Back to Black

Anastasia me traîne comme une âme en peine à travers les halls de l'aéroport. Elle m'accorde une attention très sommaire et passe le plus clair de son temps au téléphone à vérifier les retombées de mes divers écarts de langage ainsi que les chiffres des ventes. Les réseaux sociaux opèrent une publicité mondiale gracieusement orchestrée par le public ciblé. Depuis deux jours les sites officiels de Dylan O'Brien ne cessent de prouver et de justifier mes dires en mettant en avant des photos de l'arrière-train de l'animal. Ma dernière phrase lors de la dédicace de l'après-midi a plus de chance de passer inaperçue mais rien n'est encore certain.

Mon éditrice revient me secouer pour me sortir de ma contemplation d'un duty free. Je ne rêve que d'une tisane que je pourrais boire en dormant.

— Il risque d'y avoir de la presse à la sortie de l'avion à Charles de Gaulle, vu ta tronche de macchabée il va falloir jouer serré pour éviter la une des torchons à scandales demain.

—Macchabée ?

—Tu ressembles à Eric Zemmour qui aurait été vomi par Finkielkraut. T'es pas très fraîche en langage New Romance mais c'est un dialecte qui t'est encore un peu étranger donc je te parle dans ton argot fétiche. C'est plus clair comme ça, non ?

— Tu me fais honneur Anastasia, je suis fière de toi ! dis-je en pouffant.

— Bon, tu vas te trouver un sweat à capuche de compétition dans une de ces boutiques, les lunettes noires feront le reste.

Nous errons à travers les rayonnages des boutiques à la recherche d'un vêtement dans lequel je pourrai me cacher des photographes. Ma coéquipière de shopping lève les yeux au ciel lorsque je lui propose un modèle en ricanant.

— Ben quoi ? J'en ai cherché un avec Kev Adams mais j'en ai pas trouvé.

Un sweat XL dénué de tout intérêt et un paquet de chips plus tard Anastasia me questionne sur mon âge alors que nous nous dirigeons vers la salle d'embarquement. Je me saisis de mon portable pour pouvoir éplucher mes messages et couper court à la conversation.

— Quand j'ai bien dormi et que je me suis alimentée sainement j'ai trente ans. Mais en règle générale je suis restée fixée à dix-sept ans. C'est pour ça que je te fatigue plus que tes auteurs habituels. Putain, j'ai envie de fumer !

Assise sur un fauteuil je prends acte du dernier message de Nico qui date de la fin de l'après-midi.

" Content de savoir que tu rentres ce soir Babe, je te prépare un petit dîner pour ton arrivée. Je t'aime"

Je ne sais pas ce qui me chagrine le plus : que je ne le croie pas ? Que je ne supporte plus qu'il m'appelle "Babe", "Bébé", "Baby" ? Que la gentille attention de ce soir n'efface en rien les mots ignobles qu'il m'a sorti l'autre fois et que, de plus, c'était loin d'être une première ? Qu'objectivement je me rends compte que je suis incapable de prendre la décision qui s'impose et que je préfère m'essuyer les pieds sur Anastasia plutôt que d'admettre que je ne suis pas toujours aussi détachée de tout ?

 Si tu m'écoutais un peu plus on aurait la paix depuis longtemps et on aurait sûrement eu l'occasion de visiter le septième étage hier soir. Au moins on serait rentrés avec un chapitre inédit de "La Queue du Léopard".

Un sommeil de mauvaise qualité, lourd de cauchemars honteux et terrifiants me berce jusqu'à Paris. Anastasia dégaine son téléphone dès que l'hôtesse le lui permet, son empressement à taper son code PIN me rappelle Nico qui ouvre une canette de bière en alu. Ma tête va mieux mais je réprime un haut le cœur, j'ai beau chercher, je n'ai qu'une option ce soir : rentrer chez moi.
La blonde de chez "Hugues & ses potos" me retient fermement par le tissu de mon sweat-shirt d'une main, de l'autre elle tient son smartphone et aboie des ordres à des subordonnés entre deux textos qu'elle tape comme une névrotique. Elle est en train de gérer mes dérapages mais semble tout  à fait équipée pour nager dans mes eaux troubles.

