Our House

Le plus difficile lorsque l'on a une liste de choses à faire c'est de respecter la liste et de ne pas procrastiner. Je passe donc la journée du lendemain à fouiner sur tous les sites possibles pour trouver un appartement sans rats et un peu plus grand que des chiottes d'avion. Le loyer mensuel doit être inférieur à vingt mille euros et ce n'est pas simple de trouver la perle. Au bout de trois heures de recherches je me rends à l'évidence : il va me falloir de l'aide.

C'est un supplice rien que d'y penser. Sur la planète j'exècre trois types de personnes : les concessionnaires automobiles, les gens qui vendent des maisons et les agents immobiliers. J'ai un mal fou à supporter leur dédain compatissant lorsque l'on annonce un budget qui n'est jamais assez élevé à leur goût, leur regard offusqué dès lors qu'on demande à avoir les toilettes à l'intérieur de ce qu'on visite et de la façon pathétique avec laquelle ils mettent en valeur les défauts de chaque bien ("on ne peut pas mettre de canapé dans le salon certes, mais vous avez des WC avec terrasse !!! C'est un bien très rare sur le marché !"). Pourtant je dois rapidement me rendre à l'évidence : seule je ne trouve rien !

J'ai beau écumer Le Bon Coin, Se Loger ou PAP je reste bredouille. Je fume. Je fouille. Bredouille.

Au bout de trois heures de recherches je finis par tomber sur un deux pièces pas trop mal dans le XVème. Il est certainement déjà loué vu qu'il est bien situé et peu cher mais je tente quand même. Au fur et à mesure de mes recherches je prends contact avec cinq agents immobiliers différents pour enchaîner les visites le lendemain. Quitte à passer la journée dehors j'en profite pour proposer à Aurore de me rejoindre pour le dîner, une soirée entre filles sera bienvenue pour fêter l'obtention du précieux sésame.

Je passe la journée à écrire sans lever la tête du clavier. Je fais des pauses clopes et des arrêts pipi. À la fin de la journée mon vieux sweat zippé en polaire sens autant le tabac que la transpiration. Je félicite le règlement intérieur d'interdire de fumer dans les chambres, l'odeur est infecte. Les deux fenêtres ouvertes j'aère un peu pendant que je descends m'acheter une salade hors de prix, des chips et une bière que je repose aussitôt tellement je trouve ça sinistre de boire seule dans un appart'hotel.

En rentrant on se refait une petite douche au Dylan ? Une #Dylouche ? demande le Dragon en ricanant à travers ses dents.

 Une douche ce sera suffisant. Ah et au fait, j'oubliais : ta gueule, bordel !

Tu dis ça mais je te fais bien rigoler en même temps, avoue.

Il a raison : j'ai du mal à ne pas rire toute seule dans les allées de la supérette. Le froid est rentré très vite dans la petite pièce pendant mon absence et j'ai du mal à quitter mon manteau tout de suite. Je me fais violence pour aller dans la cabine de la salle d'eau. J'en ressors un peu plus tard la peau parfumée à l'abricot et je jette la polaire puante dans le sac de linge sale.

Brouillon de femme.

Si le cinéma nous renvoie des images riches et variées d'écrivains, je me rends à l'évidence que j'oscille régulièrement entre Jean-Paul Belmondo dans "Le Magnifique" et Sharon Stone dans "Basic Instinct". Un truc un peu entre les deux.

Je me demande vraiment quel est l'intérêt de passer une chemise et un jean alors que je suis en tête à tête avec mon ordi et ma salade toute prête.

 Parce que tu vas descendre fumer et que le jour où je te laisserai aller fumer dehors en pyjama/polaire ce sera vraiment que tout espoir est mort pour nous deux.

La sollicitude de ma conscience me touche, pourtant je me sens toujours aussi lamentable malgré les chips. Au bout d'une longue hésitation et après un combat âpre avec le Reptile Imaginaire je prends mon téléphone et j'appelle Nico. Juste pour prendre des nouvelles ou je ne sais pas trop quelle excuse bidon. 

Mais même Nico ne répond pas.

Seuls les agents immobiliers m'ont adressée la parole aujourd'hui. Le retour de Londres est difficile à encaisser. Je finis mon chapitre en écrivant n'importe quoi juste pour le boucler et je me mets au lit en espérant un lendemain meilleur.

