It's probably me

Matinée de libre. Je peux faire comme bon me semble avant de partir en signature. Il faudrait que j'en profite pour écrire, avancer mes projets.

Mais je ne le fais pas.

Je bulle dans le bain bouillonnant du spa, barbote dans les eaux sales et troubles de mes songes tandis que le Dragon fait de petits tourbillons dans la piscine. Il est marrant.

— Ça te plaît on dirait, l'eau.

— Oui, j'aime beaucoup, je peux prendre toute la place que je veux.

— Je ne te savais pas des origines Léviathan.

— J'ai encore tellement à t'apprendre.

— Ah oui ? Comme quoi ?

Chuuut, ne gâte pas mes surprises et profitons de ce moment en tête à tête pour nous détendre. Tiens regarde, y a quelqu'un qui s'amène pour toi.

Une réceptionniste est entrée dans la pénombre des bains et s'approche de nous d'un pas hésitant. Mon garde-fou s'enroule autour de moi, ma protection verbale invisible souffle à mon oreille sa présence rassurante.


— Mme TheGrey ?

— C'est à quel sujet ?

— C'est un peu particulier... Je voudrais connaître votre pointure de chaussures, dit la jeune femme sans ciller.

— C'est très aimable, mais je ne participerai pas à la soirée fétichiste du Hyatt en mon honneur cette année, dis-je fière de mon humour qui tombe à plat.

— Un de nos clients m'a demandé ce matin de vous faire parvenir une paire de chaussures pour ce soir. J'ai besoin de connaitre votre taille pour les acheter.

Je suis impressionnée : les demandes variées et saugrenues des occupants n'ont plus aucun impact sur les employés des grands hôtels. Si j'avais été en train de sniffer du savon avec une amie dans le jacuzzi, ça ne l'aurait sans doute pas perturbée d'avantage. Elle repart aussitôt qu'elle a récupéré l'information sur ma pointure 39.

— Je me demande bien quel client de l'hôtel a besoin de t'offrir une paire de chaussures pour votre rendez-vous de ce soir, se moque l'Immonde.

— Moi je me demande bien de quel genre de souliers il s'agit.

Je lui tire alors la queue et l'entraîne avec moi sous l'eau, persuadée que l'immersion clarifiera mes doutes.

Il me faut un peu de temps pour accepter de quitter les étuves, sur mon téléphone il y a un message de Nico que j'efface sans le lire. Après tout, je ne vais pas me me morfondre pour ses récriminations perpétuelles.

Tuons le mal.

— Tu. On. Le Mâle.

Je me prépare sans joie pour la dédicace. L'excitation des premières fois laisse place à la morosité permanente de mon esprit. Ça va reprendre de plus belle, les mêmes questions, les mêmes sourires, la même signature sur le même livre. Je me lasse de moi et je sais d'avance que Dylan O'Brien sera vraiment très sympathique tout l'après-midi.

 — En même temps, tu voudrais leur répondre quoi ? Qu'il est distrayant lorsqu'il est sans sa copine ? Qu'il entraîne les filles à picoler dans les bars pour leur acheter leur slip ? Tu voudrais leur dire la vérité : que son coté "petit connard sûr de lui" te met la chatte au court-bouillon ?

Ma conscience  écailleuse me pèse. La jeune femme triste qui pleurait au volant de sa Ford Fiesta est partie loin, j'ai du mal à savoir si je suis fière ou honteuse de l'équipe qui la remplace.

Devant les cintres de mon armoire je ne tergiverse plus, je m'habille correctement comme Anastasia me l'a appris, je me coiffe un peu et fais un effort pour le maquillage. Je suis de mieux en mieux dressée.

Ce n'est pas un taxi mais une voiture avec chauffeur qui m'attend. Comme je me fiche de qui il est et que c'est certainement réciproque, je ne lui dis pas bonjour, d'ailleurs je ne lui parle pas du tout et le laisse écouter sa musique de supermarché sans lever les yeux au ciel.

Je deviens polie.

Les lecteurs font déjà la queue devant la librairie, une bouffée de remords me serre la gorge. La neige est sur le point de tomber, le ciel est sombre. Je voudrais me jeter à leurs pieds, leur expliquer que c'est moi qui leur dois tout et que la star c'est eux tous, que je ne suis rien, que je ne mérite pas, que je suis à chier. Le Dragon me conseille de ravaler sagement mes états d'âme puis me pousse à rentrer dans la boutique. Avec un sourire.

Je fais un petit signe de la main en passant et note qu'un murmure collectif parcourt la file. Ça chuchote #Saahan et #Dylaah, les bruits de notre alliance disparaissent en volutes dans le froid de Manhattan. Sophia et Lionel sont charmants et me reçoivent avec une gentillesse infinie. Du thé blanc infuse et des petites douceurs sont disposées sur un joli présentoir à coté pour que je puisse en profiter lors des pauses. On me prend visiblement pour Jane Austen. J'aurais mieux aimé des clopes et des chips. Il est treize heure et je repars pour un tour de gratouillis sur la page de garde du Léopard.

