Last Goodbye

Dès que le moteur de la Fiesta ronronne ça va tout de suite mieux. Une fois que la voiture s'engage sur l'autoroute je commence à desserrer un peu les mâchoires. Plus je me détends, plus je sens que je vais pleurer. Quatre heures de route s'annoncent devant moi. Je suis dans un état de fatigue, de stress et de mal-être qui atteint son paroxysme.

Tristress.

Si on doit se concentrer sur les choses positives, tu pourras noter que tu n'as pas eu à défaire ta valise. Dans un second temps tu n'as pas eu à coucher dans le même lit qu'un ivrogne ce soir. Dans un troisième temps...

— Ta gueule ! Dans un troisième temps : ta grosse gueule pleine de dents à l'haleine souffrée et sulfureuse ? Tu la fermes ! Ta guuueeuule !!! me mets-je à hurler à moi-même dans la voiture.

J'ai le sentiment d'avoir une armée de femmes derrière moi qui me soutient dans mes actions de ce soir mais comme j'ai toujours vécu l'alcoolisme de Nicolas comme un truc honteux, je n'en ai jamais parlé à mes proches. À presque personne. Donner l'image d'un couple harmonieux était tellement plus important que d'être heureuse.

Je roule longtemps. Chet Baker joue de la trompette et fait des pauses pour laisser Miles Davis prendre le relais dans l'autoradio. Je pleure un bon coup mais ça ne me soulage pas tellement. La prochaine station service devrait m'apporter un moment de détente et de lumières vives, à défaut de paradis je me contenterai de l'artificiel. Le café instantané, les chiottes qui sentent le détergent mais qui sont sales quand même, les chips à cinq euros et les clopes à onze, l'essence toujours trop chère : les tarifs de l'aire d'autoroute ne se négocient pas plus que l'urgence et la nécessité des produits qu'elle propose. J'achète mes cames sans discuter après un passage au toilettes dont je ressors avec l'intégralité de mes sous vêtements.

Il est déjà vingt-trois heures lorsque je me décide à téléphoner à Xavier en tirant des bouffées nerveuses sur mon filtre.

— Salut, tout va bien ?

— Non. Quand je t'appelle à cette heure là c'est que ça ne va pas très bien.

—Tu veux me raconter ?

— Pas tout de suite. Je suis en route. Je serai chez toi d'ici deux heures environ. C'est bon pour toi ?

— Dans deux heures aujourd'hui ou dans deux heures samedi ?

— Tu n'es pas seul ?

— Non, je ne suis pas seul mais si tu es déjà en chemin et que tu es capable de faire Paris-Brocéliande de nuit sans prévenir c'est que tu dois avoir un gros besoin de la chambre d'amis. Appelle quand tu es arrivée, ne sonne pas s'il te plait, "il" sera peut-être endormi.

— Merci Xavier.

— Je t'en prie, ton débarquement improvisé à une heure aussi tardive ne me laisse imaginer que du bon pour ton avenir sentimental. Je te laisse, sois prudente sur la route, à tout à l'heure.

Rien que d'entendre la voix de Xavier et de savoir que quelqu'un m'attend vraiment quelque part je suis plus réchauffée et réveillée que par la lavasse que je viens de boire. 

Conduire encore un peu. Juste deux heures. 

La fatigue m'oblige pourtant à faire encore une halte avant d'arriver à destination. Mes jambes me portent à peine lorsque je traîne derrière moi la petite valise  pleine de peu de choses dans la ruelle glaciale. Mon sac à main pèse comme un âne mort sur mon épaule. Je manque de sonner et puis je me souviens de l'interdiction de mon ami et me ravise. Un échange de SMS plus tard la porte s'ouvre sur le visage souriant de Xavier.

— Je pose mon premier diagnostic ?

— Tu poses tout ce que tu veux mais par pitié laisse moi entrer je crève de froid et je suis debout depuis cinq heures du matin. Je t'épargne le fait que j'ai trop bu hier soir :  je suis au bout de la route là.

