Chapitre 38 : Convoi

Bonne lecture <3

Le convoi avait avancé pendant toute une journée et arrivait au Fleuve Blanc, où tous comptaient passer la nuit. La Ville des Soies, connue pour ses étoffes fluides et magnifiques, comptait plusieurs auberges où la majorité des exorcistes pourrait se reposer.

Dans celle qui se nommait « l'araignée-lune », Moha Yin sirotait un thé doux, assise à une table de bois verni. Ses amples robes violettes, brodées d'or et d'un tigre sur les manches, s'évasaient autour de sa taille fine comme plusieurs pétales. Une épingle garnie de perles maintenait son abondante chevelure de jais sur le haut de son crâne en un chignon élégant, dégageant sa nuque.

Lorsque les exorcistes du clan Xuoha s'avancèrent dans l'établissement, son gérant s'inclina et leur désigna la table de l'héritière. Cette dernière se trouvait écartée des autres par quelques paravents de papier, peints pour esquisser des nuages et des créatures fantastiques.

Les teintes majoritaires de l'auberge étaient claires et accueillantes. Quelques voiles d'une qualité rare avaient été drapés contre les murs de bois miel pour habiller l'immense salle à deux niveaux. Le rez-de-chaussée, auquel on accédait par l'entrée dont les double-portes restaient ouvertes toute la journée, comptait plusieurs tables basses entourées de coussins confortables. Les conversations restaient calmes et formaient un bruit de fond qui ne dérangeait pas les clients.

Un escalier, à droite en entrant, menait à l'étage. Il ne couvrait pas toute la superficie du rez-de-chaussée, et avait plus l'air d'un balcon à la balustrade finement ouvragée. L'on pouvait ainsi jeter un coup d'œil à l'entrée et la rue au-delà tout en buvant l'un des succulents thés servis.

« L'araignée-lune » était réputée parmi les établissements de la ville et les exorcistes qui n'y avaient encore jamais mis les pieds décidèrent que les louanges n'étaient pas exagérées.

Deux membres du clan Xuoha se détachèrent de leurs compagnons pour se diriger vers la table désignée, alors que les autres se rendaient aux chambres.

L'héritière Moha les accueillit poliment, déposant sa tasse de jade fumante.

— Vous êtes à l'heure, apprécia-t-elle une fois qu'ils l'eurent saluée. Où avez-vous placé Xuoha Lan ?

— Il est toujours dans la charrette, nous allions justement en discuter avec vous.

— Il est inutile de lui préparer une chambre, décida-t-elle en invitant les nouveaux arrivants à s'asseoir d'un geste.

Les deux jeunes hommes prirent place sur les coussins de l'autre côté de la table.

— J'ai été mise au courant d'une partie seulement des faits, car nous ne devions pas perdre de temps pour vous rejoindre. Faites-moi un rapport complet, je vous prie.

Les deux exorcistes du clan des montagnes échangèrent un regard, mais pourquoi dissimuler les événements ? Tout le monde serait au courant lors du procès.

Ils rapportèrent les mots de leur chef à une Moha Yin attentive, qui portait de temps à autre sa tasse à ses lèvres. Un éclat de dédain luisait dans ses iris lorsqu'elle comprit ce qu'avait fait Xuoha Lan.

Elle avait bien fait de ne pas se rapprocher d'un homme aussi méprisable. Par son sang, et ses actes. Il semblait que son ascendance avait prédestiné son crime, plus qu'un mal de l'esprit.

Elle commanda au serveur le repas du soir, et le soleil déclina par la fenêtre, ombrant les visages des clients de l'auberge alors que la fraîcheur de la nuit commençait à se glisser dans les rues de la Ville des Soies.

*

Xuoha Lan ferma brutalement les yeux lorsque les draps de la charrette furent écartés, laissant entrer la lumière du jour dans le recoin où il s'était roulé pour dormir.

— Par tous les dieux, ça empeste ici ! Venez, on va le passer dans la rivière avant que le clan Moha n'arrive.