Tout se passe bien avec les premiers lecteurs. Hugh me masse affectueusement l'épaule de temps à autre comme pour m'encourager. Je déteste ça, le Dragon a envie de lui rayer la gueule.
Au bout de quelques dédicaces une jeune femme d'une vingtaine d'années me demande timidement s'il y aura une suite, je réponds que je ne sais pas encore et elle me raconte qu'elle a écrit une fanfiction de "La Queue" sur Wattpad.
Elle me dit qu'elle se permet de me donner son pseudo pour que j'aille la lire et lui donner mon avis. Beth, puisque c'est son nom, sourit largement alors que je la remercie, juste avant de quitter la librairie elle se penche vers moi et à voix basse me dit :

— Je vous comprends tellement : c'est un personnage génial Dylan, j'ai adoré écrire avec !

Malaise impalpable. Sentiment dérangeant le long du dos. Je sens une crête qui se hérisse, de petits pics se redressent sur mon échine.

Derrière moi Hugh n'a pas traîné, il a déjà foncé sur l'application orange et blanche et feuillette la prose de la jolie blonde. Au fond de mon ventre ça palpite fort. Je me concentre, il va falloir tenir sur l'après-midi sans montrer le museau de la Bête. Animal à sang froid, coûte que coûte. 

Lors de la pause je souffle sur ma tasse pour disperser la chaleur, la vapeur m'entoure. Je ne touche pas aux mignardises malgré les incitations de Lionel. Hugh me prend à part un instant.

— Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour échanger hier Saah, j'en suis désolé. Je voulais te demander : où en es-tu pour la suite ? Tu pourrais m'envoyer les premiers chapitres par mail ?

Il prend un air compatissant au sujet de rien du tout qui m'horripile mais l'occasion est trop belle.

— Et bien justement c'est une bonne chose que nous puissions échanger là-dessus. Tu vois j'ai bien pensé le truc, et j'ai écrit pas mal de chapitres, hein, sois rassuré ! Mais voilà, j'ai préparé autre chose aussi, ça me tient à cœur de te le montrer et...

— Mais carrément ! Deux livres ? Le tome trois ? Saah, c'est super, je n'en attendais pas tant.

— Non en fait ce n'est pas ça, ça n'a rien à voir. C'est un roman d'anticipation, il n'y a pas d'histoire entre deux hommes, pas même de scène sexy, tu vois c'est chouette qu'on en parle parce que...

— Non, non, non, attends Saah, je veux bien qu'on parle de pleins de choses mais il me faut une suite. 

— Mais ce n'est pas si simple d'inventer une suite, tu sais, ils sont heureux et ils s'aiment Kilian et Clément, et puis point barre. Je n'ai pas envie de me poignarder le cul avec des saucisses pour inventer un truc chiant à lire, juste pour faire une suite parce qu'on en attend une et qu'on pourrait la vendre.

Il m'est de plus en plus difficile de dire si le Monstre parle à travers moi ou si sa langue fourchue prend place dans ma bouche. Était-ce lui ou moi ? Je perds pieds, encore.

— Comprenons-nous bien, il est hors de question que je ne publie pas cette suite. Le cinéma est intéressé, il me faut au moins deux tomes pour faire deux films, "Hugh & ses amis" doit absolument profiter de ce succès. 

— Mais ce que j'écris n'est pas bon ! On ne va pas publier de la merde juste pour la publier quand même ?

— Tu ne m'écoutes pas. Tu n'écoutes personne d'ailleurs : ma société dispose des droits. Si tu n'écris pas cette suite, je trouverai une petite gourde sur Wattpad pour le faire, je lui mettrai un correcteur dans le cul et j'aurai mon second opus. Tu crois être la seule à écrire des fanfictions sur Dylan O'Brien ? Vraiment, Saah ?

J'avais pourtant tout serré. Tout contenu. Tout était prévu et réfléchi, j'avais fait un joli travail de dressage et d'éducation sur lui depuis le début de la journée, j'étais très contente de son comportement, j'avais envie de le féliciter même. Mais le Dragon est arrivé toutes dents dehors, le cou arqué, il a sifflé l'œil mauvais sur Hugh comme dans un crachat :

DYLAN O'BRIEN : C'EST MOI !!! Sur WATTPAD : DYLAN O'BRIEN C'EST MOOOOIIII !!!

La rage du cri fait tomber un agenda Justin Bieber 2017 en promo d'un présentoir. Les clients me regardent les yeux écarquillés dans le silence le plus total. J'époussette ma chemise d'une toile d'araignée imaginaire sur l'épaule avant de retourner m'asseoir pour signer mes bouquins. À ma gauche mon éditeur à l'air confus, sur ma droite la patte griffue s'empare du stylo et reprend ses signatures.

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Hello les lecteurs !

Lorsqu'un personnage ou une personne qui a tout pour être heureux souffre d'un ennui perpétuel et d'un sentiment d'inaccompli, on peut le taxer de Bovarysme. Cela fait référence au personnage de Flaubert, la fameuse Mme Bovary.
Ça, c'est dit.

Donc si vous souffrez d'ennui sans trop de raison valable, ouvrez un livre, ou votre application et allez lire un petit truc pour vous remonter. Un truc vite fait. Qui donne des frissons. Qui vous force à tourner la page. Allez jeter un œil au "Peer tout peer" de ytruof  par exemple.
Salutations par l'occasion 😊.

Et on en profite tous ensemble pour dire :
JOYEUX ANNIVERSAIRE Giselle_Marion !!!!
😘😘😘🍰🎶🎼🎂🍻🎆🎇✨🎈🎉🎊🎁

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