— La prochaine fois que t'es inspirée par le cul d'un homme je t'en supplie : garde l'info pour tes copines ! Y a un bordel noir dehors et si on voit ta tête ton image en pâtira, dit-elle le regard sombre. Quand ton image en pâtit, les ventes en pâtissent aussi et c'est pas bon pour notre romance ça ! Tu comprends mieux quand je te parle de cette façon ?

— J'écris pas des albums illustrés, j'ai pas besoin d'image.

—Tes sarcasmes me courent sur le haricot ce soir, une image de merde ce sont des ventes qui baissent ! Prends-toi en charge cinq minutes et file moi un coup de main : tu vois le groupe de touristes là-bas ? Je vais aller parler à leur guide. Je me ferais passer pour une accompagnatrice et toi tu vas disparaître bien au fond de ta capuche et te fondre dans le groupe. Tu mouftes pas. Tu baisses les yeux et tu suis le troupeau, compris ?

— Ok, ok, je suis le groupe, dis-je en levant les mains en signe de soumission.

De toutes façons le coup d'éclat, la tête de travers pour Public ou Closer je m'en passe très bien. Je vais faire l'effort de l'écouter, je promets.

Dehors c'est pire que ce qu'elle avait prévu. Tous les fouille-merde m'attendent. La TV, la presse, internet, ils ont tous envoyé leurs émissaires et même si je passe très vite et que je reste inaperçue je ne peux manquer la rumeur qui frémit de toutes parts.

"Tu crois qu'elle s'est tapée Dylan O'Brien ? ", "Toi, tu penses qu'il est comment Dylan O'Brien ? ", "Peut-être qu'il est gay après tout Dylan O'Brien ? ", "En même temps si tu retires le maquillage et la coiffure, elle fait pas franchement rêver la Saah TheGrey", "Peut-être qu'elle lui a fait des trucs de française qu'il connaissait pas ? Surtout qu'il est plus jeune qu'elle..."

S'apercevoir qu'on se fiche de tout jusqu'au moment où tout nous échappe. 

Encaisser un lendemain de fête. 

Se dire que la prochaine fois on frappera plus fort encore. 

Si je continue sur cette pente glissante je finirai animatrice TV sur la TNT.

La horde de touristes nous aide à passer inaperçues sans efforts et Anastasia fait un signe de la tête discret au mec qui porte la pancarte "Hugues & ses amis". Sans broncher, l'homme la place sous son bras et suit le mouvement dans le calme. Arrivées sur le trottoir de l'aéroport nous quittons le groupe et mon éditrice me dit de suivre le chauffeur sans perdre de temps. Elle m'embrasse sur la joue, me félicite, pour je ne sais pas quoi du reste, et me dit qu'elle m'appellera très vite. Je hoche la tête et part avec mon nouvel ami. Je commence à mieux cerner le nom de la maison qui m'édite : j'ai plein de nouveaux copains depuis trois jours.

Le trajet me berce mais je ne m'endors pas. Je remercie de chauffeur qui me laisse devant mon immeuble avec ma valise et avale non sans peine ma salive. Que vais-je trouver derrière la porte ? Quelle fête m'attend ?

  Lorsque je passe le seuil un mécanisme d'auto-protection se met en place. Je retire mon manteau sans faire de bruits, le silence ne m'annonce rien de bon. L'odeur forte de la mauvaise bière et du tabac flotte dans l'air, encore chaude. Je m'engage prudemment dans le salon où je trouve la table partiellement mise, deux bougies chauffe-plat font office de chandelles et une bouteille de champagne rosé ouverte trône sur la table basse. Vide ou presque. Nico est sur le canapé, son PC sur les genoux les écouteurs enfoncés dans ses oreilles, je pose une main sur son épaule pour signaler ma présence sans l'effrayer.

