Le Prix de la Liberté
Je suis libre ! Je suis enfin libre ! C'est ce que la voix dans ma tête hurlait sans qu'un seul mot ne sorte de ma bouche. J'étais certes libre, mais je n'étais pas pour autant sorti d'affaire.
J'avais réussi, à force de ruse, d'agilité, et vraisemblablement d'un peu de chance, à m'échapper de ma geôle. Après presque un mois passé dans cette prison souterraine, j'avais enfin réussi à échapper à la méfiance de cet ivrogne de garde et à regagner la surface. Mon problème était maintenant de savoir comment quitter ce repère de pirates sans attirer l'attention. Cela me préoccupait particulièrement, car j'étais encore vêtu de cette chemise et de ce pantalon rouge flamme que l'on donne aux prisonniers pour les rendre repérables. En plus de cela, je ne connaissais même pas le chemin de la sortie, si tant est qu'il y en ait une. J'étais arrivé les yeux bandés par le dernier navire pirate ayant accosté. L'endroit où je me trouvais ressemblait à une grotte, ouverte par endroits au-dessus de ma tête, ou en direction de la mer. Mais rien ne me disait si je pourrais m'échapper à pied par une issue quelconque, ou si, comme je le redoutais, je devrais trouver un moyen de fuir par la mer.
C'est alors qu'un mouvement attira mon attention dans un recoin sombre. Un chat, d'apparence tout à fait ordinaire, m'observait depuis l'entrée de la grotte. Au départ, je crus que c'était un chat errant, attiré par l'odeur des poissons séchés des réserves. Mais son regard ne me lâchait pas, un regard étrangement perçant, presque humain, qui me donnait l'impression d'être épié, jugé, comme s'il devinait ma condition de prisonnier en fuite. J'avais presque l'impression qu'il savait ce que je ressentais.
J'étais libéré de ma cellule, mais je me retrouvais dans une autre prison, où les secrets se cachaient derrière un regard félin. Les pirates allaient et venaient autour de nous, mais le chat restait planté là, ne se cachant pas, ne fuyant pas, comme s'il était chez lui. Quelques hommes lui jetaient des coups d'œil, mais aucun ne semblait surpris de le voir traîner dans les parages. La manière dont il déambulait, passant sous les tables et entre les jambes des hommes, avec un calme déconcertant, me fit douter. Était-il possible qu'il appartienne à ces pirates ? Peut-être était-il leur mascotte ? Ou, plus inquiétant encore, un allié plus rusé que je ne pouvais l'imaginer ?
J'étais tenté de m'éloigner, de me cacher ailleurs, mais je n'arrivais pas à détacher mon regard de ce chat. Il s'arrêta soudain à quelques mètres de moi, s'assit et me fixa intensément. Ses yeux semblaient lancer un défi muet. La sensation devint si oppressante que je faillis lui parler. Mais je me retins : parler à un chat ! La captivité m'avait-elle rendu fou ?
Je secouai la tête pour m'éclaircir les idées et me forçai à ignorer ce félin troublant, scrutant à la place les environs pour évaluer une potentielle échappatoire. Les pirates riaient, chantaient et discutaient de leur dernière prise. J'entendis quelques bribes de leurs plans pour piller le prochain village côtier. En écoutant discrètement, je me disais que j'aurais bien besoin d'une distraction pour m'esquiver. Et pourtant, ce chat restait dans un coin de mon esprit, comme un doute persistant, une menace muette.
Je devais réfléchir et agir vite. Plus je restais là, plus je risquais de me faire prendre. Au moment où je m'apprêtais à bouger, je sentis de nouveau le regard pesant du chat sur moi. Comme s'il savait ce que je préparais. J'inspirai profondément et jetai un dernier coup d'œil à l'animal. Il me fixa en retour, impassible. Était-il un simple chat ? Ou quelque chose d'autre ? Dans cette prison de pirates, où la loyauté et la trahison se mélangeaient, je ne pouvais même pas en être certain.
