il va falloir encaisser un violent retour de bâton.
—Tu n'imagines pas à quel point je suis heureux de te rencontrer. Tu es notre nouvelle tête d'affiche, tu sais ? Tes ventes sont extraordinaires, on est très heureux ici chez "Hugh & ses amis". Vraiment. Tu as eu le temps de lire le planning de ton passage à New-York ?
— Glblm...
— Naturellement. J'imagine que tu es encore décalée et très fatiguée par le vol. Le mieux serait de retourner à ton hôtel pour te reposer, on aura l'occasion de se croiser et de discuter lors de la cérémonie de présentation de ton livre ce soir ?
— La... la cérémonie ?
- Bien-sûr ! Lorsque je reçois une invitée aussi prestigieuse il est bien normal de la recevoir avec les égards qu'elle mérite. Tu trouveras les infos sur ton planning, on a organisé une réception et un cocktail dans la grande salle du Hyatt. Je me suis dit que tu apprécierais vu l'intérêt évident que tu portes à ce lieu.
Je remercie mon hôte avec le peu de dignité qu'il me reste. Cet homme ne sourit que des lèvres, son regard reste droit et perçant. Je sens tout le sarcasme dans le ton de sa dernière phrase. Il se lève alors de son fauteuil de cuir noir et reviens près de moi pour murmurer à mon oreille :
— Tu seras aimable de venir dans une tenue et un état digne du lieu que tu as désiré ce soir. J'ajouterai que lorsqu'une femme a les exigences d'une diva, elle censée en avoir au minimum l'apparence. La prochaine fois que tu arrives en retard dans l'état d'une crackeuse en manque, je m'adresserai à toi sur le ton d'un maquereau de Harlem. Au moins on sera sur la même longueur d'ondes, mon Trésor.
Hugh n'a pas perdu son sourire pendant tout notre échange. J'ai encore une fois bafouillé des excuses merdiques. Mon éditeur me raccompagne comme un vrai gentleman à la porte de son bureau et me serre à nouveau dans ses bras devant toutes ses assistantes en mentionnant sa hâte d'être à ce soir.
Hug de Hugh.
À peine sortie de l'immeuble je cherche frénétiquement les cigarettes au fond de mon sac. Pour la première fois depuis plusieurs semaines je suis en rade de Dragon face à quelqu'un. L'entretien s'est passé très vite, sur le chemin du retour je n'ai pas le temps de flâner en regardant les grattes-ciel, je prépare déjà mon entrée pour ce soir.
Je rallume une clope devant l'hôtel. La colère est en train de prendre le pas sur la fatigue et tout le reste.
—Tu as besoin de moi ?
— Tu arrives bien tard, toi. Tu m'as laissée tomber au moment où j'avais besoin de soutien.
— Ha non, tu te trompes : je reprenais des forces. Maintenant je suis en grande forme, et tu vas voir que ce soir je brillerai de tout l'éclat de mes écailles. On va se préparer ?
— Ouais. T'as raison, allons peaufiner nos dialogues et notre couverture pour ce soir.
— Voilà : ça c'est mon auteur !
Dans ma chambre je lis le planning en vitesse. Il est presque seize heures et la réception commence à dix-neuf.
J'enclenche la première étape et sors la carte restée au fond de la poche de mon manteau pour envoyer un mail.
De : [email protected]
À : [email protected]
Objet : Mon cher époux
Cher Luc,
J'ai accepté de boire à vos côtés et vous ai offert un de mes précieux secrets de voyage pour vous aider à surmonter l'épreuve de ces six heures de vol. Auriez-vous l'amabilité de me rendre la pareille ?
Présentez-vous à 18h45 ce soir à la réception du Hyatt en tenue de gala. Si vous n'en avez pas, trouvez en une en urgence et envoyez-moi la note. Je ne vous ennuierai que quelques heures et vous arroserai copieusement de champagne pour vous permettre d'oublier la soirée.
Avec toute ma gratitude,
Votre épouse du jour,
Saah.
Je place mon portable en charge et retire mes vêtements pour aller dans la somptueuse douche à l'italienne de ma chambre. Le luxe des salles de bains de palace est décidément très addictif.
À travers la paroi de verre, l'oeil de la Bête me regarde.
— Si en plus j'ai droit à un allié pour la fête de ce soir, sache que je suis le plus heureux de tout le Bestiaire Fantastique.
J'ai les cheveux encore humide lorsque je consulte les messages sur mon téléphone.
De : [email protected]
À : [email protected]
Objet : Ouverture du bal
Je ferai un effort mais ne comptez pas sur moi pour la cravate en dehors du boulot. Le champagne sera le bienvenu, pourtant la nuit de noces à l'hôtel sera beaucoup plus convenue que dans les WC de l'avion.
Ravi de pouvoir vous être utile pendant mes congés, mon assistante vous enverra la facture pour la prestation.
Je vous attendrai dans le hall à l'heure dite.
Soyez spectaculaire.
Luc du siège 67C.
J'ai à peine le temps de me réjouir de sa réponse que la Grosse Gueule pleine de crocs reprend :
—Et après le spectacle tu me nourris chambre 237 ou on prend le mec de l'avion à emporter ? À moins qu'on le prenne à emporter dans la chambre 237 : c'est que je suis affamé, moi !
Je me retourne sur le lit pour réfléchir à quels sous-vêtements je vais porter ce soir et commence à tisser la toile de mon plan de soirée.
**********
Hello à tous,
Suite à vos votes quelques chapitres plus haut c'est donc Hugh Jackman qui remporte le rôle de Hugh The Boss de l'édition. Je ne vous cache pas que malgré mon penchant particulier pour le monsieur je ne l'imaginais pas dans ce personnage, je voyais beaucoup plus Leonardo DiCaprio ou David Duchovny (entre nous, vous lisez comme vous voulez et si vous désirez vous l'inventer à votre sauce, sachez qu'on est dans un pays de lecture libre, hein). Mais bon, c'était le jeu...
Quitte à parler d'auteur largué qui végète entre ses démons et ses projets d'écriture je voulais dédier ce chapitre à LiamFost qui en fait voir de belles à son alter ego dans "Je vous hais tous". Je n'ose même pas imaginer le résultat de la rencontre entre Liam Sullivan et Saah dans un open-bar un soir de fête.
J'en profite pour saluer le monsieur et son personnage au passage !
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