2 - L'arrivée
Je l’ai rencontré il y a déjà plus d’un an, près de la chute que l’on peut entendre d’ici. J’étais en compagnie de Siwan, Caem et plusieurs jeunes du village lorsqu’il avait émergé du bois, sale, ses vêtements en lambeaux et son corps couvert d’égratignures. Mon frère avait couru jusqu’au village avec les enfants et demandé à maman de venir. Entre temps, Cirth était entré dans l’eau glaciale et une tache rougeâtre s’était épanouie autour de lui. Quant à moi, j’étais restée plantée là, sur la rive, trop apeurée pour m’approcher et trop têtue pour partir.
L’arrivée de ma mère m’avait redonné contenance. Je me souviendrai toujours de l’étonnement qui s’est lu sur son visage quand nous avons proposé de le soigner. Comme si cela était un privilège auquel il n’avait pas droit. Je n’ai réalisé son épuisement que lorsqu’il a saisi la main que je lui tendais pour remonter de notre côté. Tout son corps tremblait et il a manqué de me faire tomber dans la rivière.
Il a longuement hésité avant d’ôter le haillon qui lui servait de pull et j’ai aussitôt compris pourquoi, même si je me suis tue. Une gigantesque marque partait du haut de son bras gauche et s’étendait en filaments sur son épaule et son dos. Elle représentait des symboles anciens qui m’étaient inconnus, mais j’ai deviné qu’ils étaient la raison de ses blessures. Pour beaucoup d’elfes de notre pays, ces tatouages signifiaient que l’être qui les portait était maudit et apportait le malheur partout où il allait.
Il était plus que probable qu’on l’ait chassé de son dernier village une fois sa marque révélée, que ce soit volontairement ou par accident. Ma mère n’avait pas réagi, parce qu’elle ne croyait pas à ce mythe, mais les membres du conseil ne manqueraient pas de le bannir, alors nous l’avons caché.
Le temps qu’il se rétablisse, avant même qu’il ne nous demande quoi que ce soit, nous avions convenu maman et moi que nous l’aiderions et l’intégrerions au village. Mon père avait construit dans un coin reculé de la forêt une petite cabane au cas où une attaque surviendrait — cela était courant dans notre région — et nous avons ainsi pu l’installer. Cirth n’avait trouvé la force que de nous indiquer son prénom avant de finir par s’endormir d’épuisement.
C’est moi qui me suis chargée de venir chaque soir après mon travail quotidien au village. J’emportais un onguent préparé par ma mère et l’appliquais sur ses plaies. Contrairement à ce que j’avais pensé, ce n’étaient pas des égratignures ; la plupart des blessures était profondes et ne demandaient qu’à s’infecter.
Il avait mis trois semaines pour se remettre complètement, mais dès le troisième jour il avait été en mesure de tenir une conversation. Et de se défendre. Il avait trouvé un couteau appartenant à mon père et m’en avait menacé lorsque j’étais venue, chargée de linge et de plantes. Il avait mis longtemps à accepter l’idée que je voulais l’aider et non pas le dénoncer.
Hésitant, il avait fini par capituler et me laisser nettoyer et changer ses pansements. Cette soirée avait été la plus embarrassante de toute ma vie. Soigner un garçon malade et inconscient était une chose, soigner un garçon conscient en était une toute autre.
Il lui avait fallu trois jours de plus pour réaliser que je ne lui ferais aucun mal, de quelque manière que ce soit. Dès lors, il s’était peu à peu détendu et avait commencé à sourire et converser. C’est comme cela que notre histoire avait débutée.
*
Caem éteint le petit brasier et plonge le bol dans l’eau de la rivière pour le refroidir. Le linge a dû se teindre d’un léger vert et doit rester plonger encore un bon moment dans l’eau. J’étouffe sous la chaleur, mais je n’ai pas envie de me relever pour aller me rafraîchir, je préfère continuer de revisiter mes souvenirs. Je ne peux plus compter que sur cela. L’odeur d’une fleur près de moi me rappelle le jour où nous avons présenté Cirth au village.
*
Il était nerveux. Ma mère ne l’avait pas revu depuis son apparition près de la chute mais avait tenu à annoncer elle-même la venue du nouvel habitant. J’étais devenue assez proche de Cirth, à force de discuter avec lui tous les jours, et j’avais appris à le connaître. C’était un jeune homme de solide constitution, aux cheveux blond cendré et aux yeux noisette. Il détestait être en position de faiblesse et s’était montré quelque peu honteux d’être resté inconscient si longtemps.
Les blessures que j’avais soignées n’avaient pas laissé de cicatrices, mais il en portait d’autres. Nombreuses. Il n’aimait pas beaucoup parler de lui, mais certains soirs j’apprenais de petits détails. Il avait vingt-six ans et déjà exercé beaucoup de métiers, le plus souvent physiques. Il se tenait néanmoins droit et avait la tête haute, en souvenir de ses parents, disait-il, qui aimaient les apparences convenables.
Ma mère lui avait confectionné de nouveaux vêtements avec un tissu rêche dont elle ne se servait presque pas. Nous devions faire croire aux autres que Cirth était déjà venu ici une fois, blessé, et qu’il avait décidé de voir s’il pouvait s’installer ici, après une longue réflexion. Caem lui-même ne se doutait pas que durant ces trois dernières semaines j’avais soigné l’elfe et qu’il n’avait pas quitté la forêt.
Le dirigeant de notre village avait toisé et longuement questionné Cirth, mais il avait accepté sa demande sans trop de problèmes. Ce n’était pas quelqu’un de méchant, juste un peu méfiant. Pour autant, le nouveau venu n’était pas autorisé à habiter au cœur du village les premiers mois : il devait prouver sa bonne volonté. Nous avions proposé qu’il s’installe dans la chaumière près de la forêt ; celle où j’habite aujourd’hui.
En guise de cadeau de bienvenue, les femmes et les enfants avaient entouré sa maison de fleurs qu’il avait mis un point d’honneur à entretenir. Bientôt, leur parfum embaumera la chaumière.
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