*
Cela faisait un moment que j'errais dans ce dédale de grottes et de cavernes. Les pirates allaient et venaient sans vraiment prêter attention aux ombres, et je profitais de chaque recoin pour progresser discrètement. Parfois, des éclats de voix et de rires résonnaient si près que je retenais mon souffle, plaqué contre la paroi rocheuse, espérant ne pas être repéré.
Alors que je longeais un couloir étroit, j'entendis soudain des pas lourds s'approcher. J'eus tout juste le temps de me cacher derrière une pile de caisses empilées à l'angle, dans un renfoncement humide. Je m'aplatis, priant pour que l'obscurité suffise à me dissimuler. Les pas ralentirent, et une silhouette massive s'arrêta à quelques mètres de moi. Je vis le pirate s'arrêter, renifler l'air, comme s'il avait perçu quelque chose d'étrange. Mon cœur battait à tout rompre, chaque pulsation un tambourinement que je craignais de ne pas pouvoir étouffer. Je m'attendais à ce qu'il découvre ma cachette, quand, à ma grande surprise, un mouvement furtif se glissa entre les caisses, et je me retrouvai nez à nez avec... le chat.
Ce même chat étrange qui m'avait observé un peu plus tôt. À nouveau, il me fixait intensément. Son regard avait quelque chose d'incisif, une lueur que je n'avais jamais vue dans les yeux d'un animal. Un instant, il inclina la tête comme s'il réfléchissait, puis s'approcha de moi, silencieux, avant de chuchoter dans un souffle à peine audible :
« Ne fais pas de bruit. »
Je faillis m'étrangler de surprise. Non seulement ce chat parlait, mais sa voix, basse et feutrée, était emplie d'une urgence qui me glaçait le sang. Je n'eus pas le temps de réagir qu'il poursuivit :
« S'ils te trouvent, c'est la fin. Reste caché... et écoute-moi. »
Je restai figé, les mots de ce chat résonnant dans ma tête, encore plus surprenant que la situation elle-même. Ce chat savait qui j'étais, et il savait exactement ce que je faisais ici. L'homme qui reniflait s'éloigna finalement, non sans lancer un regard soupçonneux dans ma direction. Une fois les pas disparus, le chat se tourna vers moi avec une gravité qui ne laissait aucun doute : il était aussi prisonnier que moi.
« Toi aussi, tu cherches à t'échapper, n'est-ce pas ? »
Je le regardai, ébahi, ne sachant que répondre. Comment expliquer que j'avais du mal à croire ce qui se passait, qu'une voix me parlait, un animal me parlait, et que j'envisageais même de lui répondre ?
« Je... Oui... mais toi, tu es... un chat... » balbutiai-je, incapable de formuler ma pensée.
Il eut un regard amusé, presque triste. « Pour le moment, oui. Mais sache que je suis bien plus que cela. C'est la raison pour laquelle je suis ici, prisonnier de ces misérables pirates. Ils m'ont capturé il y a longtemps, bien avant toi, et ils m'ont... changé. »
Je le fixai, sentant confusément qu'un maléfice plus grand que moi me dépassait. À cet instant, il parut lire dans mes pensées, car il ajouta avec un soupir :
« Un sortilège me lie à cette forme, et je ne peux en être libéré que si je quitte ce repaire. Mais seul, il m'est impossible de m'enfuir. »
Mon esprit était en ébullition. J'étais libéré de ma cellule, mais je me retrouvais dans une autre prison, où les secrets se cachaient derrière un regard félin. Un silence passa entre nous, lourd de non-dits, et dans ses yeux brilla cette étrange lueur, une lueur de défi, mais aussi d'espoir.
Il se redressa et me lança un regard déterminé. « J'ai besoin de toi. Nous devons collaborer. J'ai des informations sur ces grottes et leurs passages secrets, des indices qu'ils ignorent. Si nous unissons nos forces, peut-être que nous pourrons nous en sortir. »
Je me rendais compte que refuser aurait été insensé. Cet allié improbable, aussi mystérieux et troublant soit-il, connaissait le repaire bien mieux que moi. Et si l'idée de m'enfuir avec un chat parlant me paraissait absurde, je n'avais pas d'autre choix.
