I Am What I Am
D'un signe de tête au barman il prend tout sur sa note d'hôtel. Je suis trop saoule pour tenter de négocier mon honneur dans le règlement de mes consommations, d'autant que ça m'a déjà coûté une culotte.
Je sens ses pas derrière les miens dans l'étroit vestibule qui mène aux ascenseurs. Devant les portes nous avons installé entre nous une distance tacite que nous n'avions pas tout à l'heure mais qui serait bienvenue en cas d'attentat photographique. Les portes s'ouvrent et je titube à l'intérieur tandis qu'il louvoie jusqu'aux interrupteurs.
Je prends appui contre la paroi et il enfonce le chiffre "7".
— Tu es à quel étage ?
— Au huitième s'il te plait.
Il s'adosse dans le coin en face de moi. Je ne suis pas capable de soutenir son regard face à face. Dans le miroir de la cabine je me permets de l'observer plus facilement. Excuse d'ivrogne mais excuse quand même. Mes grands cas de consciences ont du rester dans ma culotte puisque je prends plaisir à le regarder. Dans le grand miroir de l'hôtel de luxe, le reflet du Léopard prend la tournure d'un jeune homme séduisant avec qui j'ai passé une soirée à l'image d'une bière artisanale : trouble et légèrement pétillante.
Son reflet se permet de me rendre l'hommage. On ne dit rien. On se regarde par l'intermédiaire de la glace comme si elle cautionnait cet échange platonique autant qu'adultère. Si son image laisse entrevoir le Léopard que j'ai imaginé, mon regard devient celui de Clément pendant un tour d'apesanteur. La lumière crue, la fatigue et l'alcool font briller sa peau, ses cheveux tombent sur son front en mèches qui mériteraient un shampoing et son regard accuse le manque de sommeil et les verres de trop. Pourtant lorsqu'il relève le menton et qu'il ébauche un demi-sourire à mon intention l'absence de mon sous-vêtement se fait cruelle.
— Demain soir tu envisages de revenir au bar ? demande-t-il.
—Non, demain je pars pour Dublin et je rentre en France le soir.
— J'ai passé un bon moment, vraiment, je veux dire qu'en général je ne sors pas de ma chambre et là... c'était... c'était marrant. J'ai passé un bon moment avec la créatrice de "Kilian O'Hara".
— Moi aussi j'ai passé un bon moment... Kilian.
Les portes s'ouvrent au septième sur cet échange de politesses et nous échangeons un signe de tête en guise d'au revoir. Sur le seuil de la cabine il semble hésitant et tarde un peu à sortir. L'alcool sans doute. Dans l'encadrement des portes nous nous observons une dernière fois tandis qu'il plonge sa main droite au fond de sa poche. Je distingue nettement ses doigts jouer sous le tissu de son pantalon avec ce qui m'appartenait intimement ce matin encore. Sa cage thoracique se soulève à un rythme plus court et il refait un pas en arrière comme s'il avait oublié quelque chose. L'ascenseur se referme sur son expression d'inaccompli et je suis à la fois soulagée et ennuyée de ne pas avoir eu le temps d'écouter ce qu'il avait à me dire.
—Tu mens : ce n'est pas "écouter" dont tu avais envie. Tu voulais autre chose.
De retour dans ma chambre j'enfile une tenue pour la nuit après un rapide passage dans la salle de bain. Je tombe dans un sommeil brutal sans perdre de temps à débriefer la soirée avec le Dragon.
"Soirée d'alcoolique, réveil qui pique", vieux proverbe anglais.
J'ai la bouche pâteuse, la tête en vrac et je serai capable de boire le jacuzzi du SPA d'une traite tellement la soif me tenaille. Mes affaires sont éparpillées partout dans ma chambre et je suis censée partir pour l'aéroport dans quarante minutes. J'établis mes priorités à toute vitesse : une douche d'un quart d'heure et quinze minutes suffiront pour ranger mon sac et me préparer. Je trouverai bien le moyen de faire un caprice à l'aéroport pour avoir des scones ou des muffins. Pas le temps pour un brushing, j'attache mes cheveux encore trempés dans un chignon strict et enfile une chemise pas trop froissée contrairement à mes paupières. Mettrai du rouge à lèvres dans l'avion pour faire diversion.
Anastasia n'est pas dupe de mes lunettes de soleil en parfaite adéquation avec la météo de Londres au mois de Janvier et de mes deux minutes de retard.
— Tu as mauvaise mine. Tu as mal dormi ?
— On peut dire ça oui. T'as pas du paracétamol ?
— ...
— Oublie.
J'élude toute question subsidiaire et m'engouffre dans la berline qui attend devant l'hôtel après avoir jeté une cigarette qui accentue mon état nauséeux. Puisque j'ai la gueule de bois le jour où je pars dédicacer en Irlande, j'ai donc prévu de vomir vert sur les chaussures de celui ou celle qui me parlera d'ironie du sort. Affalée dans le fauteuil en cuir moelleux de la voiture j'essaye de récupérer quelques précieuses secondes de sommeil avec le plus de discrétion possible mais je me suis déjà vendue en réclamant des cachets à mon éditeur. Plus ces trois jours avancent plus je me rends à l'évidence : je suis le Hank Moody de la Chicklit. J'en serais presque fière si je n'avais pas un solo de batterie qui tourne en boucle sous mon chignon.
Juste avant que le chauffeur démarre une des jeunes femmes de la réception frappe au carreau de la voiture :
— Excuse me Miss Grey, someone left this for you.
— Oh, thanks !
