Chapitre 39 : Coupable(s)

Bonne lecture <3



— Où sommes-nous ? Je pensais qu'après avoir franchi le Fleuve Blanc, nous serions dans la province Mo et bientôt arrivés à la Ville de l'Étoile...

— Nous sommes à une demi-journée, encore un peu de patience ! Vous ne voyagez pas beaucoup dans la province Xuo ?

— Pff, ce sont juste vos régions qui sont impraticables, avec ces jungles...

— Parce que les montagnes, c'est plus facile d'accès ?

— Oh, c'est bon... Tiens, est-ce la Petite Ravine ?

— Oui, c'est ça. Après, une route conduit directement à la Ville de l'Étoile.

Xuoha Lan entendait vaguement les exorcistes du convoi se lancer des piques et discuter de l'itinéraire. Lui restait allongé, à nouveau attaché, dans un coin de la charrette, entouré par la toile qui lui cachait son environnement ainsi que le soleil. Il avait encore été forcé de boire le poison de la Belle-des-Montagnes et plongeait sans résister dans un état comateux, les pensées silencieuses et le corps détendu.

La chaleur devenait étouffante à mesure qu'ils s'enfonçaient dans la jungle en direction de la Petite Ravine, un passage entre deux falaises peu imposantes si on les comparait à celles des Montagnes des Vents Gris. Elles faisaient tout de même plusieurs dizaines de mètres de hauteur et isolaient les convois durant un instant, les entourant de murs de pierre friable au milieu d'une route de graviers fins.

Mais Xuoha Lan se moquait bien de leur itinéraire. Peu lui importait qu'ils passent par le nord, le sud, la jungle, le désert ; tant qu'il arrivait à ce tribunal où, peut-être, il serait libéré de sa vie.

— Jeune maîtresse Moha !

— Que se passe-t-il ?

La voix de l'héritière passait au travers de la toile beige. Il l'entendait un peu, car les effets du thé commençaient à se dissiper. Quelqu'un viendrait bientôt lui en faire ingérer de nouveau.

Couché sur les lattes de bois qui formaient le fond de la charrette, les muscles douloureux à force d'être maintenus dans la même position durant des heures, il tendit l'oreille, plus par ennui que réelle envie.

— L'on raconte partout que vous allez épouser un autre héritier de Jade durant les premières neiges de cette année...

— Vous vous souciez réellement de ces rumeurs alors que nous assurons le transport d'un meurtrier ?

La voix de la jeune femme était froide. Xuoha Lan se souvint de son visage, entraperçu brièvement à la Ville des Soies avant qu'ils ne repartent. Elle lui avait accordé un regard bref et dédaigneux. Cette fois, il avait repéré cette lueur dans ses yeux sombres.

Ça ne lui avait rien fait.

— Nous aimerions vous souhaiter tous nos vœux de bonheur si tel est le cas, alors nous voulions savoir si c'était-

— Je compte effectivement épouser un homme cet hiver. Maintenant, s'il vous plaît, concentrez-vous. La Petite Ravine est dangereuse, il ne faut pas qu'un éboulement nous ralentisse ou blesse quelqu'un.

Xuoha Lan revit Moha Yin tenir les mains de son frère durant le tournoi trisannuel. C'était sûrement lui qu'elle allait prendre pour mari.

La pensée que Xuoha Jun allait vivre une existence sans souci, marié à une femme belle et puissante, réveilla une étincelle de colère dans sa poitrine.

Il ne méritait pas cette vie. Pas après ce qu'il avait manigancé avec leur père.

Mais il n'avait plus vraiment la force de lui faire payer ses actes, désormais. Autant laisser les juges des Enfers regarder son âme une fois qu'il mourrait. C'était leur tâche, après tout. Là, les crimes qu'un être avait commis ne pouvaient être cachés.

Le bruit de graviers sous les roues de la charrette le tira de ses réflexions ralenties par le poison.

Il expira, les yeux clos. Ils devaient traverser dans la Petite Ravine, à présent. Ensuite, ils continueraient jusqu'à la Ville de l'Étoile, où cinq routes se rejoignaient. Ils y passeraient la nuit, puis progresseraient vers l'est jusqu'à atteindre la province Go et le palais du clan Goha, qui accueillait le tribunal qui jugerait Xuoha Lan.

Il claqua sa langue sèche contre son palais, puis dégagea ses cheveux de son visage. Il n'avait rien pour les attacher et ils venaient le gêner en se posant sur son nez ou sa bouche, s'y glissant parfois avec l'air qu'il inspirait.

