Scary Monsters
C'est allé très vite. J'ai essayé de trouver un truc original à dire, bien senti et bien vu. Mais rien n'est sorti. J'étais affreusement gênée. Face à la réalité de mon personnage je ne pouvais ni me relire, ni partir réfléchir à la scène une heure ou deux. Aucune répartie. J'ai souri comme une cruche et me suis levée pour lui serrer la main et prendre la pose à ses cotés devant les lecteurs et leurs appareils photos. Mon éditrice haussait les épaules en ouvrant les mains pour me signaler qu'elle y était pour rien avec un sourire de pute. Puis on a échangé un vague "nice/fun meeting you" et il a disparu très vite.
La fatigue, le stress, le réveil pourri du matin et le passage éclair de mon personnage en chair et en os m'ont secouée. Nous remercions chaleureusement le directeur du magasin et son personnel et j'essaye d'avoir un mot pour les lecteurs qui sont restés dans la librairie après le départ de Dylan O'Brien. Re-selfies. Anastasia et moi saluons Vanessa Clarkson et Nancy Briggman avant de partir, de toutes façons nous les retrouverons lors de la signature de demain.
L'hôtel se trouve à moins d'un miles de la librairie. Au bout de quelques pas je n'arrive plus à me contenir, je fulmine en recrachant la fumée de ma cigarette.
— Ça vous a amusées j'espère ? T'es contente ? Fière de la petite mise en scène ?
— M'enfin Saah de quoi tu parles ? Qu'est ce qui ne va pas encore ? C'était un succès, ça s'est super bien passé. Qu'est ce que j'ai fait de mal encore ce coup-ci ? demande-t-elle excédée par mes remarques aigrelettes.
— Dylan O'Brien. C'est un petit coup foireux de promo que vous avez monté derrière mon dos. Vous êtes pathétiques dans votre genre.
— Mais pas du tout ! C'était une vraie surprise pour tout le monde. Et quelle surprise ! On ne va pas s'en plaindre, les lecteurs étaient ravis, les photos vont faire le tour des réseaux sociaux et ça va faire le buzz dans la soirée, demain ça devrait être l'émeute chez Foyles ! C'est bon pour toi ça. C'est bon pour nous.
Le tour des réseaux sociaux. Je dois déjà être taguée sur Twitter et sur Facebook. Ma page d'auteur doit être pleine de photos tartes sur lesquelles j'ai le maquillage en rade et la cuisse trop large.
L'angoisse me saisit brusquement : je cherche mon portable au fond de mon sac avec une frénésie non dissimulée. Ça va être Bagdad dans ma messagerie s'il a déjà vu les photos.
23 appels en absence. 15 SMS non lus.
Un étau me serre la poitrine. Ça va me coûter très cher de rattraper le coup. J'imagine les commentaires acerbes et dévastateurs qui m'attendent à l'autre bout du fil.
— Qu'est ce qu'on a dit ? me reprend aussitôt la voix de ma colère et de mes envies.
— Je... excuse moi Anastasia. J'ai des coups de fils à passer et je suis vraiment lessivée par la journée. On se voit demain matin ?
—Tu ne veux pas dîner ?
— Je vais me faire monter un truc je pense. Ou manger sur le pouce. Je sais pas. Non, merci mais je crois que j'ai besoin d'être seule un moment, ne m'en veux pas.
— Aucun problème. Repose-toi, demain c'est une journée longue qui nous attend.
Devant l'hôtel je prends le temps de savourer une autre cigarette avant d'aller affronter mon téléphone portable.
— Je te laisserai pas tomber.
—Putain t'as pas intérêt, parce que je perds le contrôle là, je m'en rends bien compte, tout me file entre les doigts : je n'arrive pas à garder le cap.
Le Dragon ne me laisse pas tomber pendant la bataille que je livre dans la solitude de ma chambre d'hôtel mais je suis loin d'en ressortir indemne. Mon orgueil est moribond, mon ego a pris cher et mon moral rend son dernier souffle lorsque je raccroche.
— Tu as besoin de soins. Je vais m'occuper de toi. Commence par aller pleurer trente minutes sous la douche. On va traiter les choses dans l'ordre.
Je m'exécute et rends mes dernières armes sous l'eau. Je sanglote tout ce qui me ronge dans cette relation, je pleure pour l'alcool qui a foutu en l'air un mec qui était beau et drôle, je chiale de ne trouver une contenance face au monde extérieur que dans l'arrogance et le mépris. Je geins sous la douche en imaginant que je serai quelqu'un de neuf une fois sèche alors qu'au fond je sais bien que je resterai ce que je suis.
Quand je suis certaine de n'avoir plus rien du tout à pleurer je coupe l'eau et je m'habille pour sortir de l'hôtel.
Marcher. Marcher loin, sinon longtemps. Je remonte jusqu'au pont et je remets en place les pièces du puzzle que ma conscience à écailles me tend.
J'ai été publiée.
Et traduite.
Et j'ai trois jours au Royaume-Uni pour signer des exemplaires de mon livre à des gens qui l'ont aimé.
—T'as croisé le Gros Chat aussi.
Très peu, très vite, finalement je n'en profiterai que tout à l'heure en regardant les photos circuler sur ma tablette ou mon portable.
