Chapitre 2- Falco
25 août.
— Merde, mais tu y vas plus chargé qu’une gonzesse, ma parole !
Alessandro, le mari de ma sœur aînée, déboule dans ma chambre sans prévenir. Peu d’hommes peuvent se targuer de me surprendre.
— Toutes ces valises pour emporter tes fringues noires, c’est un peu exagéré, tu ne trouves pas ?
— Je préfère rester sur une seule couleur que de porter ce polo bleu marine qui te donne l’air de bosser sur un paquebot de croisière, le taclé-je en fermant mon dernier bagage.
— Le noir n’est pas une couleur.
— Tu voulais me voir pour quelque chose en particulier ? lui demandé-je parce qu’il me tape déjà sur le système alors qu’il n’est là que depuis quelques secondes.
— Je venais te dire au revoir, je dois partir dans vingt minutes pour une livraison.
— Ce n’était pas la peine de te déplacer.
— Tu te tires pour une année, ça mérite une accolade.
— Si tu t’approches encore d’un pas, je te casse le bras, compris ? le menacé-je, tout à fait sérieux.
— C’est Francesca qui m'envoie, m’avoue-t-il en se marrant. Comme elle est chez Valentina, elle m’a demandé de la remplacer dans son rôle de grande sœur.
Vincenzo, le futur époux de ma plus jeune sœur a dû s’absenter quelques jours pour le travail et dans la famille, nous n’aimons pas laisser Valentina seule.
— Tu ne me touches pas, insisté-je parce que lorsqu’on sait de quoi il est capable, on préfère rester loin de lui le plus possible.
Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le légiste dans le milieu.
— Un petit combat alors avant de mettre les voiles ? me propose-t-il.
Ce mec est toujours prêt à se battre et comme je suis pire que lui en ce qui concerne la baston, il sait qu’il peut se défouler avec moi quand il le veut. Je suis toujours prêt à rendre service quand ça concerne quelques genoux à casser et des crânes à briser.
— À mon grand regret, je passe mon tour, lui dis-je toutefois, réellement déçu de ne pas pouvoir donner quelques coups avant de partir, parce que même si tout le monde aime me répéter que je n’ai pas les codes pour évoluer au sein d’une université américaine, je pense qu’arriver avec la gueule en vrac ne ferait pas bon genre.
— C’est pour ça que tu es resté en retrait depuis ton anniversaire ?
— Il t’en a fallu du temps pour comprendre.
— Si tu veux mon avis, je ne suis pas certain que ça ait été une bonne idée.
— Pourquoi ?
— Parce que tu vas arriver là-bas plus tendu que jamais, donc je ne donne pas cher du premier gars qui te regardera de travers.
Putain, je sais qu’il a raison. Je n’aurais jamais pensé que rester calme demande autant de self-control. Dès que mon père a annoncé me confier la mission de protéger la vie de la fille de son ami de longue date, Anton Yourenev, en me faisant passer pour un étudiant lambda, j’essaie d’en adopter le comportement.
Et bordel, ce quotidien ne me convient pas. Tout est tranquille, sans intérêt. Je n’irai pas jusqu’à espérer que cette nana soit en danger de temps en temps, mais ça va être périlleux de rester dans les clous et de maintenir l’illusion si je ne peux jamais relâcher la pression. Et la seule façon que je connaisse pour ça c’est en frappant et en faisant souffrir des connards de la pire des façons, comme me l’a enseigné justement Alessandro.
Ou en baisant… De ce côté-là, je viens de passer le mois à compenser ma retenue en sautant les unes après les autres les brebis qui gravitent auprès des motards de notre clan. Il va falloir que je trouve comment gérer cet aspect une fois dans le New Jersey.
Mon beau-frère se dirige à nouveau vers la porte et me lance avant de partir :
— Tu m’appelles au moindre problème, O.K ?
Je hoche la tête avant qu’il ne disparaisse. Puis, j’attrape mes quatres sacs, deux dans chaque main et descends les escaliers menant à l’entrée de la demeure familiale. Je les charge dans le coffre de ma voiture avant de me glisser sur le siège conducteur, sans un regard en arrière pour la maison dans laquelle j’ai grandi. Pas de sentimentalisme. Je pars une année, pas toute la vie. C’est une mission comme une autre. Plus longue et dans un autre pays. Un autre continent même, mais ça ne change rien.
