3 - Le secret
Cirth était parvenu à s'intégrer au village à sa manière. Il livrait juste assez de choses sur lui pour qu'on le laisse tranquille, de petites anecdotes sans importances. Personne ne le considérait comme quelqu'un de confiance, mais personne ne le redoutait, c'était le principal.
Je ne le voyais que très peu depuis, uniquement pour l'aider à cacher sa marque. Je me rendais chez lui en fin de semaine, lorsque je partais récupérer des plantes dans la forêt. Je ne l'avais plus revu sourire depuis sa présentation aux villageois.
Un soir, il n'a pas répondu lorsque j'ai frappé chez lui, alors que sa fenêtre laissait passer un peu de lumière. Je suis restée hésitante devant la porte mais c'est la plainte que j'ai entendue qui m'a décidée. J'ai cru qu'un habitant avait découvert la marque sur l'épaule de Cirth et qu'il s'en prenait à lui.
Pour le principe c'était idiot, car je n'avais pas la force nécessaire pour stopper un elfe de mon village, mais je suis tout de même entrée et j'ai eu raison.
Il n'y avait personne d'autre dans la chaumière. Seulement Cirth agonisant sur le sol. J'étais persuadée que l'agression avait déjà eu lieu et que j'arrivais après les faits, mais je me trompais.
Il se tenait la tête et gémissait. Je dus me rendre à l'évidence après l'avoir examiné, il souffrait mentalement et non pas physiquement. Il ne portait aucune trace de blessure et rien ne laissait soupçonner qu'on avait tenté de l'empoisonner. Pourtant, il se recroquevillait toujours devant moi, toute dignité et toute façade perdue. Comme le premier jour.
Je l'ai trainé puis hissé comme j'ai pu sur son lit et ai tâché d'éponger son front et de le soutenir, à défaut de faire cesser la crise. Sa souffrance venait par spasmes et a duré plus d'une heure, le laissant épuisé mais incapable de s'endormir. Il avait honte et était furieux.
J'ai tenté de le calmer, mais c'était peine perdue, il était trop fier. Je me suis donc bornée à nettoyer sa marque et à l'enduire d'une nouvelle couche de pigments préparés par mes soins. Le silence a joué en ma faveur, et la colère de Cirth s'est calmée. J'ai eu droit à des remerciements.
J'ai fini par poser la question qui me brûlait les lèvres depuis le premier jour.
« Qui es-tu ? »
Il m'a contemplée et s'est assuré de ne plus laisser transparaître aucune émotion avant de me répondre.
« Un martyr. »
Je l'ai dévisagé à mon tour. Je n'avais aucune idée de ce qu'était un martyr. Personne ne m'en avait jamais parlé. Cirth a gardé son masque impassible tout au long de ses explications, jusqu'à la fin. Il n'avait jamais eu à expliquer qui il était, cela se voyait. Personne n'avait jamais dû lui en laisser le temps et je crois bien que même lui avait du mal à définir ce qu'il était exactement.
Toujours est-il qu'à partir de ce jour, nous sommes devenus de plus en plus proches.
*
Caem m'a donné un morceau de pain accompagné de fromage frais. Midi. Le soleil était toujours aussi brulant. J'ai mangé en silence, toujours perdue dans le flot de mes souvenirs. J'ai revu tous les moments qui nous ont rapprochés, jusqu'à ce jour particulier.
*
Cirth vivait parmi nous depuis déjà trois mois. Il ne se livrait toujours pas aux autres, mais acceptait plus volontiers de se confier à moi.
J'avais décidé de ne pas l'assaillir de question sur sa condition, qu'il était bien en peine de me détailler, et je me contentais des informations qu'il me donnait de temps à autre.
La veille, il m'avait avoué qu'il souffrait constamment, même lorsqu'il n'en donnait pas l'impression et qu'il riait, ce qui n'arrivait que rarement. Cette pensée m'avait hantée toute la nuit, et j'étais venue le plus tôt possible chez lui. C'était la saison des pluies, période que j'appréciais autant que je la détestais. Elle irriguait nos terres mais m'emplissait d'une mélancolie inexpliquée.
J'ai tambouriné à sa porte et il s'est hâté de m'ouvrir, inquiet. Ce n'était pourtant pas moi le problème, c'était lui ! Je ne comprenais pas pourquoi il ne faisait rien pour aller mieux. Pourquoi ne demandait-il pas à ma mère de l'aider ?
Il m'a donné une couverture et a préparé une tisane avant de se justifier. Il avait déjà tout essayé, des plantes aux potions en passant par la méditation et toutes sortes d'autres traitements. Rien ne le soulageait et on finissait toujours par se rendre compte de la marque et par le chasser. Il ne doutait d'ailleurs pas qu'on le forcerait aussi à partir d'ici un jour.
Cette pensée m'a attristée. J'ai regardé droit devant moi et me suis rendue compte de l'évidence. Je m'étais attachée à lui. Il s'est figé quand je le lui ai dit - ce n'était pas mon genre de cacher mes sentiments - mais il n'a pas reculé. Et il m'a embrassée.
*
Nous avons passé de plus en plus de temps ensemble, Cirth et moi, et j'ai annoncé à mes parents que je le fréquentais. C'est à partir de là que j'ai commencé à fouiller dans les écrits que notre village possédait afin de trouver une solution. Parce qu'il devait en exister une. Cirth ne pouvait pas être condamné à souffrir jusqu'à la fin de ses jours.
Je n'avais que peu de temps à consacrer à mes recherches, d'autant que je tenais à le laisser à l'écart, et j'ai mis des mois avant de trouver une piste. J'ai eu besoin d'un mois supplémentaire pour trouver une solution possible.
Il ne souffrait plus comme avant, sur la durée, mais subissait de violentes crises. Leur intensité était d'autant plus forte qu'elles étaient espacées.
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