Aram
Je suis sidéré face à l'attitude d'Amélia, elle ne réagit presque pas à la situation pourtant critique. Les alarmes du camion ne cessent d'émettre des sons stridents, ce qui augmente encore mon stress. D'un coup sec, Balthazar les éteint.
Pour finir, ce silence dans l'habitacle, ce n'est pas mieux. Raquel et Taho croisent régulièrement mon regard et j'ai le sentiment qu'ils sont dans le même état de détresse que moi. Ce n'est pas le cas de Balthazar, Mia et Amélia, qui déchargent de l'Optimist dans leur sang. Les yeux de mon amie sont d'un argenté profond, elle y est allée fort sur le dosage. Je déteste cette drogue qui robotise les agents de la Sûreté, comme mon père...
— La carlingue est sur le point de céder, la température est trop élevée, crie Balthazar.
Au même moment, les roues font une embardée, nous nous retrouvons dans le feu, je crois que mon heure est arrivée cette fois, mais Balthazar est réactif et ne compte rien lâcher. Il manie notre engin et nous extirpe in extremis de là.
— Il nous reste quelques mètres à faire, il faut que ça tienne, déclare Mia.
— Et si on pulvérisait notre eau ? proposé-je.
— Ça ne sert à rien, il y a les toiles ! intervient Mia.
— Justement, la couche d'eau en dessous nous isolerait davantage, continué-je.
Balthazar ne tergiverse pas et s'exécute. Espérons que ma tactique fonctionne, car il vient d'utiliser toute l'eau que nous possédions. Notre plus grande richesse en somme. La température intérieure chute légèrement, offrant un temps de repos à nos organismes éprouvés.
Je jette un coup d'œil aux images transmises par le détecteur et je respire.
— Allez, on y est presque, on va quitter le brasier.
La concentration de Balthazar est à son comble. La terre tremble, les roues s'enfoncent. Un projectile, puis un autre, qui nous arrive droit dessus !
— Attention ! crie Mia.
Balthazar tourne le volant d'un coup sec, nous permettant d'éviter de justesse la boule en feu.
La chaleur augmente encore dans l'habitacle. Tous mes pores suintent de transpiration. Un autre choc ! Les ténèbres nous entourent ! On ne voit plus que de la fumée et des braises rougies.
Mon cœur s'accélère bien malgré moi. Entre mes tempes, je peux entendre ma respiration saccadée.
Mon regard se pose sur Amélia. Le sien est dur, bouffé par l'Optimist, pourtant j'ai l'impression d'y lire un vieux sentiment, sa terreur du feu ne date pas d'hier. Elle doit être en proie à ses souvenirs. Un craquement m'extrait de ma contemplation et nous sursautons tous sans exception. Un arbre s'abat devant nous. Balthazar s'arrête et doit manœuvrer pour reculer et nous arracher à ce chemin infernal.
Nous nous écartons progressivement de ce brasier sans limite pour rejoindre une zone calme. Et quelques mètres plus loin, enfin, c'est la libération. Nous sortons de cet enfer...
Petit à petit, notre sentier s'appauvrit en cendres et devient terreux, les flammes sont derrière nous. Le détecteur prospecte l'itinéraire qui nous attend.
— Tu as réussi à traverser la zone d'incendie, Balthazar ! triomphé-je.
— Bonne nouvelle, souffle notre conducteur qui relâche les muscles de ses bras.
— Ne crions pas victoire, tempéré-je, un autre problème nous guette : les analyses du détecteur sont mauvaises, nous allons entrer dans une région froide et sèche. Notre camion ne va pas pouvoir se recharger correctement en eau.
Balthazar roule encore pendant une dizaine de kilomètres avant de s'arrêter, il est exténué et veut enlever les toiles qui tapissent la carlingue.
L'air devient respirable. Le ciel découvert offre une clarté ambiante bienvenue après avoir été baigné par cette atmosphère opaque et orangée.
À la sortie de notre véhicule, le froid nous saisit : il fait moins quinze degrés. Nos souffles forment des nuages de vapeur autour de nos visages. Nous nous activons pour nous réchauffer en remettant notre camion à nu. Avec un réel soin, Mia replie les tissus végétaux qui nous ont très certainement sauvé la vie et les place dans un des coffres extérieurs.
Avec Balthazar, nous vérifions tous les analyseurs et réparons ceux qui ne fonctionnent plus.
Le paysage qui nous accueille est sublime, le sol est un mélange de terre et de glace, il ressemble à une toile abstraite géante. Beau mais glissant. Balthazar a déjà déployé les crampons qui maculent maintenant les pneus et assureront une meilleure accroche sur la route.
De part et d'autre de mon champ de vision, des petits vallons supportent quelques arbustes, tous couverts de givre. C'est magnifique et provoque des émotions fortes dans tout mon être.
