43. Brendan
Un garçon à genoux, une fille du même âge devant lui, un mouvement derrière le premier, sa gorge qui s'ouvre en flots écarlates, des paroles heurtées dans une incantation impie, les odeurs de terreur en rafales suffocantes.
D'autres se seraient figés face à pareil spectacle, mais Brendan ressentait tout le contraire. La nécessité d'agir le poussait comme un vent furieux, l'enjoignant à frapper.
Bien sûr, il avait contemplé un futur tragique, le meurtre de Sam à des fins monstrueuses, la magie de mort, qui puisait sa force dans l'agonie d'un sacrifice. De l'avoir vu, cependant, le Mivéan avait déjà bouleversé ce qui serait. Cela ne signifiait pas que l'elfain survivrait quoi qu'il advienne, cependant. Sans impulsion, sans mouvement, les modifications de l'avenir pourraient n'être que triviales : autre position, autres vêtements, autre bourreau. Il ne pouvait pas rester les bras croisés.
Pétrifié par ce qui était en train de se dérouler, le Mivéan n'avait d'abord absorbé que l'effroyable spectacle, et il lui avait fallu lutter contre son instinct pour quitter la lame des yeux et diriger son esprit vers les autres éléments de la scène.
La fille, d'abord, grande, brune, une jeune sorcière, dont l'expression reflétait à la fois détermination et épouvante, le sortilège s'échappant de ses lèvres dans un automatisme qui trahissait l'habitude, une robe élégante aux riches teintes noires et rouges, aux manches ornées, corsetée, inconfortable, couleurs de Casin plus que de Tymyr.
Une Griphélienne hésitante. Peut-être contrainte.
Brendan aurait pu la dessiner mais le poids du secret l'en empêchait. Sans doute avaient-ils été trop prudents en lui scellant les lèvres, mais défaire les fils du charme qui le muselait comportait d'autres risques, qu'il ne pouvait guère prendre. Il faudrait qu'il teste les limites de ce qu'il avait le droit de révéler.
Pour le reste, le rituel sordide s'était déroulé dans une pièce voûtée, souterraine, humide, éclairée, chose étrange, par des globes de lumière valgrianne.
Bien sûr, on pouvait les acheter au Temple et certains les revendaient clandestinement avec profit, mais l'artifice était curieux de la part de Tymyriens, qui évoluaient généralement dans les ténèbres. Peut-être un signe du caractère disparate de leur équipe. La sorcière, après tout, portait des couleurs casinites. Peut-être devait-elle voir sa victime pour en profiter.
L'humidité ne révélait rien d'utile : tous les sous-sols juvéliens en souffraient. En revanche, les carreaux qui couvraient le sol étaient tout à fait particuliers : bleu clair, ils formaient des soleils à huit branches jaunes grâce à un placement précis les uns par rapport aux autres. Non seulement la symbolique paraissait critique, mais la qualité du travail révélait que les lieux n'appartenaient pas à n'importe quelle cave de la capitale. Les Obscurs s'étaient manifestement installés à un endroit confortable.
Ou s'y installeraient. Dans le futur.
Le visage de l'homme qui tranchait la gorge de Sam était resté dans l'ombre, le signe d'une protection solide contre toute tentative d'observation, un sortilège tymyrite puissant. Il s'était donc promené en pleine lumière et sans doute exposé devant certaines personnes susceptibles de le reconnaître et de le trahir.
Comme Blanche. Le novice d'Agathe qui avait disparu. Les otages survivants. Hector et Soren, Sam et Mathilde, Amray, qui d'autre, encore ?
Brendan n'en voyait que les avant-bras, minces et musclés, les doigts serrés sur le manche du couteau, dans les cheveux de l'elfain foudroyé.
Revisiter ces bribes, dans une forme de méditation profonde, lui avait pris une bonne partie de la journée, et Brendan avait émergé épuisé de cette transe. Il s'était sustenté, avait pris le temps d'une sieste, qui s'était éternisée – il avait pourtant demandé qu'on le réveille, mais personne n'en avait pris l'initiative – et il se leva alors que le soleil déclinait déjà, qu'il ferait bientôt noir.
