CHAPITRE XXVII : COOPÉRATION CONTRAINTE
Siannie essaya tant bien que mal de trouver son protégé.
— Tu crois que c'est lui ? lui murmura Galeknar.
— Recherchez-vous une personne en particulier ? les interrogea Oisan.
— Tu penses sincèrement que je vais te répondre ? pesta Siannie sans quitter la foule des yeux.
— Étant chargé de la protection de la reine, je ne te laisse pas vraiment le choix.
— Justement, ta place se situe auprès d'elle, tu n'avais absolument pas besoin de gaspiller ton mana pour te transporter jusqu'ici
Le magicien soupira.
— Cela fait presque quarante ans que tu te terres dans les Martilles, excuse-moi de trouver suspect de te voir apparaître en ville
Elle se retourna brusquement.
— La faute à qui ?
— Comment ça, « la faute à qui » ? C'est toi qui es partie du jour au lendemain !
Siannie n'eut pas le temps de lui répondre, car un colosse d'une cinquantaine d'années la bouscula violemment. Elle voulut lui balancer une remarque cinglante, mais ce dernier s'était déjà rué vers une pauvre femme pour lui arracher sa coiffe en hurlant :
— Majesté ! Monsieur le juge ! Maho Branne est vivant ! Le meurtrier de Prevel Caterto est vivant !
— Maho ! s'exclama la magicienne.
Il s'était donc déguisé ! Alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer vers lui, Oisan lui attrapa le bras gauche.
— Que fabriques-tu ? Ton ermitage dans les sylves t'a-t-il rendue complètement folle ?
Elle entendit le juge ordonner l'arrestation du cuisinier et sentit la rage qui remontait son dos, prête à exploser dans sa poitrine.
— Toaz fesdo !
Le bâton de Siannie apparut dans sa main droite. Elle plaqua la pierre, qui figurait sur le sommet, contre la gorge du magicien.
— Lâche-moi immédiatement.
Oisan afficha un rictus.
— Nous savons tous les deux que ce serait une très mauvaise idée de s'affronter ici.
— Alors, lâche-moi.
— Mais ce n'est pas possible ! L'âge n'a décidément pas assoupli ta tête en bois !
— Tu peux parler ! Lâche-moi sur-le-champ !
— Oh, mais vous allez vous arrêter tous les deux ? s'impatienta Galeknar, j'ai l'impression d'être un marmot qui assiste à une dispute entre ses parents !
Oisan soupira :
— L'Aubercien a raison, regarde autour de toi, au lieu de t'agiter.
Alors que le colosse retenait Maho, celui-ci semblait exhorter une femme, sans doute son épouse, à s'enfuir en compagnie de deux adolescents. Le magicien invita Siannie à porter son attention sur la scène. La reine effectua un signe à son secrétaire et s'éclipsa, tandis que Meirgin s'égosillait à donner des ordres aux chevaliers du guet. Pendant que ces derniers emmenèrent Maho, Darina apparut subitement à l'angle d'une rue, une épée à la main qu'elle fit aussitôt disparaître.
— Elle a lancé un sort de transportation avec son épée, murmura Siannie, Eógan est donc parvenu au bout de son projet.
— Oui, l'Ordre des Paladins a bien été créé et notre petite reine se révèle bien plus douée que son père.
Siannie cerna de la fierté dans la voix du magicien. Dans d'autres circonstances, cela l'aurait attendrie, mais sa rancune envers lui et son inquiétude vis-à-vis de son protégé l'en empêchait.
— Ce concours est donc une mascarade. En réalité, vous avez une affaire sur le feu, n'est-ce pas ? l'interrogea la magicienne.
— Non, le concours était bel et bien prévu depuis des mois. Le cuisinier du palais va prendre sa retraite. La reine a trouvé que cela épicerait le festival du solstice si elle organisait un concours pour en recruter un nouveau dans la province. Mais il y a quelques jours, nous avons reçu un colis qui nous a poussés à utiliser cet événement pour mener une enquête.
Siannie arqua un sourcil.
— Quel genre d'enquête ?
— Tututut, c'est à mon tour de poser une question. D'après nos informations, Maho Branne est censé être mort en cellule ; or nous sommes en train d'assister à sa nouvelle arrestation. Dissimulerais-tu sous ta cape une explication à ce mystère ?
— Je n'ai pas à accepter de jouer avec toi, laisse-moi partir !
— De la pénimune ! s'écria le gnome. Nous lui avons donné de la pénimune à son insu et j'ai ramené le corps chez Siannie qui l'a caché jusqu'à présent !
— Gal ! s'offusqua la magicienne.
— Tu t'rends compte qu'on perd du temps à cause de vos mômeries ! pesta Galeknar.
— Donc son épouse n'était pas au courant de votre petite manœuvre, continua Oisan.
— Je ne vois pas comment elle aurait pu l'être, lui répondit l'Aubercien.
— Puis-je savoir quel est le rapport avec elle ? s'agaça Siannie.
— Elle est l'autrice du colis en question : un dossier qui démontre que le procès de ton protégé s'est avéré une vaste blague. Nous nous sommes résolus à mettre notre nez dedans, car tout porte à croire que ce juge n'en est pas à son coup d'essai.
— Darina l'a alors nommé jury à ses côtés afin que l'enquête puisse se poursuivre sans qu'il ne se doute de rien, devina la magicienne. Ta petite reine se révèle décidément très maligne : elle flatte son égo pour pouvoir garder un œil sur lui.
— Et toi ? Qu'est-ce qui t'a poussé à cacher un criminel ?
— Tu viens de dire que vous possédiez les preuves que son procès n'était pas recevable.