— Je vais récupérer de la glace pour l'eau, me dit Amélia en se munissant d'une pioche.
— Ouais, ben la glace n'est pas de bonne qualité, déclare Mia en lisant le compte rendu d'un détecteur. Métaux lourds, produits toxiques et micro-organismes létaux... Ça donne envie !
— On va tout chauffer, précise Balthazar, et passer manuellement le liquide dans les filtrations du camion pour remplir nos recharges en eau.
Raquel et Taho comprennent vite et nous aident sans attendre. Cependant, nous venons de perdre encore du temps.
Mes pensées dérivent, toujours pas de nouvelles du Projet Human. Pourvu que tout aille bien là-bas ! Je ne parle même pas de Cassidy et du reste de notre escouade : les reverrons-nous un jour ? Mon inquiétude est à son comble et contracte mon ventre.
Mia s'empare du volant pendant que Balthazar s'affale sur le siège passager. Il s'endort en deux secondes. Il est comme tout le monde, il a besoin de repos, je commençais à croire que c'était un surhomme.
Je l'aime bien, Balthazar, je sais qu'on peut lui faire confiance. Il a une âme de leader, c'est certain, et ce n'est pas un hasard s'il est arrivé à ce poste convoité. Il est doué pour diriger et prendre les bonnes décisions au moment opportun. Mia est sympa aussi, quoiqu'elle copie l'erreur de mon père : elle gère trop ses émotions, les cache grâce à l'Optimist. Malheureusement, j'ai vu où cela a mené Kirk. Le caractère de Mia est volcanique et elle cherche à l'endormir. Aller contre sa nature est risqué, elle peut en oublier qui elle est vraiment. J'espère qu'Amélia saura doser cette drogue, je n'ai pas envie de perdre mon amie. Mon père, c'est déjà bien assez... pas elle.
Plus nous avançons et plus l'air se réchauffe, la température repasse au-dessus du zéro, et comme il pleut, nous nous trouvons bientôt sous un déluge de neige. C'est beau, les flocons nous entourent et virevoltent en tous sens. Ce temps n'est pas courant à proximité du Projet Human, la chaleur est trop forte pour permettre la formation des cristaux de gel. Raquel et Taho s'émerveillent aussi, leurs yeux brillent de contemplation. Je ne suis pas en reste et le regard d'Amélia en dit long, il erre sur les tourbillons de points blancs. Un fin sourire apparaît. Ses joues pâles se sont parées de rose et les doux traits de son visage me rappellent ce qu'elle exprimait avant de prendre de l'Optimist.
À l'arrière, j'observe nos roues marquer la neige, deux lignes nettes, signes de notre passage, qui sera recouvert en quelques secondes. Je souris béatement, m'imaginant en train de patauger dans cette poudreuse.
Je suis un enfant, je hoquette de rire après m'être roulé dans la neige. Ma mère est à mes côtés et me tire par le bras pour que nous rentrions. Où exactement ? Ai-je une maison ? Un appartement ? Elle me prend sous les aisselles pour me porter, mais je me laisse choir de tout mon poids, technique infaillible pour qu'elle râle. Elle me réprimande et hurle à mon père de faire quelque chose. En réponse, ce dernier lui envoie une boule de neige en pleine face. Elle s'immobilise et le sourire de mon père s'efface. Est-il allé trop loin ? On ne plaisante pas avec ma mère si elle n'est pas d'humeur... Finalement, elle s'esclaffe.
— Aram ! Aram !
Amélia me secoue sans ménagement et me ramène à la réalité. Mon amie sort la trousse de secours et appuie un analyseur sur mon front.
— Bouge pas ! Je vais vérifier tes constantes.
Je reprends pied et abaisse la main d'Amélia.
— Je crois que...
Je n'ose l'envisager. Serait-ce possible ?
— Vas-y ! Tu crois quoi ? Tu me fais peur ! panique-t-elle.
Balthazar m'observe et Mia demande si elle doit s'arrêter. Raquel et Taho me fixent de façon étrange aussi.
— Je pense qu'un souvenir a ressurgi dans ma mémoire, annoncé-je, fébrile.
— Impossible, déclare Amélia. Tu délires ! Laisse-moi vérifier tes constantes physiologiques.
Elle replace l'analyseur avec force. Je me débats alors qu'elle insiste :
— Laisse-toi faire à la fin, tu étais livide et en sueur !
— Je me sens bien ! Arrête !
Nous commençons à nous bagarrer comme deux enfants.
— Ça suffit, Amélia !
La voix de Balthazar est péremptoire, mon amie cesse tout mouvement. Moi-même, je me sens pris en flag, et son ton paternaliste ne laisse aucune option de désobéissance.