Il me mena discrètement à travers des tunnels encore plus sombres et plus reculés du repaire, des passages que je n'aurais jamais découverts seul. En chemin, il me révéla des bribes de son histoire : ancien navigateur d'une grande intelligence, il avait défié un mage puissant qui, dans un acte de vengeance, l'avait transformé en animal. Les pirates, voyant en lui un mystère qu'ils ne comprenaient pas, l'avaient capturé, pensant qu'il pourrait leur rapporter une fortune. Depuis, il errait, sans possibilité de briser la malédiction seul. Chaque recoin de la grotte cachait des ombres menaçantes, mais le chat semblait les anticiper. Avec une précision impressionnante, il m'indiquait quand avancer, quand m'arrêter. Finalement, après une succession de détours et de haltes précautionneuses, nous atteignîmes un endroit plus éclairé. Une faible lumière perçait à travers des fentes dans la paroi rocheuse.
« Là-bas », murmura-t-il, en désignant une petite ouverture, « c'est le passage secret. Il mène aux réserves et, de là, à la mer. »
Un plan se dessinait peu à peu dans nos esprits : nous allions nous infiltrer dans les réserves, voler une barque et filer par la mer. Mais le chemin restait périlleux. Des pirates allaient et venaient, certains à moitié ivres, d'autres aussi alertes que des loups. À chaque rencontre potentielle, mon cœur se serrait, et à chaque regard insistant du chat, je sentais croître notre complicité.
Alors que nous nous faufilions dans un dernier couloir menant aux réserves, le chat me glissa dans un souffle :
« Si nous réussissons, je pourrai enfin me libérer de ce sort. Mais il te faudra m'aider jusqu'au bout. »
Je hochai la tête, plus déterminé que jamais. Notre alliance improbable, née de circonstances désespérées, pourrait bien être notre seul espoir de salut.
*
Le chat et moi atteignîmes enfin la petite barque prête à être mise à l'eau. L'échappée semblait à portée de main. Nous montâmes ensemble à bord, le félin s'installant à la proue, les yeux fixés sur l'horizon comme s'il avait attendu ce moment depuis une éternité. Avec un dernier coup d'œil vers le repaire des pirates, je pris les rames et entamai la traversée vers la liberté.
Les vagues clapotèrent doucement contre la coque tandis que nous nous éloignions du rivage. La mer s'étendait paisiblement sous la lumière de la lune, et un sentiment de victoire montait en moi. Mais soudain, le chat rompit le silence :
« Arrête de ramer. »
Je m'immobilisai, surpris par la gravité de son ton.
« Je vais bientôt reprendre ma forme... et tout se jouera alors », murmura-t-il, une lueur intense dans les yeux.
Sans comprendre, je le regardai, un frisson d'inquiétude me parcourant. Alors que le dernier éclat de lune disparaissait derrière un nuage, le chat se mit à trembler. Peu à peu, sa silhouette s'élargit, se tordit... et une figure humaine prit sa place. Un homme vêtu de haillons apparut, son regard aussi perçant que celui du chat, mais empli de fatigue et d'un étrange éclat de pouvoir.
« Merci », dit-il dans un souffle, sa voix grave résonnant dans la barque comme un écho ancien. « Merci de m'avoir aidé à échapper à cette malédiction. »
Je n'eus pas le temps de répondre, abasourdi par cette métamorphose, car déjà il se penchait vers moi avec un sourire énigmatique.
« Mais tout a un prix, mon ami. En me libérant, tu as brisé un sceau ancien... et désormais, toi aussi, tu portes une part de ce fardeau. »
D'un geste rapide, il posa sa main sur mon épaule. Une vague de chaleur m'envahit, puis une sensation étrange, comme si un morceau de mon esprit s'envolait.
Avant que je puisse protester, il plongea dans les eaux sombres, sa silhouette s'effaçant dans les profondeurs. La mer redevint silencieuse, et je restai seul dans la barque, un goût amer dans la bouche, avec la sensation étrange que quelque chose en moi avait changé. Un léger reflet dans l'eau me fit baisser les yeux : là, dans mes iris, une lueur verte, presque féline, brillait faiblement.
Libéré, mais désormais lié à un mystère qui me dépasserait.
Remdrd 04/11/2024
1997 mots
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