La journée commence à onze heure précises. L'agent m'a bien précisée d'être à l'heure parce que c'est une visite ouverte et qu'il risque d'y avoir du monde ; avec mes dix minutes d'avance je crâne en entrant dans l'immeuble. Mes certitudes se vautrent sur les dernières marches : il y a une queue dans le couloir pour la visite. Devant moi j'entends les prétendants annoncer leurs professions d'un ton péremptoire : "Dermatologue", "Consultant Web", "J'ai-ma-boîte-dans-l'import-export", "Ingénieur chimiste/informaticien/agronome", "Directeur de Gnagnaland", "Etudiant mais c'est mon père, avocat fiscaliste, qui le prend à son nom". J'ai hâte de balancer mon "Auteur de Fanfiction & vendeuse de lingerie" : ça va pulser dans les chambres de bonnes !

  Bien évidemment la jolie blonde qui est en charge de la visite m'offre un sourire crispé en me disant qu'il lui faudra mes trois derniers bulletins de salaire, une lettre de référence de mon précédent logeur, mes impôts et le thème astral de ma tante Huguette. Mon tour de visite est vite expédié.

  Je reste polie. Je muselle la Bête et je pars vers mon rendez-vous suivant. L'agent est courtois ce coup-ci et je reste évasive sur ma profession, il m'accompagne sur le palier d'un quatrième étage sans ascenseur et me laisse découvrir 38m2.
Abominables.
Un long couloir bouffe à lui tout seul la moitié de la surface, une petite pièce sombre et vétuste avec une fenêtre minuscule fait office de salon, chambre et cuisine, quant à la pièce d'eau c'est tout à fait optimisé : il suffit de placer un caillebotis sur des chiottes à la turc pour les transformer en douche. J'entends le Saurien hurler de rire dans ma tête. Pour le coup je vois que c'est l'agent immobilier qui est plein d'espoir sur ma candidature mais c'est un "Non, merci" que je lui offre. 

Le suivant se trouve dans le XXème dans une rue où un camé reprend mal ses esprits affalé par terre. Les parties communes sentent la pisse, la bonne femme qui me fait visiter est en pleine conversation téléphonique avec une amie et ne m'accorde aucune attention, d'un autre coté l'appartement est dans un état de décrépitude totale, le chauffe-eau menace de tomber d'un instant à l'autre et je me tire de là sans même lui dire "au revoir" la laissant au milieu des junkies avec son IPhone 15. 

Le quatrième appartement me fait vraiment plaisir. Il est dans mon quartier préféré, pas loin de la station Mabillon. C'est un grand et vrai deux pièces bien éclairé avec une jolie cuisine bien conçue pour le petit espace qui lui est attribué. Le double vitrage préserve le calme mais pour autant lorsque j'ouvre la fenêtre les effluves du chocolatier qui travaille en bas parfument tout le salon. Il n'y a pas de baignoire mais une douche multi-jets qui peut également faire office de hammam. Je me rince l'œil encore quelques minutes avant de lancer d'un air hautain :

— Je dois en voir encore un autre avant de vous valider celui-ci, vous comprenez.

La vérité c'est que je l'avais trouvé superbe sur les annonces et que j'avais très envie de le voir. On ne sait jamais, si un jour j'écris un chapitre qui se passe dans un splendide deux pièces à 2 500€ par mois autant savoir de quoi on parle. Ce n'est pas du tout mon budget, j'ai réservé cette visite uniquement pour me faire du bien dans la journée : je ne regrette pas quand je repense aux trois premiers logements que je viens de voir. 

Je profite de mon avance sur le dernier appart pour aller à la "Pâtisserie viennoise" rue de l'école de Médecine. La minuscule boutique est toujours bondée mais il me reste une petite place où je peux savourer le merveilleux chocolat avec la crème fouettée dense et généreuse qui a fait la renommée de la maison. Le bilan de la journée est mitigé, compliqué de se loger sur Paris correctement quand on n'a pas un job en or ou un papa qui en a un. Je n'ai que peu d'illusions sur le dernier appartement que je dois aller visiter, il est fort probable que je passe encore un moment dans le sinistre appart'hôtel d'Alfortville à écouter la copine de Joséphine médire sur leurs amies communes quand je descends fumer. J'ai soigné mon apparence pour ces saletés de visites et j'ai mis des chaussures de fille qui me font souffrir, je dois encore me déplacer puis retrouver Aurore pour le dîner, demain matin j'irai fumer en pyjama et en polaire mais aussi en tongs je pense parce que mes orteils ne rentreront plus dans rien. 

Moral en berne. Tout semble terne.

Il est dix-sept heure lorsque je paye ma boisson chaude et un croissant que j'emporte avec moi, j'ai une demi heure pour me rendre dans le XIIème et jouer le rôle de la jeune femme sympathique et très motivée une dernière fois aujourd'hui. Mon costume pour l'occasion est composé d'une veste et d'une robe noires et mal repassées qui m'arrivent aux genoux, on dirait une veuve fripée. Dans le métro je me réconforte avec ma viennoiserie sans prendre aucune précaution à l'égard des miettes grasses qui se dispersent sur ma tenue. Lorsque je descends à la station Michel Bizot je suis toujours fripée mais en plus j'ai des tâches sur ma robe. M'en fous en fait, de toutes façon je vais encore aller visiter un clapier au huitième étage accessible par une échelle en bois avec des chiottes à la cave. 