— Oui, mais pas de son innocence.
— Maho est innocent ! J'en ai la preuve ! cria le gnome.
La colère contracta le visage de Siannie qui siffla :
— Laisse-moi partir.
La poigne d'Oisan devint douloureuse. Décidément, l'âge ne lui avait pas enlevé sa force. Il la rapprocha de lui au point que leur nez pouvait presque se frôler. Ses yeux noisette plissèrent jusqu'à ne former que deux fentes.
— Pourquoi veux-tu le sauver ?
Siannie hurlait de rage intérieurement. La panique de savoir que Maho se faisait arrêter, le trouble de se retrouver à la merci de cet homme qu'elle avait tant aimé et qui l'avait trahie, la submergeait. Peu à peu, l'expression de son visage changea.
— Parce que... parce que...
Bien malgré elle, sa voix devint suppliante.
— Parce que j'ai confiance en lui !
La foule s'était dissipée pour se rendre sur la grande place. Le devant de la scène face à la Déesse de Miel s'était presque entièrement vidé. Ce cri extrait de son cœur fut suivi d'un silence gênant.
Elle sentit Oisan se détendre. Son regard avait retrouvé cette douceur qui lui avait tant plu à l'époque et il lui offrit un sourire triste.
— Très bien, soupira-t-il, allons-y.
Il la relâcha.
— Ne me dis pas que tu prétends nous accompagner ! lui lança-t-elle.
— Ils l'ont très certainement emmené à la tour qui se situe à l'entrée de la ville. Ne me dis pas que tu connais le chemin après trente-huit ans d'exil ? lui rétorqua-t-il avec une expression mutine.
La magicienne se sentit bouillir de l'intérieur. Cet imbécile avait raison.
Quand ils atteignirent la porte Nord-Est des remparts, Siannie aperçut la tour qui dépassait des murs.
— Maître Galeknar, avec tout le respect que je vous dois, je pense qu'il serait plus prudent que vous choisissiez une cachette plus discrète que l'épaule de notre chère amie. Vous connaissez les préjugés des citadins sur les Auberciens et les peuples sylvains.
— Je ne suis pas ton amie, siffla la magicienne. Mais il a raison. Mieux vaut que tu retournes dans ma poche.
Le gnome émit des grommellements à peine audibles, mais s'exécuta tout de même.
— Le bâtiment possède des cellules provisoires tout en faisant office de poste de guet. Nous tâcherons de nous y introduire avec courtoisie, ordonna le lanidrac.
Ils passèrent le châtelet dans l'indifférence des gardes. Par contre, lorsqu'ils s'approchèrent de l'entrée de la tour, cela se révéla une autre paire de manches. Sans surprise, un chevalier surveillait les alentours. Quand il remarqua ces deux personnages, enveloppés dans leur chaperon, qui s'avançaient vers lui, il fronça ses sourcils.
— Bonjour, très cher ami ! Je me présente : Oisan Woganne, le lanidrac.
À ces mots, il sortit de sous sa cape un document qu'il lui tendit. L'homme en uniforme le lut attentivement, ne cacha pas sa surprise et effectua un salut militaire, ce qui fit rouler des yeux la magicienne.
— En quoi puis-je vous être utile ?
— Les derniers événements ont profondément contrarié Sa Majesté, aussi m'a-t-elle chargée d'interroger le prisonnier.
Le chevalier afficha son malaise face à cette requête.
— Je pense que cela sera impossible, ô grand lanidrac, son honneur le juge Meirgin a insisté pour que le détenu ne reçoive aucune visite.
Siannie crut percevoir qu'Oisan grimaçait légèrement à l'évocation du magistrat. Cependant, il sut conserver son flegme et après avoir émis un petit toussotement il poursuivit :
— Je comprends, mon cher ami.
À ces mots, il se rapprocha du pauvre homme dont on pouvait apercevoir, sur le front, des gouttes de sueur qui perlaient.
— Mais seriez-vous en train de sous-entendre que les ordres du juge occuperaient une place supérieure à ceux de la reine ? interrogea le magicien avec un sourire carnassier.
Le chevalier tremblait comme une feuille et balbutia :
— Bien sûr que non, mais sans un document avec le sceau royal, je ne peux pas vous laisser entrer.
Siannie souffla bruyamment avant de s'écrier :
— Gal, à toi de jouer !
— Compris ! répondit le gnome en sautant de sa poche et en reprenant son mètre trente.
— Un Auberc... !
Mais le pauvre homme, déjà sous l'effet de la phaalsite, ne put finir son exclamation.
— Ce n'est pas contre toi, p'tit gars, mais nous sommes pressés. Alors, contente-toi de nous ouvrir et d'oublier tout ce qu'il vient de se passer.
Comme pour confirmer les affirmations du gnome, les cloches de la mairie sonnèrent dix coups. Siannie tressaillit. Le sort de son protégé l'avait tellement préoccupée, qu'elle en avait perdu la notion du temps et ne s'était pas rendu compte que le ciel s'était assombri depuis un moment.
— Sérieusement ? De la phaalsite ? s'agaça le magicien, j'avais demandé de faire preuve de courtoisie !
— Ta courtoisie manque cruellement d'efficacité, lui siffla Siannie. Excuse-nous de préférer notre méthode !
Oisan roula des yeux et s'apprêta à les suivre dans la tour quand un rocher se fracassa contre la cloche du châtelet.
— Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
C'est alors qu'ils sentirent le sol vibrer.
— J'ai la vague impression que Darkec est bien décidé à s'inviter au festival, ironisa Galeknar.
Illustration : ValessiaGo
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