Trop tard pour la cérémonie d'adieu au Temple Valgrian, mais pas trop tard pour la Veillée en elle-même, qui durerait tard dans la nuit.
Aussi se mit-il en route sans attendre.
Il atteignit le Parc au moment où les fidèles le quittaient. La garde, l'armée et les Flambeaux étaient présents en force : la première sur les gazons mouillés, la seconde aux portes du Temple, les derniers dans la nef, opposant une barrière intangible aux indésirables. S'il s'attira quelques regards sombres ou inquiets, Brendan ne fut arrêté par personne. Il se faufila dans les jardins, à contre courant de la foule, croisa brièvement Agathe, la chef de file des Béalites, qui regagnait ses pénates. Diane avait préféré s'abstenir, par peur de créer des remous malvenus.
La Veillée se poursuivait pour les prêtres, les Flambeaux et les personnes qui avaient connu un deuil récent, lesquelles étaient toujours suffisamment nombreuses pour envahir les lieux. Les dernières paroles sacrées prononcées, le temps était au recueillement, à la prière, aux réminiscences et à l'échange. Des petits groupes allaient se former, des souvenirs se raconter, il y aurait des larmes et des rires, une nuit pour évoquer la mémoire des disparus, avant l'aube et les derniers adieux.
Brendan ne connaissait pas les détails de ce qui s'était produit sur la route d'Omneiri. Othon lui avait glissé quelques bribes, ce qu'il avait osé révéler d'un secret que les Valgrians comptaient garder entre eux. Les annonces de la Veillée avaient été faites dans la journée, très évasives, un semblant de conclusion à l'épisode des Obscurs, un livre à refermer.
Terrible paradoxe, quand on en connaissait les dessous.
Mais les autorités n'avaient pas changé de discours : seul l'Echo Juvélien semblait réclamer davantage d'informations et se heurtait à un « l'enquête est toujours en cours » trop banal. Même sans connaître l'étendue du mensonge, n'importe qui aurait pu comprendre qu'on étouffait les soubresauts de la crise, une attitude suspecte dans un état qui se voulait transparent.
Si Brendan avait rencontré Hector au cours des réunions inter-cultes, il n'avait aucune idée de qui l'avait accompagné sur les routes tyrgriannes. Il connaissait de toute façon peu les Valgrians, qu'il ne fréquentait guère en dehors d'Othon. La gestion ordinaire d'un temple ne permettait pas de s'égarer, c'était un boulot à temps plein, qui requérait une présence constante, surtout dans sa position.
Aussi ne se sentait-il pas émotionnellement investi dans la Veillée : la mort récente de ses novices n'était sans doute pas étrangère à cet émoussement affectif. Il se mettait plus facilement en colère, mais les larmes ? Il avait l'impression de les avoir toutes versées.
La mort probable d'Amray, déjà, l'avait révolté sans le toucher, alors qu'il connaissait le Preux Épris de longue date, qu'il l'avait rencontré cent fois au Temple d'Himé, qu'ils avaient conversé à plus d'une reprise, d'une chose ou l'autre, dans les jardins. Les chevaliers menaient une vie dangereuse, bien sûr, mais ça n'expliquait pas complètement le froid qui s'était immiscé dans son cœur. Une forme de protection, sûrement, vitale en ces temps troublés.
Il était venu pour Othon. Pas pour le presser de faire le tour des marchands de carrelage avec lui, non, simplement pour le soutenir en cette nuit difficile.
Il croisa plusieurs prêtres, tous lui adressèrent des sourires nerveux, aucun ne paraissait refléter la sérénité douloureuse attendue en cette occasion. La chose le surprit mais il n'y prêta guère attention, remonta le chemin de sable jusqu'à l'endroit où s'était tenu un double rang de Flambeaux, quelques minutes plus tôt. Plusieurs d'entre eux étaient partis pour s'abriter, deux autres rassemblaient les novices, les derniers devisaient à proximité des caisses vides qui figuraient les corps. Othon parlait avec Florent, il vit Brendan, lui fit signe, et ce dernier demeura en retrait. Armand avait disparu, Céleste était immobile, l'expression hantée, fixant les flammes d'un brasero crépitant sous l'averse sans se soucier de l'eau qui mouillait ses épaules.