La réceptionniste me remet une enveloppe devant une Anastasia curieuse. Je mets le pli dans mon sac à main et reprends ma torpeur. On verra plus tard : je l'ouvrirai quand je serai capable de tenir mes paupières ouvertes cinq minutes.
Encore une séance de dédicace. Je suis toujours aussi ambivalente dans mes sentiments : c'est un plaisir complet de signer mon livre en découvrant la queue pour le Léopard et d'entendre chaque gentillesse que les lecteurs ont pour moi. Mais ça devient franchement lourd de répéter "He's very nice/very handsome" à chaque fois. Je prévois d'écrire mon prochain roman sur Michel Leeb histoire d'être assurée de pouvoir cuver tranquille pendant le Salon du Livre du Montreuil.
—Je serais toi je bouderais moins mon plaisir, je te rappelle que ce soir tu rentres à Paris retrouver ton quotidien et ton cher et tendre. On parie que la chute va être rude ?
Pas besoin de parier, j'ai déjà une boule dans le ventre à l'idée de ce qui m'attend chez moi. La colère de Nico sera-t-elle retombée ? Aura-t-elle laissé place à une humeur festive exagérée ? Sera-t-il de nouveau fou de rage en me voyant passer la porte ? Ne pas savoir et imaginer est pire que tout. Malgré les exhortations du Dragon à ne pas me laisser submerger par la peur il est évident que je donne de moins en moins le change face aux lecteurs. Mon éditrice demande quelques minutes de pause et en profite pour m'emmener à l'écart et me fait asseoir sur un tabouret.
— Écoute, je ne sais pas ce que tu as fait, bu ou sniffé ou que sais-je hier soir et ça ne me concerne en rien. Mais ouvre grand tes oreilles : pendant que tu grimaces des sourires en signant ton livre moi j'ai reçu les premiers chiffres de tes ventes. C'est dément ! annonce-t-elle avec le sourire de Cruella.
— Dé...ment ? réponds-je du bout de mes lèvres trop sèches.
—Dé-ment ! Ça cartonne sur le marché anglophone. Ton coup d'éclat lors de la conférence de presse d'hier a relancé le truc de plus belle hier, les réseaux sociaux enchaînent #Dylaah et #Dylan&Saah. Je vais vérifier deux ou trois trucs en rentrant mais je pense que tu peux d'ores et déjà penser à préparer une nouvelle fois ta valise parce qu'on va aller à New York dans pas longtemps.
— Ah. Cool.
—Tiens, prends ça, c'est aspirine + vitamine C. Mange un peu.
Elle me tend un muffins plein de bananes, chocolat au lait et autres amandes pilées. Pour un peu j'en pleurerais de félicité tellement ça me fait du bien. Je pourrais presque sentir mes vaisseaux sanguins se recharger en sucre, en eau, en vitamine. Ma tête et mes nerfs vont profiter de l'anesthésie de l'antidouleur dans trente minutes. Anastasia me masse un peu les épaules. Elle est bonne dans son rôle de coach, je me sens son "Million Dollar Baby".
Ragaillardie par le gâteau et la drogue légale, je remonte sur le ring et j'enchaîne les coups de promo : sourires accrocheurs, poignées de main fermes, réponses directes. Il me reste une heure et demie à tenir pour mettre la file K. O.
Les dernières vingt minutes sont un cauchemar. J'ai les muscles qui me tirent. Dès que je repense à la soirée de la veille j'ai envie de me gifler. Vendre une culotte. Je ne me reconnais pas dans la personne d'hier soir. Pourtant, je ne peux que faire le constat suivant : je ne m'étais pas marrée comme ça depuis longtemps.
La dédicace touche à sa fin, mes capacités cognitives également. Une mère de famille accompagne sa fille d'une quinzaine d'années. Celle-ci me tend un exemplaire et s'adresse à moi de la façon suivante :
— J'ai beaucoup aimé la métaphore de la queue du Léopard : est-ce que c'est l'amour mutuel ou la course à la célébrité et ce que cela implique qui est aussi difficile à saisir que la queue d'un grand fauve ?
Je jette un regard à mon éditrice qui écarquille grand les yeux en me faisant un signe "NoooOOon!" du doigt, mais c'est trop tard et le Dragon a déjà pris son envol :
—En fait je voulais surtout parler de sa bite, dis-je en lui rendant le livre signé.
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Une petite dédicacé à CaynTih qui se plonge dans Wattpad souvent lorsqu'elle est malade et au chaud sous son lit. Merci à toi de rejouer le jeu de la Fanfic et de suivre à nouveau cette histoire !
Hello lecteur !
Je vais avoir besoin de toi. Vois-tu, je n'ai encore jamais utilisé la fonction "Casting" de Wattpad, je trouve ça un peu étonnant comme principe en fait. Ceci-dit, comme nous jouons le principe de la Fanfiction jusqu'au bout je te propose de faire un choix à ma place. Un nouveau personnage va bientôt entrer en scène et je compte sur toi pour m'aider à le choisir. Ce personnage n'est autre que... ben tu ne sauras pas. Le frère de Saah ? L'épicier en bas de chez elle ? Son banquier ou un agent immobilier ? Le taxi qui la ramènera de l'aéroport ? Bref, les possibilités sont multiples mais c'est à toi de voter pour son future visage. Il te suffit pour cela de cliquer sur la petite photo du monsieur et de mettre un commentaire dessus. Tu as donc quelques chapitres devant toi avant de le voir apparaître... La responsabilité qui t'appartient est lourde alors vote en ton âme et conscience !
Et je t'embrasse au passage !
A) Pascal Elbé
B)Ryan Gosling
C) Thomas Dutronc
D) Alexandre Astier
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