C'est l'odeur du café qui me tire du sommeil. Un beau soleil d'hiver éclaire la chambre. Aucune idée de l'heure mais mon estomac me dit qu'il est temps d'aller manger.

— Bière/Chips/Bière/Fish&Chips/Bière/Chips/Bière/Fish&Chips/Bière... Pauv' fille, souffle le Dragon.

— Déjà réveillé toi ?

—Dragon, toujours prêt !

— Dragon, toujours con.

Dans la petite cuisine de Xavier il y a un bel homme blond aux yeux clairs qui mange une tartine de beurre demi-sel. Il tient une tasse d'espresso et il sourit.

— Bonjour Saah, je suis Pierre. Xavier m'a dit que tu étais arrivée cette nuit. Il dort encore. Tu veux un café ?

— Bonjour, avec plaisir, oui merci.

Pierre enclenche une capsule dans la machine et fait glisser la tasse devant moi. Une odeur de pain chaud et de viennoiseries émane du sac en papier juste à côté de la carafe de jus d'orange.

— J'ai pris des croissants et des chouquettes en revenant de mon footing. Je me suis dit que tu apprécierais.

— C'est très gentil, merci encore une fois. C'est pour me remercier du dérangement au milieu de la nuit ? 

— Non, c'est parce que ça fonctionne bien pour briser la glace quand on rencontre quelqu'un. Xavier m'a parlé plusieurs fois de toi, de ton roman, des corrections qu'il y a apportées. J'ai lu ton livre ensuite. Ça m'a fait rire, j'ai bien aimé, dit-il en ébouriffant une mèche sur le dessus de sa tête.

— Il s'emmerde pas le Xavier ! Quand il t'a inspiré le "Léopard" il était seul et triste et il regardait "Teen Wolf" au petit déjeuner...

Je comprends très vite que Pierre connaît la cuisine aussi bien que le reste de la maison, que ce n'est pas la première fois qu'il dort ici et que je n'ai pas déboulé chez mon pote au milieu de la nuit mais chez un jeune couple amoureux. Xavier a trouvé le Dylan que je lui ai inventé.

Pierre m'explique qu'il a rencontré mon ami il y a quelques semaines lors d'une soirée. Pour l'un comme pour l'autre ça a été simple et évident, une nuit s'est transformée en un week-end, qui est ensuite devenu une histoire. Le grand blond a l'air heureux et serein, comme Xavier hier soir. Je suis contente pour mon ami.

—Xavier a son Dylan. Dylan a sa Brittany. Toi t'as quoi ? T'as même plus l'intégralité de ta garde-robe, souffle le Dragon dans un rire de tordu.

Après une douche je m'habille avec un vieux jogging et une grosse chemise en flanelle à carreaux rouges et noirs, relique de ma période grunge et m'installe avec mon ordinateur et un café en face de Xavier qui est déjà au travail. Ses lunettes de boulot sur le nez il corrige et retravaille les textes que des auteurs chanceux n'ont pas envie de reprendre avant leur publication.

— Tu travailles sur quoi ?

— "Le Requiem de Klimt". C'est aussi chiant que pompeux. Je ne comprends même pas que ce soit publié. Et toi tu bosses sur quoi ?

— La suite du "Léopard".

— Tu vas écrire une suite ?

— Je ne sais pas. Je pense que l'éditeur va le suggérer très vite alors autant que je commence à y réfléchir sérieusement.

— Et tu envisages de maltraiter Clément et Dylan, pardon Kilian, de quelle façon maintenant ?

— Je verrais bien Dylan/Kilian jouer son propre rôle dans une adaptation ciné avec Clément qui n'accroche pas trop sur les relations ambiguës entre son amant et son partenaire à l'écran.

— Et qui va prendre cher dans le rôle de Clément à l'écran ?

—J'hésite encore mais je ferais bien passer le casting à Michael Fassbender, ou à Gilles Lellouche tiens, pour rester dans le frenchie.

Xavier se marre mais il approuve. Au final je n'écris rien et je l'aide à corriger plusieurs chapitres de son requiem pompeux. Lorsque Pierre rentre vers dix-neuf heure nous ne nous sommes levés que pour remplir à plusieurs reprises la théière. L'homme au regard a les bras chargés de courses et se met aussitôt aux fourneaux pour préparer un plat épicé et oriental qui embaume la cuisine, le salon et le bureau. Presque deux heures après son arrivée Pierre nous propose un cocktail. Je demande un Vesper mais Xavier corrige et me sert une eau minérale avec une rondelle de citron en me me disant que je peux bien laisser mon foie tranquille vingt quatre heures de plus. Je prends sur moi de ne pas faire trop la tête.
Un peu plus tard nous sommes à table autour d'un curry vert d'aubergines. Ça sent bon et c'est chaud. Pierre cuisine bien, c'est délicieux et je me ressers.