J'arrive pile à l'heure devant l'immeuble où personne ne m'attend ce qui m'arrange bien parce que j'ai envie de fumer. J'en profite pour faire le point avec Aurore et on décide de se retrouver à l'Express de Lyon vers dix-huit heures trente après son boulot. J'envoie un mail à ma mère et un autre à Anastasia pour savoir si elle a des dates précises pour mon départ. Une seconde cibiche au bec, je regarde ma montre, ce connard d'agent immobilier a vingt minutes de retard. Je les déteste, tous. 

Comme les moments lourds ont tendance à se suivre, mon portable vibre en affichant "Nicolas". Après les cordiales banalités de rigueur il en vient au fait.

- Quand est-ce que tu comptes venir récupérer tes affaires? J'ai mis pas mal de tes choses en cartons mais puisque tu ne veux plus vivre avec un "mec toxique comme moi" selon tes dires ce serait bien que tu viennes trier tes merdes toute seule comme la grande fille qui s'assume que t'es devenue, siffle-t-il dans le combiné.

— Tu bosses beaucoup cette semaine? Dis-je en me retenant de l'envoyer sur les roses.

— Tous les jours. J'ai un poste à responsabilités dans une vraie boîte Saah et...

— Et tu m'emmerdes Nicolas ! Moi aussi j'ai des responsabilités et un emploi du temps même si je ne suis pas en costume cravate impeccable pour les tenir, je te ferais rem...

— Non mais je ne te fais aucun reproche, sois-en rassurée ! C'est juste que j'ai de vrais horaires :  je ne tourne pas des séries ou des films pour ados habillé comme un petit PD en chasse un mois sur deux contrairement à ton nouvel ami, tu comprends ? reprend le perfide.

Je n'ai pas le temps de réfléchir, de sortir une phrase bien pensée, bien propre et bien foutue. Agacée, usée, en colère au milieu d'une rue de Paris à l'heure où nombre de gens sont dehors pour rentrer chez eux je me mets à hurler dans le combiné.

- MAIS A LA FIN PUISQUE JE TE DIS QUE JE N'AI PAS COUCHÉ AVEC DYLAN O'BRIEN ?!?!! TU VAS ME FAIRE CHIER COMB... NON EN FAIT, TU SAIS QUOI ? IL M'A SAUTÉE, ET J'AI ADOOOORÉ CA, PARCE QU'AVEC LUI C'ÉTAIT EXTRAORDINAIRE COMME JAMAIS AVEC TOI ! T'ES CONTENT, LA ? TU SOUFFRES OU T'ES HEUREUX D'AVOIR UNE EXCUSE DE MERDE SUPPLÉMENTAIRE POUR MIEUX TE METTRE LA TÊTE EN VRAC ? HEIN, NICO ?

— Mme Grey ? Mme TheGrey ? Demande une voix timide derrière moi.

— QUOI ENCORE ? VOUS ÊTES QUI VOUS ?

— Christophe Millot, je suis en retard, je suis l'agent immobilier avec qui vous aviez rendez-vous. Je suis navré vraiment. Je tombe peut-être mal et...

Je raccroche aussi sec au nez de Nico pour me tourner vers le nouveau venu qui n'en mène pas large face à la Bête aux écailles luisantes de miettes de croissant qui vocifère en face de lui. Les passants me regardent comme un monstre et changent de trottoir à ma hauteur.

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Bonsoir tout le monde !

  Et voilà le nouveau personnage : Christophe Millot l'agent immobilier !!! C'est donc c Alexandre Astier qui, suite à vos votes, rejoint nos joyeuses aventures. Je vous dis un grand merci parce que pour le personnage je voyais bien le Monsieur en question ou Pascal Elbé et que si vous aviez choisi Ryan Gosling j'aurais été bien embêtée.
Un bisou gros comme un Léopard à mon Xaton préféré et du fait ce chapitre sera dédié à demoiselleXanti_ qui me surprend toujours par la maturité de ses réflexions et la qualité de sa plume pour son jeune âge. 😘😘😘

Le rythme des publications va retomber fortement pour cause de Joutes Wattpadiennes et de travail dans la vie réelle, puisque j'ai un peu épuisé mes chapitres en stock, on va donc y aller plus cool.

Merci à tous pour le suivi, les votes, les commentaires hilarants et les places gagnées au classement (gare à ton cul plat Harry S., t'as un Dragon et un Léopard aux trousses mon gars !!!).👍👍😊

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