— Aller, file sur le canapé je vais faire chauffer une tisane.

Xavier me mets entre les mains une tasse brûlante qui sent bon la menthe poivrée de son jardin, je la pose sur la table basse pour poser mon sac par terre et retirer mes chaussures. Installée au fond du canapé je range mes pieds sous mes fesses et attrape le plaid sur le gros coussin pour le mettre sur moi. Le sentiment de confort et de sécurité qui m'envahit me fait presque monter les larmes aux yeux encore une fois ce soir. Xavier s'assied sur le fauteuil en face de moi, je devine à ses pieds nus et à son T-Shirt trop mou qu'il s'est rhabillé en vitesse pour m'accueillir, le chat saisit l'occasion et saute sur ses genoux pour obtenir un câlin supplémentaire en fin de soirée.

— Ma prescription sera très simple, vu ta tête il va falloir deux jours d'eau minérale minimum et une interdiction totale d'écouter Jeff Buckley pendant le mois qui suit.

Je défais ma queue de cheval dans l'espoir de soulager un peu le mal de tête qui me vrille le crâne depuis le matin et je bois quelques gorgées qui me font beaucoup de bien.

— Je t'ai mis une serviette de toilette sur ton lit, tu peux prendre une douche si tu veux, on n'est pas encore endormis. Tu as besoin de repos je pense, on parlera de tout ça demain si tu le souhaites. Je bosse de la maison de toutes façons, réveille-toi quand tu voudras.

— Merci pour tout Xavier. Vraiment, merci. Je suis contente d'être là.

Il ébouriffe mes cheveux en partant rejoindre "il" sa tasse à la main. Je bois la potion aussi vite que la température me le permet et grimpe les deux escaliers qui m'amènent aux combles aménagés en chambre d'amis mansardée. Mes muscles se relâchent peu à peu et de vilaines courbatures commencent à se faire sentir. Un coup d'œil sur la serviette de toilette me fait hésiter sur la douche mais je préfère remettre ça au lendemain et ne pas trop abuser sur mon arrivée lamentable en pleine nuit au milieu de la Bretagne un soir de Janvier.

J'ai encore du mal à réaliser ce qui me perturbe le plus : me retrouver seule, hébergée par un ami avec Peter le Dragon version trash ou les mains de Nico qui se referment sur mon cou et sa voix qui annonce dans un relent éthylique "Tu es une belle femme, je n'en profite décidément pas assez".

L'attaque du Dragon fut brève et rapide. Il était sur le qui-vive depuis un bon moment il faut le reconnaître. Ce fut très simple pour lui.

 Je ne t'aime plus et j'ai peur de toi. Je m'en vais

Nicolas a été pris au dépourvu, comme changé en statue de sel. Ça m'a laissé le temps d'attraper mes affaires et mes clefs de voiture et de refermer la porte derrière moi. Après j'ai dévalé les les escaliers aussi vite que me le permettait la valise à roulettes, parce que j'avais peur qu'il me rattrape, qu'il s'excuse et que je pardonne une fois de plus. J'étais terrifiée à l'idée de ne pas réussir à fuir. Dans le garage souterrain j'ai jeté mes affaires à la hâte sur la place du mort en m'installant à celle du conducteur. J'ai démarré la voiture juste après avoir bloqué les portières et je suis sortie du parking en passant le plus vite possible devant un Nicolas ivre de rage. 

Ce n'est qu'au deuxième feu rouge que j'ai réussi à reprendre mon souffle et que je me suis empressée de mettre ma ceinture de sécurité. Lorsque j'ai commencé à me demander où j'allais bien pouvoir trouver refuge pour la nuit j'avais déjà pris le chemin de la maison de Xavier.

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J'aimerais dédier ce chapitre à FaerylShyla qui a une imagination aussi prolifique que variée. Si vous êtes avides de mystères sur une île perdue mais que vous aimez aussi les jolis garçons et les histoires d'amour tumultueuses son "Île Maléfique" est pour vous ! 😘

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