— Ha, salut t'es rentrée ?

— Et bien oui, tu vas bien ?

— Ouais. J'ai bu l'apéro sans toi, dit-il d'une voix pâteuse.

  En effet. Trois boites de cinquante centilitres de bière se succèdent sur la table et il me reste une demi coupe de champagne tiède au fond de la bouteille pour fêter à la fois ma première dédicace à l'international et mon retour près de l'être aimé. Je suis gâtée.

 Heureusement qu'on a pas tenté le coup avec O'Brien hier soir, hein ? On aurait risqué d'avoir du plaisir dans ta vie glauque, dis donc. Pppfffiiiou : on l'a échappé belle ! dit le Dragon alors que je fais des efforts surhumains pour l'empêcher de se manifester.

— T'as bu l'apéro ou tu as juste "bu" ?

— C'est bon là ! Tu débarques de ta virée de starlette et ça te donne le droit de me culpabiliser parce que j'ai bu un verre, tranquille, après le boulot en attendant que Madâme L'Auteur daigne rentrer à la maison.

— Mais t'as pas bu UN verre, t'as bu un litre et demi de bière et les trois quarts du champagne. Il est corsé ton apéro, tu crois pas ? 

Le ton monte aussi vite que la mousse dans un galopin mal servi. Je ne veux pas revivre la version live du concert de saletés auquel j'ai eu le droit il y a peu donc je ne relance pas les hostilités. 

— Excuse moi, le voyage m'a fatiguée, je n'aurais pas du t'agresser direct en arrivant -T'as raison de t'excuser - pardon. Tu veux bien trinquer avec moi ?

— Mais carrément Bébé !! Tu veux boire du vin à table ?

— Mais avec plaisir ! Bonne idée !

—Je vais chercher ça, bouge pas Babe.

Il disparaît ventre à terre dans la cuisine à la simple évocation d'ouvrir une bouteille de plus.

 Du vin ? Tu n'es tout de même pas en train d'essayer de soigner le mal par le mal ?

 Et quelle option il me reste ? C'est ma dernière cartouche : avec un peu de chance il s'endormira le verre à la main.

 Et si tu as moins de chance ?

Je préfère ne pas répondre au Dragon. J'ai l'estomac noué rien que de penser à ce qui m'attend si je ne coopère pas au plan picole de mon mec. Il revient alors tout sourire de la cuisine avec le tire-bouchon et un paquet de biscuits apéro à la cacahuète.

— Comme tu es un vrai petit cordon-bleu je me suis dit que tu préférerais préparer le repas toi-même en rentrant... Mais j'ai acheté des Creespo, Bébé ! me sort Nicolas très fier de son entourloupe.

Les écailles palpitantes et la gueule humide d'une écume empoisonnée, la Bête est sur le point d'attaquer. Je verrouille tout ce que je peux pour le contenir encore le temps de la soirée mais le comportement de Nico ne s'améliore pas. Des claquements d'ailes pleins de fureur qui bourdonnent à mes oreilles ont raison de mon self-control quelques minutes plus tard. 

Je lâche alors la colère du Reptile Fantastique sur mon conjoint.

**********

Et bien voilà, il fallait bien que vous soyez au courant un jour : voici le vrai visage de Pat747 lorsqu'il repère des fautes de toutes sortes sur mes textes (lucsaty me sort carrément le bonnet d'âne lui) ! Plus sérieusement je dois avouer que je suis une vraie chanceuse, j'ai des lecteurs aussi gentils que fidèles mais en plus talentueux. Allez lire des nouvelles plus ou moins longues de Pat (de toutes façons ce n'est pas la taille qui compte : c'est la qualité du récit) c'est toujours un moment drôle, grinçant ou les deux à la fois. Un incontournable sur Wattpad. Et je l'embrasse du coup, tiens !

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