— Aram, raconte ce qui s'est passé, m'encourage-t-il en bâillant.
En détail, j'énumère ce que j'ai vu et ressenti.
— Normalement, c'est impossible, je le sais bien, l'effacement de mémoire ne permet pas ce genre de souvenirs d'avant le Projet. Toutefois, avouez que c'est perturbant.
— Peut-être que les conditions dans lesquelles tu te trouves modifient ton cerveau, propose Mia. Bon, je n'y connais rien, je dis ça comme ça !
— Peut-être, terminé-je, peu convaincu.
Je rassure tout le monde sur mon état et je mets cet événement dans un coin de ma tête. Je n'ai pas envie de l'occulter. Une sensation étrange m'envahit, comme si j'oubliais des choses importantes. Cependant, ce n'est pas le moment de m'en préoccuper, nous sommes proches de la base d'origine. Pour adoucir l'atmosphère, j'essaie de rétablir le contact avec Amélia. Elle ne me répond que par des grognements. Ce qu'elle peut être soupe au lait des fois !
Le camion ralentit, Mia repère sur son tableau de bord la présence de plusieurs individus à proximité de notre point d'arrivée.
— Nous ne sommes pas seuls, annonce-t-elle. Je vais me garer là-bas.
Le « là-bas » en question est une zone boisée et rocheuse formant un couvert dense pour nous camoufler. La neige a disparu d'un coup, la température est à nouveau élevée, soixante-dix degrés, avec un taux d'humidité important. Nous en profitons pour nous désaltérer et buvons jusqu'à plus soif étant donné que nos réserves se remplissent sans restriction. Balthazar nous autorise également à manger, nous devons être en forme, recharger notre niveau de glucides, lipides, protéines et vitamines.
La nuit tombe et facilite davantage notre cache. La zone est criblée de Mutants. J'ai l'espoir qu'ils soient aussi bienveillants que le peuple de Massaï, or Balthazar n'est pas de mon avis. Sur le coup, ça m'énerve, c'est sûr que si chacun se méfie de tous, nous n'arriverons jamais à vivre en harmonie. Je me calme vite en me mettant à sa place : il est le chef d'escouade, il a une mission à remplir et des vies à sauvegarder, les nôtres et celles du Projet Human. Il est d'autant plus précautionneux que nous ne sommes pas certains de retrouver un jour Cassidy et le reste du groupe.
Le détecteur a pris des images précises, nous sommes étonnés de voir les occupants si... « armés ». Et ce sont des modèles que nous ne connaissons pas. Raquel et Taho semblent tout aussi surpris. Ils découvrent, en même temps que nous, une planète qui abrite des humains très différents.
— On peut encore les étudier pendant des jours, s'impatiente Mia, ça ne changera pas la finalité, on doit y aller, on se sépare et on rentre dans le tas.
— Calme-toi, Mia ! réplique Balthazar. Bien sûr que nous allons combattre, le but de notre quête est là et nous n'allons pas renoncer, mais je suis dubitatif. Ces Mutants ne ressemblent pas à ceux qui attaquent le Projet.
— Peut-être est-ce des vieilles armes qu'ils ont trouvées, ajoute-t-elle, ce n'est pas impossible.
— Non, c'est vrai, la soutient Amélia, ce serait des reliques de l'Ancien Monde. Ou alors, c'est un groupe plus évolué que d'autres et ils ont réalisé leurs propres inventions.
— La véritable interrogation, c'est pourquoi protègent-ils autant cette base d'origine ? se questionne Balthazar. Et on ne peut toujours pas consulter Stanislas !
Même avec l'Optismist, notre chef montre des signes d'énervement. Sa paume gauche comprime son poing droit avec tension. Nous touchons à notre but et ces Mutants nous barrent la route. Encore un obstacle, comme si nous n'en avions pas eu assez ! Et le chemin du retour en sera jalonné lui aussi... Ne pas penser au fait que tu puisses mourir avant de rejoindre le Projet.
— Même si nous réussissons à entrer, nous n'en sortirons pas vivants, ils sont trop nombreux, m'inquiété-je.
— On a des ressources, Aram, me rassure Mia. En toute honnêteté, ils ne me font pas peur et j'aime bien avoir des adversaires à ma hauteur.
Cette fille est une vraie tête brûlée parfois.
— Mia, tempère-toi ! Notre objectif n'est pas de les exterminer.
Je suis surpris de cette remarque, qui élève encore un peu plus l'estime que je porte à Balthazar.
Je rebondis sur l'idée :
— Et donc, pourquoi ne pas leur demander poliment de nous remettre les semences ?
Mia éclate de rire.
— C'est trognon ta naïveté !
Je suis vexé et je croise les bras.
— Hum, ce n'est pas une si mauvaise proposition, reprend Balthazar.
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