Des mains lui attrapèrent les bras, on le tira par-dessus le rebord de bois qui lui râpa la peau des jambes. Ses robes déchirées ne faisaient plus que cacher ses parties intimes et son torse, le reste avait été peu à peu arraché par les poignes brusques des gardes. Sa peau abimée et trop pâle, frissonnante, était visible sous les rayons solaires et exposée aux quelques vents frais du matin.

Les liens lui mordirent le torse et les bras lorsqu'on le fit avancer, car les exorcistes s'en servaient pour le maintenir debout.

Encore affaibli par le thé dont on le gavait, il ne marchait pas droit et voyait à peine. Il sentait un chemin de terre sous ses pieds nus, puis de l'herbe humide de rosée, et ne se rendit pas compte qu'un ruisseau se trouvait juste devant lui avant qu'il ne tombe de la berge.

L'eau glacée le tétanisa un instant, avant qu'il ne bouge frénétiquement ses jambes pour toucher le fond et se ramener à l'air libre. Il se débattit quelques secondes ainsi, la tête sous la surface, les yeux ouverts sur un flou brunâtre, et la pensée que peut-être il mourrait noyé se fraya un chemin dans son esprit. Les entraves l'empêchaient d'utiliser ses bras, et sa faiblesse physique dûe au poison ralentissait ses jambes. Il n'arrivait pas à remonter. La rivière semblait bien plus profonde que ses geôliers le pensaient...

Étrangement, aucune panique ne lui embrouilla les pensées. Elles souffraient déjà des brumes de la Belle-des-Montagnes. Peut-être était-ce ce qui l'empêchait de s'affoler.

Ses mouvements ralentirent, ses paupières se fermèrent.

Une main le tira hors de l'eau.

Agrippée à ses cheveux, elle le hissa sur la berge et d'autres vinrent saisir les restes de ses robes grises souillées de sang. On les lui arracha, purement et simplement, en même temps que les liens qui lui mordaient la peau.

Une gifle lui ramena un peu de conscience, et il papillonna des paupières, recroquevillé au milieu de quelques roseaux. Il ne voyait toujours rien...

Une brusque toux lui déchira la gorge, il recracha de l'eau vaseuse jusqu'à ce que le goût ferreux du sang lui éclabousse la langue.

— Rhabille-toi.

Des tissus lui furent jetés dessus. Sa main s'y posa, sentit qu'ils étaient secs. Mais il était toujours aussi faible et ne put que grelotter, les yeux clos.

Des jurons retentirent, puis des doigts indélicats lui passèrent les tuniques sommaires, le relevant sans douceur. Des ongles lui griffèrent la peau, mais il n'avait pas la force d'émettre la moindre plainte. Son esprit plongeait, il était juste... fatigué. Las. Vide.

Des heures seul dans la charrette paraissaient l'avoir dépourvu de toute émotion. Il avait tenté de se rappeler du visage de Shen Sizhan, mais s'était rendu compte avec horreur qu'il commençait à l'oublier. Certains traits étaient flous. Ce qu'il imaginait encore avec acuité, par contre, c'était les yeux. Deux yeux sombres remplis de gentillesse, de tendresse, d'amour. Un regard qui lui creusait le cœur et brûlait ses paupières.

Lorsqu'il fut habillé décemment de quelques vêtements peu coûteux, on le remit debout et le tira jusqu'à la charrette à nouveau. Xuoha Lan ne pensa pas à ses plaies qui risquaient de s'infecter après un bain boueux, il voulait simplement dormir. Oublier. Accélérer le temps jusqu'au procès, entendre la sentence de mort, se faire décapiter et ensuite, partir aux Enfers pour, peut-être, retrouver le médecin dans sa vie suivante.

Il n'avait plus rien à faire dans celle-ci.


***

Un chapitre de transition, le convoi poursuit sa route...

Je vous vois demain, le chapitre 39 sera bien plus long (presque 2000 mots, alors que celui-ci en fait 1200) et il s'y passera bien des choses !

La bise <3

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