4 - Le bannissement

        Les larmes coulent sur mes joues. J'en ai assez d'attendre. Assez de revoir tous ces souvenirs.

        Je préviens Caem et récupère mes affaires ainsi que le bol. Il se lève également et m'aide à ramasser nos affaires. En vérité, il est aussi peu patient que moi, mais il sait le cacher, surtout quand cela me concerne.

        Il me prend par la main et nous traversons le ruisseau avant de remonter vers la chute. De ce côté les racines sont plus nombreuses, mais nous ne pourrions que difficilement franchir le cours d'eau plus loin. Mon frère doit plusieurs fois m'empêcher de tomber.

        - Ce n'est pas parce que tu vas le voir qu'il se réveillera, Carys, me rappelle-t-il.

        - Mais lui parler et s'occuper de lui ne peut que l'aider.

        Il ne comprend pas pourquoi je m'inquiète tellement, mais lui ne sait pas que Cirth est un martyr. Et il ne sait pas non plus ce que j'ai fait. Je repense rageusement à ce qui est arrivé deux semaines plus tôt.

*

        Il s'est avéré que Cirth avait raison ; les villageois ont fini par découvrir sa marque.

        Après plusieurs autres mois, il était complètement accepté, même s'il préférait continuer de vivre un peu à l'écart.

        Il était venu me retrouver au village à l'heure du déjeuner. Quelques enfants nous avaient rejoints sur la place et voulaient jouer avec nous. Alors qu'ils couraient tous autour de lui, l'un des plus jeunes a tiré sur le vêtement de Cirth pour attirer son attention.

        C'était le pull fabriqué par ma mère à son arrivée. Elle ne connaissait pas sa taille et l'avait fait un peu trop grand ; cela suffisait pour dévoiler la marque sur son épaule en tirant sur le tissu.

        Une vieille elfe nous regardait avec tendresse juste avant. Elle a poussé un hurlement qui a ameuté tous les hommes proches de nous. Ils s'en sont pris à Cirth sitôt qu'ils ont vu le tatouage. Le chef du village lui a ordonné de retirer le vêtement et un silence a accueilli la découverte.

        Sous le coup de la peur ou de la menace peut-être - il m'avait expliqué que cela arrivait parfois -, une crise s'est déclenchée. Les autres ne s'en sont pas rendu compte, parce qu'il avait appris à masquer sa souffrance, mais moi je savais le reconnaitre. C'est la seule raison pour laquelle les autres ont réussi à le frapper ; parce qu'il était trop concentré à gérer sa propre douleur pour se protéger de celle infligée par les villageois.

        Je me suis interposée entre eux, appuyée par Caem et ma mère, et un nouveau silence s'est installé. Mon oncle, qui faisait partie du conseil, s'est avancé et m'a demandé si j'aimais cette créature.

        J'ai acquiescé. Et ils m'ont bannie.

        J'étais autorisée à habiter dans la chaumière où il résidait, à l'écart du village, mais je devrais me débrouiller avec pour la nourriture ainsi que pour les soins. Je n'avais le droit de revenir qu'une fois par mois, le matin. S'ils n'ont pas chassé Cirth de la région, je le dois entièrement à ma mère. Elle n'a pas essayé de me défendre car cela était peine perdue, mais elle a obtenu qu'il puisse vivre à l'écart de la communauté avec moi. Tant qu'aucune catastrophe ne prouvait que sa présence était néfaste, aucun mal ne lui serait fait.

        Tous les regards se sont chargés de crainte et de haine. Nous avons été escortés jusqu'à notre logement et ils ont brûlé devant nos yeux les affaires que Cirth avait laissées sur la place. Ils ont ensuite rapporté les miennes et les ont aussi brûlées, une par une. Ils sont partis en laissant derrière eux un tas de cendres.

        Aujourd'hui, il ne me reste que le peu de choses que Caem a réussi à cacher, sur ordre de ma mère.

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