Je traverse la ville jusqu’au cabaret où mes parents m’attendent. Peu de choses vont me manquer durant l’année à venir. Les affaires, c’est certain. Ma mère aussi, bien que je ne l’avouerai jamais. Et ses pâtisseries également. Je pénètre à l'intérieur et salue rapidement les soldats présents. Je me dirige ensuite vers le bureau de mon père. Ma mère m’y accueille, souriante, bien qu’un peu soucieuse de mon départ. Vêtue comme toujours de sa robe style diner américain, sa tenue de travail pour le salon de thé, malgré les protestations quotidiennes de mon père, elle dégage une gentillesse naturelle au premier regard. Je n’en ai pas hérité, même pas une petite miette, à son plus grand désarroi.
— Ça y est, c’est le grand jour, soupire-t-elle, contrariée de voir son petit garçon s’en aller.
— Ça va vite passer, lui juré-je dans une vaine tentative pour la réconforter.
— On va dire ça… Viens ici que je te serre une dernière fois dans mes bras, même si je sais à quel point tu n’aimes pas ça.
Pour elle, je suis prêt à supporter quelques secondes de tendresse. Elle est la seule et l’unique à qui j’accorde ce privilège.
— Et n’oublie pas que le port d’armes a beau être autorisé aux Etats-Unis, ce n’est pas pour autant que tout le monde dégaine à la moindre occasion.
— Tu deviens vexante à autant t’inquiéter à propos de mon attitude.
— C’est parce que tu es différent des garçons de ton âge.
— Et c’est pour ça que je suis celui qui sera capable de protéger la fille Yourenev.
— Tu te souviens qu’elle ne doit se douter de rien. Sélenne, sa mère, me l’a rappelé au téléphone hier.
— C’est toi qui me donne mes ordres de mission maintenant ? la taquiné-je à moitié.
— O.K, j’ai compris. Je te laisse tranquille.
Je la sais partagée sur ce départ. C’est elle qui a insisté auprès de mon père pour m’éloigner un peu du clan parce qu’elle souhaitait que je sois un jeune homme “normal” et que mon côté agressif lui procure des inquiétudes, mais elle n’a jamais imaginé que mon père me fasse partir une année aussi loin de chez nous. Il attend justement que nous ayons terminé notre conversation pour prendre le relais. Impeccable dans un costume noir comme à son habitude, son charisme remplit tout l’espace, laissant à peine un brin d’oxygène à ses visiteurs pour respirer convenablement.
— Tu es prêt ? me questionne d’une voix autoritaire.
— Oui, affirmé-je en prenant place sur un des sièges à disposition.
— Ton vol est dans deux heures. Anton a payé ton voyage via un de ses prestataires qui possède un jet privé. Un chauffeur vient te récupérer dans cinq minutes devant le cabaret et te déposera à l’aéroport, directement devant le hangar. Ainsi, tes bagages ne seront pas contrôlés.
— C’est préférable, dis-je en sachant ce qu’ils contiennent.
— Ce sont les informations concernant l’avion ainsi que tes papiers pour la mission.
— Falco Dwight, grimacé-je en tenant la carte d’identité et le passeport qu’il vient de me donner.
— Simple précaution. Il est possible qu’Irina ait déjà entendu parler de notre famille. Et même pour toi sur place, il est préférable que personne ne sache que le fils d’un parrain de la mafia italienne se balade sur un campus.
— En effet.
— Anton a également graissé la patte à qui de droit pour que tu puisses intégrer Princeton sans éveiller les soupçons. Tu as donc un dossier étudiant tout ce qu’il y a de plus normal.
— Parfait.
— Je vais te donner celui qu’il m’a transmis sur sa fille.
— Qu’est-ce que je peux savoir sur Yourenev ?
— Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il est à Milwaukee ce que je suis à Centori.
Autrement dit, je n’ai pas intérêt à merder. J’opine tandis que mon père fait glisser dans ma direction une pochette sur son bureau. Je l'ouvre et en sors les clichés qu’elle contient. Une femme aux yeux bleus clairs qui contrastent avec des cheveux noirs lui tombant jusque dans le creux du dos. Un corps de rêve et des jambes d’un kilomètre. Merde, elle est indéniablement canon. Ça m'aurait arrangé qu’elle soit boutonneuse avec des lunettes triple foyer pour ne pas avoir à éloigner les morts de faim autour d’elle.
— Est-ce que je m’assure juste qu’il ne lui arrive rien ou je dois aussi faire en sorte qu’elle revienne aussi innocente qu’au moment où elle a quitté le nid ?
— Son père lui a promis de la laisser vivre, soupire-t-il, se rappelant sûrement ses craintes quand mes sœurs grandissaient. Donc laisse-la s’amuser, mais qu’elle ne devienne pas la traînée du coin pour autant.
