Chapitre 3 - Irina.

Princeton Université.

La voiture s’engage sur les routes ombragées par des arbres aussi vieux que le monde. Comme le New Jersey est différent de mon Wisconsin.
Enfin, je devrais préciser Milwaukee. L'état est vert, mais ici on retrouve l'atmosphère des forêts inexplorées sur des centaines de kilomètres. L’air y est plus respirable que ma grande ville natale. Ma fenêtre grande ouverte, les cheveux attachés en queue de cheval toute simple, quelques mèches volent autour de mon visage. J’ai mis la radio et je chante les morceaux qui me plaisent au grand dam de mon oncle Youri.

Son visage reflète le désespoir profond dans lequel je l’ai plongé depuis une heure. Petite vengeance mesquine pour le fait qu’il m’a extirpé la promesse de l'appeler tous les deux jours pour soi-disant rassurer ma mère. Jamais, elle ne m’a réclamé de nouvelles aussi rapprochées, juste lui envoyer des textos de temps en temps pour, comme elle le dit  “confirmer que je suis encore vivante”. Youri et mon père sont les seuls à stresser et pensent mettre sur le dos de ma mère leur besoin de me contrôler.

Mon sourire augmente avec les derniers mètres, je pense que je vais finir par aveugler Youri. Je me gare devant la résidence étudiante qui va m'accueillir pour trois ans. C’est un ensemble d'appartements loués exclusivement aux universitaires. Le bâtiment est fait de pierres grises recouvertes de glycines remplies de fleurs roses. On se croirait dans l’Angleterre du 19ème siècle. L’ambiance est studieuse, mais surtout distinguée.

— Tout à fait ton style, me confirme Youri en dépliant sa grande carcasse de ma voiture.

Nous attirons directement l'attention de tous ceux qui affluent autour de mon futur chez-moi. C’est normal quand on compare ma silhouette de jeune femme moderne qui s’apprête à s’instruire et le bras droit de mon père. Youri n’est pas le modèle typique du parent ou ami des résidents d’ici. Avec ses tatouages noirs recouvrant ses doigts, ses bras, sa gorge et même son crâne rasé, il est le reflet concret de son job : tueur et mafieux.
Je grimace face à cet oubli, pour moi son physique est banal. Les murmures entre groupes de filles me promettent des rumeurs et beaucoup de supputations envers ma personne. Moi qui voulait passer pour une fille lambda.
Je hausse les épaules et aide à décharger mes cartons. Nous entrons et montons l’escalier à la recherche de mon appartement. J’ai le plan et le dossier de bienvenue de l’université de Princeton déposés en équilibre précaire sur la pile de sacs qui encombrent mes bras et mon cactus domine l'échafaudage. Youri porte le reste de mes affaires, les boîtes sont empilées telle une tour de Pise et lui bloquent la vue de façon partielle. Il a réussi l’exploit de minimiser les discours d'accueil et de reprogrammer les visites des lieux pour que je m’installe au plus vite.J’ai reçu mes clés et le contrat de location directement chez moi, mon père veillant à ce que je sois dans le meilleur endroit.

— Rappelle-moi pourquoi tu n’as pas accepté l’appartement que ton père voulait t’acheter ? râle-t-il.

— Parce que je veux me faire des amis et avoir une vie sociale intense ? Rester isolée dans un meublé en centre ville ne m'intéresse pas. Je veux vivre sur le campus comme les autres.

— Le jacuzzi et la piscine ?

— J’ai tout ce qu’il me faut ici. Que ce soit piscine, terrain de tennis, billard et des restaurants. Tu serais surpris de la qualité de vie des étudiants de Princeton. On nous demande des résultats élevés pour intégrer l’université et en échange, on y apprend avec les meilleurs du monde, ou presque, dans un cadre que je considère comme luxueux.

Je lui désigne le hall par-dessus la rambarde. Les boiseries reluisent, les tableaux sont recherchés, les résidents incarnent la distinction et le raffinement.

— Et pour la fête ?

Je dépose une expression lisse et innocente sur mon visage avant de me tourner vers lui.

— Je serai sage, je l’ai promis. Les fraternités ne sont pas si nombreuses. Ce sont plus des clubs pour manger et discuter.

Progressant en marche arrière, je ris de son expression dubitative. Ce que j'explique est réel, ces clubs rassemblent les étudiants en groupe pour partager leurs idées et se faire des relations pour la vie future. Se créer des réseaux pour se positionner dans le travail. Mais… les soirées où l’alcool coule à flots existent aussi. 

— C’est ta vie, mais s’il t’arrive quoi que ce soit, Anton va péter un câble.