— Alors ? Vous avez eu le temps d'écrire aujourd'hui ?

— J'ai avancé dans mes corrections, Saah m'a aidé.

— Et du fait je n'ai rien écrit. Je devais mais je n'ai rien fait. J'ai du mal à ré-enclencher la machine. Je sais pas trop par quel bout reprendre le "Léopard"...

— Et Londres ? C'était comment ? Tu ne nous a même pas raconté au final.

Je leur raconte le plaisir de la dédicace, la chambre d'hôtel, Anastasia et les Fish&Chips. Je reste muette sur le reste.

— Et la soirée beuverie d'avant-hier dont tu m'as parlé hier soir en arrivant ? C'était avec ton éditrice où tu t'es mise dans cet état toute seule avec ton mini-bar ? Questionne Xavier sur un ton mi-figue mi-raisin.

— En fait...

— Vas-y, je suis tout ouïes de l'excuse miteuse que tu vas sortir !

— J'ai rencontré... C'est difficile à raconter en fait... À la base, je voulais boire une coupe de champagne pour fêter le truc... Et puis je m'étais disputée avec Nico et en fait...

— Mais tu vas finir par cracher le morceau, oui ? On a passé la journée ensemble et à aucun moment tu n'as parlé des fameux #Dylaah et #Dylan&Saah qui circule sur tes pages d'auteurs. Pas plus que tu ne racontes le fait que tu as serré la main du chaton : les photos tournent non stop sur mon fil d'actualité. Comme je te connais un peu je ne peux m'empêcher de me dire que ce que tu ne mentionnes pas c'est ce qui s'est produit. Alors ? Je me trompe ?

— Non, enfin oui. Je veux dire que... On a bu ensemble, c'est vrai, mais il ne s'est rien passé. Ce fut strictement professionnel en fait.

— Haha, oui je vois : "une cuite très professionnelle". Tu te payes ma tête Saah ? Raconte.

Pierre a déjà débarrassé le repas quand je suis sur le point de me mettre à table. Au moment où j'ouvre la bouche, résignée à enjoliver la réalité avec "une ou deux bières" suivi d'un magistral "on s'est salué poliment" Arthur, le chat, entreprend une fouille dans les règles de l'art de mon sac à main et renverse par terre son contenu. L'enveloppe qui porte mon nom glisse sur le carrelage et arrive exactement devant les pieds de Xavier.

Alors que je commence à débiter mon mensonge, il ramasse l'enveloppe volumineuse et me la tend. Je l'ouvre sans y prendre attention et invente un chapitre très bon enfant et savamment édulcoré de ma soirée "Alcooliques & Vieilles Dentelles".

Trois cents Livres en petites coupures glissent sur la table accompagnés d'une carte signée "D."

— Et ça c'est quoi ? Et le "D" c'est pour qui ? Dracula ou Donald ?

—Elle vous mène en bateau comme des petits canoës gonflables depuis tout à l'heure parce qu'elle est incapable d'assumer que cette soirée de débauche est la meilleure et la plus drôle qu'elle aie passée depuis longtemps. Tu lis la carte devant tout le monde pour te faire pardonner ? Quelqu'un veut une tisane pour savourer l'instant ? déclame le Dragon en riant sous son aile.

************

Bonsoir les lecteurs !

Déjà un grand merci : grâce à vos votes, vos commentaires et vos éclats de rire "Le Reflet" est arrivé à rentrer de la classement Fanfic en très peu de temps et je voulais vous en faire part. C'est ma petite frustration perso : "La Queue du Léopard" n'aura jamais eu sa chance puisqu'il est classé "mature". Je suis donc ravie de cette entrée (pensez à la musique du Top 50 en lisant svp).

Ce soir je dédie ce chapitre à VLepage qui est un auteur d'homoromance capable d'allier l'humour et l'érotisme avec beaucoup de talent dans ses histoires. C'est toujours un plaisir d'échanger avec lui sur divers sujets. Ce monsieur est drôle, délicat et romantique en plus d'écrire de jolies choses. C'est aussi quelqu'un qui m'a encouragé dès le début du "Léopard" quand je me disais que c'était complètement n'importe quoi (oui, en plus il encourage, une perle je vous dis ! ). Je t'embrasse Vincent <3.