— Je vois.
— Non, mais vous vous entendez ? s’insurge ma mère. Si cette jeune femme a envie de prendre du bon temps, et si ça ne la met pas en danger, tu la laisses tranquille.
Personne n’est en droit de lui dire ce qu’elle peut ou ne pas faire avec son corps.
Mon père et moi baissons les yeux face à sa virulence. Elle a raison. Je ne suis pas là pour la juger et je serai bien mal placé pour ça.
— Elle ne doit jamais savoir qui tu es. Sous aucun prétexte. Anton a insisté là-dessus, il a peur qu’elle ne lui pardonne jamais si elle apprend qu’il a tout de même fomenter un plan pour la surveiller.
— Est-ce qu’il souhaite un compte-rendu régulier de ses agissements ?
— Non. Il veut juste dormir sur ses deux oreilles sans s’inquiéter pour sa fille qui est à des milliers de kilomètres.
— Il peut.
— Je sais et je lui ai garanti. Je ne lui ai pas révélé qui j’envoyais pour remplir cette mission pour m’assurer qu’il ne puisse pas interférer dans ta protection. S’il n’était pas mon ami, je n’aurais pas accepté de mettre un de mes hommes sur le coup. Garde toujours à l’esprit durant ces neufs prochains mois, que cette Irina est ce qu’Anton Yourenev a de plus précieux au monde. S’il lui arrive quoi que ce soit, ça déclencherait une guerre entre eux et nous.
— J’en ai conscience et tu n’as pas à t’inquiéter.
— Je sais. Tu as toute ma confiance, m’assure-t-il, les yeux dans les yeux. C'est toi qui choisis comment tu veux tenir ton rôle. De près en te glissant dans son cercle d’amis ou en restant en retrait.
— J’aviserai sur place en fonction des événements.
— Alessandro est ton contact si tu as besoin d’informations sur qui que ce soit, d’accord ?
Je hoche la tête, puis nous nous levons tous les deux. Mon père fait le tour de son bureau et prend mes deux mains entre les siennes.
— Il faut croire que les études d’anglais que ta mère a insisté que tu fasses vont enfin servir, plaisante-t-il avant de resserrer sa prise à m’en broyer les phalanges.
— Quand je vous dis qu’il faut toujours m’écouter, plaisante ma mère, les larmes aux yeux face à mon départ imminent.
— Appelle ta mère de temps en temps, m’ordonne mon père en secouant un peu la tête en la voyant si émotive.
— Pardon ? s’écrie-t-elle. Tous les jours !
Je l’embrasse une dernière fois sur la joue avant de tourner les talons et de quitter le cabaret. Un au revoir général aux membres présents, je ne suis pas du genre expansif et il vaut mieux qu’ils ne cherchent pas à faire durer ceux-ci, je me retrouve sur le trottoir où je remarque un véhicule inhabituel. Un 4x4 aux vitres teintées. J’en déduis qu’il s’agit de mon chauffeur. Je pars récupérer mes bagages dans mon coffre avant de me glisser sur la banquette arrière.
Nous roulons jusqu’à l’aéroport, sans un mot. La voiture longe les pistes sur la route prévue à cet effet jusqu’au dernier hangar réservé aux avions privés. Un jet attend, les moteurs allumés et la porte ouverte sur un escalier. Je descends du véhicule, mes bagages à la main et rejoint l’homme d’une cinquantaine d’années qui m’attend sur le tarmac.
— Bienvenue à bord monsieur Dwight, m’accueille-t-il, en me tendant une main.
Je me force à la saisir et ne lui accorde qu’une poignée de main furtive.
— Je peux m’occuper de vos valises, me propose-t-il, avenant et cordial.
— Non, ça ira.
Personne ne touche à mes affaires. Encore moins quand elles contiennent mes flingues et mes lames.
— Serait-il possible d’avoir vos coordonnées si jamais j’ai besoin de vous contacter une fois là-bas pour un retour ?
Il acquiesce et sort une carte de visite de la poche de sa chemise. Une des premières choses que mon père m’a enseignée est de toujours avoir une solution de repli. Je m’en empare et sans plus attendre, je le dépasse pour grimper à bord. Je prends place sur un des sièges et dépose mes biens à côté.
Lorsque l’engin décolle, j’ouvre à nouveau la pochette et observe en détail les photos d’Irina Yourenev.
Pourquoi ai-je le mauvais pressentiment qu’elle sent les emmerdes ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top