— On en a déjà discuté ! Et puis, avoue que toi aussi, tu t’inquiètes.
Mes yeux se lèvent d’eux-même vers le plafond et je retiens un soupir d’exaspération.

— Oui, et c’est pourquoi j'ai fait le trajet en personne pour être certain que tu es en sécurité.

— Tu ne peux pas passer ta vie à me protéger, je suis une grande fille.
Je le nargue en continuant mon avancée à contre sens. Il ne supporte pas quand je défie la logique pour m’amuser.

— Tu es née dans un monde dangereux et tu es la plus grande faiblesse de ton père. Ses ennemis sont capables de tout pour le faire tomber.

— J’en suis consciente, mais je veux pouvoir, commencé-je avant d’être interrompue par une bousculade qui me fait trébucher.

Un torse dur m’empêche de tomber sur les fesses tandis qu’un bras musclé me contourne et retient mes affaires qui menacent de s’effrondrer. la main tressaille en touchant les piquants de mon cactus sans pour autant le déséquilibrer plus qu’il ne l’est.

— Hey ! Fais attention, aboie d’un ton sec Youri.

— Ce n’est pas moi le responsable.
Je suis surprise par son accent. Je ne le reconnais pas, mais il est sexy. Me retournant, je le dévore du regard et ignore l’aura colérique de mon garde du corps.

— C’est vrai, je l’admet c’est ma faute. J’aurai dû faire attention.

Youri s’étrangle presque face à mon flirt. Ce mec est à tomber avec ses yeux sombres accordés à sa tenue. Il ne sourit pas en retour et scrute notre duo. Une bataille de regards s’engage entre les deux hommes et la tension monte. Il ne recule pas et ne bredouille pas d’excuses comme tant d’autres le feraient face au charisme de mon compagnon.
Je me place entre eux en cherchant un moyen de limiter la casse. Si Youri agresse un étudiant, je peux dire adieu à mon cursus.

— Oh ! Mon appartement est là, m’écrié-je d’une voix trop aiguë.

Contournant le beau mec, je me dirige d’un pas sautillant et j’entraine mon garde du corps réticent. Je fais s’entrechoquer mes clés joyeusement et pénètre dans la pièce principale.
L’intérieur est comme je l’imaginais, grand, lumineux, bien agencé avec deux grands canapés et un écran géant, des espaces pour manger tous ensemble et une bibliothèque. Quatre portes cachent à première vue les chambres des colocataires et une dernière la salle de bains. Des valises sont disposées sur le pas d’une porte près de la fenêtre entrouverte. Je préfère une chambre éloignée de la porte d’entrée, donc je choisis celle du fond.

— Tu éviteras ce jeune homme, m’ordonne mon compagnon en lâchant mes affaires sur le bureau vide et scrutant la pièce meublée. Il ne m’inspire pas confiance.

— Pourtant il pourrait travailler pour toi, vu sa dégaine et son sang-froid.

— Il en faut plus pour être un de mes hommes.

Ses interdits sont pour moi comme une bougie dans la nuit pour un papillon. Sa remarque me donne encore plus envie d'aller revoir cet homme. Je pensais que Youri me connaissait mieux que ça !
Il se déplace en silence dans la chambre et inspecte les moindres recoins. Tout y passe, l’accès par la vitre, le loquet de sécurité de la porte, la salle de bains commune. Je préfère l’ennuyer sur sa paranoïa que d’insister sur ce qu'il pense de mes fréquentations, même hypothétiques. Je change donc de sujet.

— Tu crois vraiment que quelqu’un va se cacher derrière les toilettes pour m’attaquer ?

— Vaut mieux prévoir qu’être surpris en petite tenue. Je vérifie s’il n’y a pas de caméra, explique-t-il en revenant dans la pièce principale.

Youri me prend dans ses bras, me câlinant comme un ours le ferait avec son petit. Il me broie presque les os, mais je l’accepte car il va me manquer.

— Je vais te laisser, je dois encore vérifier quelques petites trucs et enquêter sur tes colocs. N’oublie pas que si tu as, ne serait-ce qu’un minuscule problème, tu m’appelles. De jour comme de nuit.

— Je ne veux pas te déranger pour des broutilles. je peux joindre Gregory.

— Tu es prioritaire et je ne dors jamais, tu le sais. Tu me téléphones sans discuter. Ok ?

— OK, moy dyadya*.

Il sort de la chambre et je retiens mes larmes. Je n’ai aucune envie de rencontrer mes futurs colocataires avec des traces de maquillage sur les joues. J’installe mon cactus sur ma table de nuit et ouvre mes sacs.
Irina Garrison, il est temps de commencer ta nouvelle vie.

* Mon oncle.

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