Je remonte Withecomb pour me diriger vers le Park St James, je passe devant la Garde Royale mais il n'y a pas un brin de paille qui vole à l'extérieur. Je rebrousse chemin pour emprunter The Mall et me diriger vers Victoria Memorial. La nuit d'hiver et la pluie qui ne s'arrête toujours pas présentent un abord aussi inquiétant que grandiose de Buckingham Palace. Je m'allume une cigarette devant le monument.
—T'as passé une journée de Princesse aujourd'hui pourquoi cette humeur morose ?
— J'ai eu une journée de Princesse mais je dois dealer avec la somme de toutes mes frustrations, de mes angoisses et colères sous la forme d'une Bête Immonde imaginaire. En soi on est très loin de la vie de Princess Kate.
—Si t'es une Princesse et que je suis ton Dragon, c'est plutôt une bonne nouvelle, non ? Ça veut dire qu'un Prince devrait pas tarder à arriver dans ton histoire ? Il ressemblerait à quoi ?
— Au cow-boy Marlboro avec l'éducation d'un Lord, dis-je en attrapant une nouvelle blonde entre mes lèvres.
Sur le retour j'envisage de m'arrêter manger des ramen sur Regent street mais je me ravise en m'imaginant seule dans un resto. Je retourne me chercher un Fish & Chips et me demande si parfois Princess Kate en mange. Est-ce-qu'elle boit des bières aussi d'ailleurs ?
À mon arrivée devant l'hôtel il y a un attroupement de gamines qui piaillent sous la pluie comme des pintades mouillées, le mascara sur les joues et le gloss sur le menton. Je suis obligée de bousculer un peu la basse-cour pour m'engouffrer dans le hall du W au bout duquel le groupe d'hommes en noir disparaît à nouveau dans un ascenseur. J'attend le mien en laissant dégoutter une flaque de pluie de mon imper sur le carrelage sombre de l'hôtel.
Je fais sécher mon pantalon et mon manteau sur la porte de la salle de bain et entreprends de me trouver un truc à regarder à la TV en slip sur le lit king size.
— On aurait pu s'acheter des chips et des bières tout de même ? Au moins pour fêter le Princess Day et nos retrouvailles, ricane le Dragon.
—Ben oui : la classe au palace : on rentre avec un pack de six et des chips !
— Vu le prix de la chambre...
— Vu que c'est pas moi qui la paye...
Pourtant cette conversation soulève un sujet important : je viens de passer l'après-midi à dédicacer mon livre édité en anglais et ce soir je suis seule en tête à tête avec mon démon pour fêter ça. Quelle idée. Une flûte de champagne s'impose tout de même, non ?
— Ou deux pintes ?
— La ferme. Ta colère j'en veux bien, tes désirs m'indiffèrent.
—C'est ce que nous verrons, ricane le Monstre.
J'ai tergiversé encore une bonne demi heure avec moi-même et puis finalement j'ai remis des vêtements et je suis descendue au bar de l'hôtel. Boire seule c'est nul certes, mais une flûte de champagne pour accompagner le compte rendu de la journée sur les réseaux sociaux reste envisageable.
Le lieu me plait énormément. Du rouge, du noir et du brillant : c'est clinquant et élégant comme un dandy british. Je commande une coupe de champagne pour la forme alors qu'en fait je rêve de cinquante centilitres d'IPA. Je fais un doigt d'honneur mental au Dragon pour lui montrer que je suis capable de boire comme une vraie Lady.
La musique est sobre et discrète, la pénombre et les recoins dissimulent habilement les clients tapis dans les fauteuils clubs. Il y a peu de monde même si nous sommes un soir en semaine. Je trinque au Léopard et à Clément, à leur éventuel mariage dans un tome 2, leur séparation parce que justement l'un des deux aurait... Je dégaine aussi sec ma tablette et active la fonction prise de note pour conserver des idées qui fonctionneront peut-être un jour. Après une seconde gorgée de bulles je glisse le doigt sur l'icône bleue d'un réseau social pour faire le point sur cette après midi et remercier chaleureusement les lecteurs londoniens de leur patience sous cette pluie.
Mes comptes Facebook et Twitter sont débordés par les notifications. Les pages sont devenues le terrain de jeu de fans déchaînées : les adeptes du "Léopard", les fans de Dylan O'Brien et ceux qui regardent tout ça d'un œil plein de mépris, de jugement et de jalousie. De nouveaux "#" ont vus le jour cette après-midi sur la toile et je suis face à une bonne vingtaine de clichés qui titrent #Dylan&Saah #Dylaah.
Je suis sur le cul.
Je suis en photo partout, non photoshopée, souriante et l'acteur américain de même avec sa dédicace et son pouce levé dans une main son autre bras autour de mes épaules. La sensation est un peu floue et lointaine dans mon souvenir et sur la photo tout reste encore très abstrait. Sur les images le comédien demeure mon personnage. Sur les photos il m'appartient à nouveau. Il y en a sous tous les angles. Sur l'une d'elles je me trouve pas trop mal même, et puis lui, il y est bien aussi.
— Yeah, I saw this one. I think we are cute on this, don't you ? me demande un homme vêtu d'un pull noir par dessus mon épaule sans que je me sois aperçue de son approche.
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Hello tout le monde,
Ce chapitre sera dédicacé à @Cantoanjo qui me suis depuis longtemps avec la discrétion d'un vrai chasseur de félin mais dont les petits mots et les encouragements sont toujours supers appréciés. Merci à toi!
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