Il baissa ensuite son poignet toujours aussi libre de menottes – apparemment, il n'était pas assez dangereux avec une seule main – et tenta de gigoter pour s'allonger sur le dos au lieu du côté. Les cordes qui lui serraient le torse et les bras ne lui offraient presque pas d'amplitude de mouvement, alors la manœuvre fut difficile, d'autant plus que le véhicule progressait sur un sol accidenté et avait des cahots.

Finalement, il y parvint et laissa sa main reposer sur sa cuisse, essoufflé.

— ATTENTION !

La charrette s'immobilisa brutalement et il fut envoyé dans le banc de bois à l'autre bout. Son crâne s'y cogna et il papillonna des paupières, sonné, alors que dehors retentissaient des cris d'alerte et des instructions pour dresser des barrières.

— Des démons ! Des démons attaquent !

— Ils viennent de partout, nous sommes encerclés !

— Que faisons-nous, jeune maîtresse Moha ?

L'héritière ordonna d'ériger des protections, de les maintenir par groupes de quatre exorcistes ; mais la panique dominait. Quelques cris de douleur commencèrent à ricocher sur les falaises. Les hennissements affolés des chevaux s'élevèrent à l'unisson, mais ils étaient entraînés à rester là où ils se trouvaient, alors les charrettes ne bougèrent pas.

Xuoha Lan se tortilla, cherchant à ôter ses liens. Il ne pouvait pas rester immobile, il devait pouvoir se défendre si un démon cherchait à le tuer !

Soudain, il se figea, alors que cette pensée résonnait dans son esprit.

Mais... pourquoi ? Pourquoi se défendrait-il ?

Ne voulait-il pas que tout cela cesse ?

Il secoua la tête.

Il ne pouvait pas mourir des mains d'un démon, ou bien son âme serait dévorée. Il devait passer dans le cycle de réincarnation et ainsi, il avait un espoir de revoir Shen Sizhan, de recommencer une vie où son père et son frère n'existeraient pas. De jouir de tout ce dont il avait été privé dans cette vie-ci.

Il ne pouvait pas mourir ici, pas à cause de démons.

Le poison s'estompait, ses sens lui revenaient, et il n'était pas maintenu par des entraves divines...

Il la sentait, cette énergie qu'il possédait encore, qui se reconstituait avec peine, encore influencée par la Belle-des-Montagnes. Il sentait son noyau vibrer timidement, juste assez pour lui permettre de survivre – il l'espérait.

Il cligna des paupières, se concentra un bref instant, et ses liens partirent en cendres.

*

— Ils sont trop nombreux, nous- arg !

Un énième exorciste tomba, un démon aux crocs sanglants déjà agrippé à son torse de ses griffes acérées. De formes félines, les êtres surgissaient de la jungle, plusieurs dizaines déferlaient sur l'escorte du convoi.

Moha Yin en trancha un d'un geste de son épée, quelques cheveux collés à son front par la sueur. Son énergie explosa, réduisant plusieurs démons-chats en une fine pluie cendrée qui couvrit le sol tapissé d'éclats de roche.

Un démon-tigre bondit et se plaça face à elle, les babines retroussées. Ses yeux rouges flamboyaient, sa fourrure noir et gris se hérissait sous de puissantes vagues crépitantes d'énergie démoniaque. Un sigle écarlate luisait sur son front.

Moha Yin serra les dents, leva son épée et balaya l'air entre elle et la bête, envoyant une salve de pics d'énergie violette qui explosèrent contre la peau du démon. Le tigre rugit, puis se ramassa et sauta, la gueule ouverte vers le cou de sa proie. La jeune femme contra du plat de la lame, s'aidant de son énergie pour encaisser. Ses pieds glissèrent sous le choc.

Un bref coup d'œil autour d'elle lui apprit que la majorité des exorcistes de l'escorte étaient morts. Des démons se nourrissaient de leurs âmes à même les cadavres, inspirant des lueurs grisâtres dans leurs gueules baveuses et garnies de crocs.

Elle carra la mâchoire, contracta les épaules et repoussa le démon-tigre avec un cri guerrier. La détermination flamba dans ses yeux sombres et elle irradia d'énergie améthyste, faisant voler ses cheveux noués d'un ruban doré.

Son épée perça le torse du démon-tigre avec un flash lumineux. Le corps du félin s'estompa dans un souffle de cendres et une sphère rouge, petite en comparaison de ce qu'aurait été celle d'un démon aussi puissant, flotta un instant à l'endroit où le corps s'était trouvé.

Moha Yin tendit la main, et l'énergie démoniaque se mêla aux restes de la sienne, s'y fondant et s'y transformant pour ne plus former que de fines lueurs violettes.

Elle relâcha son souffle, se tourna vers les survivants et remarqua que les démons restants, ayant satisfait leur appétit d'âmes – pour l'instant – avaient disparu.

Elle s'approcha des exorcistes Xuoha et Moha restants d'un pas rapide, les comptant du regard. Il en restait trop peu... et trop de corps jonchaient la ravine.

Levant les yeux, la jeune femme inspecta le sommet des falaises, peu rassurée. Voir autant de démons félins d'un coup, aussi puissants... Ce n'était pas habituel. Ils évitaient les groupes d'exorcistes, ils étaient opportunistes ; rien ne collait, mais elle n'avait aucune réponse. Et les voir se regrouper pour agir en petites meutes pour les submerger par le nombre en surgissant en même temps... Leur tendre un piège... Ce n'était pas naturel.

Malheureusement, aucune explication ne tomba de la falaise, alors elle s'en détourna et s'approcha de la charrette.

Juste au moment où elle allait demander à ce qu'un exorciste vérifie si Xuoha Lan s'y trouvait encore, une silhouette vacillante en émergea.

Le prisonnier cligna des paupières, et découvrit le champ de bataille avec une surprise qui se lut sur ses traits. Pourtant, une voix s'éleva. Une voix d'homme, celui d'un exorciste Xuoha qui avait la main sur le torse d'un mort et des larmes plein les yeux.

— C'est de ta faute !

— Quoi ? croassa-t-il.

— Tu voulais te libérer ! Regarde, tu es debout, où sont tes liens ? Tu as ordonné aux démons de nous surprendre !

— Je ne commande pas aux démons...

Xuoha Lan fit un pas en arrière, mais grimaça alors qu'un bout de roche lui rentra dans la plante du pied. Il leva les mains, tentant de se défendre.

— Je n'ai pas-

— Je me moque de savoir comment tu t'y es pris ou si tu avais des alliés ! rugit l'exorciste. Ils sont morts par ta faute ! Tuer un homme ne t'a pas suffi ?

— Mais-

— Autant faciliter la tâche aux chefs de clan et te tuer ici, gronda une femme. Après tout, aucune chance qu'ils te laissent vivre.

Xuoha Lan écarquilla les yeux.

— Vous... n'avez pas... Le jugement...

— On va te juger nous-même puisque tu as tué nos compagnons, siffla un membre du clan Moha. C'était mon fils, juste derrière toi ! Il n'avait rien fait de mal ! Il ne t'avait pas touché !

— Je n'ai p-

— Tais-toi, meurtrier !

Alors Xuoha Lan vit que ces gens allaient passer à l'acte. Ces lueurs dans leurs yeux, ces poings serrés, cette atmosphère lourde...

Il baissa le visage, leva sa paume pour la contempler. Y avait-il du sang sur cette main ? Non. Parce qu'il n'avait tué personne. Mais personne ne l'écouterait. Ils avaient besoin de quelqu'un sur qui reporter la faute. Quelqu'un à blâmer pour les morts de leurs proches, de leurs amis, de leurs fils.

Et lui ? Avait-il quelqu'un à blâmer ?

Oui. Deux personnes dans un palais au milieu des montagnes étaient responsables de la mort de l'homme qu'il aimait.

Mais il allait mourir. A quoi cela servirait-il de les accuser, d'attiser cette haine dans son cœur, ce feu qu'il avait brièvement éteint, mais qui se rallumait soudain ?

Ces gens voulaient lui faire payer.

Il voulait aussi se venger. Il voulait faire souffrir.

Il voulait tuer. Pour de vrai, cette fois. Après tout, son nom était déjà celui d'un meurtrier. Qu'avait-il à perdre ?

Il ferma son poing.

Et sourit.

Rien. Il n'avait plus rien à perdre.

***


Un chapitre un peu plus long pour un tournant décisif...

Vous voyez où on se dirige ? Moi oui :3
Et visiblement, soit Lanou parvient à s'en sortir, soit c'est la fin...

La bise, on se voit demain ! ❤️


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