Brendan pinça les lèvres. Les lieux débordaient de douleur, il commençait à se sentir vaguement mal à l'aise, comme un intrus. Pourtant, il n'était pas le seul étranger au Temple, il y avait de nombreux laïcs, des militaires aussi, ils étaient sans doute près d'une centaine d'invités en sus des prêtres, des Flambeaux et de leurs novices.
— Merci d'être venu, déclara Othon, juste à côté de lui.
Sa voix était empreinte de lassitude mais il esquissa un vague sourire.
— C'est naturel, répondit le Mivéan.
Il jeta un regard circulaire autour de lui.
— Il y a du monde. C'est dommage pour la pluie.
Othon relâcha sa respiration.
— Armand est déjà reparti ?
Brusquement, le Flambeau l'attrapa par le bras et l'entraîna plus loin dans le parc.
— Qu'est-ce qui se passe ? s'insurgea le Mivéan.
— Je dois te parler, répondit Othon sans ralentir.
Ils dépassèrent le potager de simples, se glissèrent sous les saules du petit étang, atteignirent les limites du jardin, là où poussaient les arbres fruitiers.
— J'aurais dû t'en parler plus tôt, mais... Nous avons de gros ennuis, annonça le Flambeau.
— Les Obscurs...
— C'est pire que ça.
Il soupira, s'éloigna de quelques pas, jusqu'au tronc d'un pommier voisin, dont les fleurs blanches frémissaient sous l'averse. Il posa la main sur l'écorce et relâcha sa respiration.
— Je ne devrais pas te dire ces choses, mais... je ne vois pas comment faire autrement.
Il lui refit face. Brendan commençait à ressentir une angoisse désagréable. Othon paraissait exténué... ce qui n'était pas bon signe pour un Flambeau, et sûrement pas pour ce Flambeau-là.
— Nous avons reçu des informations concernant les Obscurs... par les services secrets. Ils ont identifié un des membres de leur groupuscule, et il s'agit d'Albérich Megrall.
— Albérich ?
Brendan lâcha un rire bref.
— Albérich est mort.
— Apparemment pas. Et il s'est joint aux Obscurs.
— Vous êtes certains que cette information est crédible ? Je veux dire, c'est quand même difficile à... Oh non.
Brendan s'interrompit, comme quelque chose lui revenait.
— Je l'ai vu dans la nef, murmura-t-il. Juste maintenant. Il était dans la nef du Temple, il regardait la cérémonie.
Othon le dévisagea, horrifié.
— Quoi ? Tu es certain ?
— Oui. Enfin, non. Je pensais qu'il était mort, Othon. J'ai juste trouvé que... cet homme lui ressemblait beaucoup... Une seconde. Il faisait sombre et...
— Viens ! s'exclama le Flambeau en repartant vers l'entrée du Temple, au pas de course.
Ils regagnèrent les lieux de la cérémonie. Othon rassembla Deverell, Thalie, Céleste et Florent et les mit au courant de ce qu'avait vu Brendan. La vieille prêtresse parut sur le point de défaillir, mais les trois autres accusèrent le coup sans broncher.
Le Mivéan, spectateur, n'était pas certain de mesurer l'ampleur de la nouvelle... Albérich Megrall, avec les Obscurs ? C'était inimaginable.
Il se trouva soudain replongé dans le cauchemar de ses trois jours de calvaire, à l'homme qui avait présidé au massacre. Sa voix avait paru familière, oui, Brendan se souvenait d'avoir eu la sensation de le connaître. Il ne parvenait plus à l'évoquer clairement mais... oui, peut-être était-ce celle de Megrall, le Flamboyant béni des Valgrians, l'homme qui allait ramener Juvélys vers la lumière.
Brendan avait bien connu Albérich. Ce dernier était plus jeune que lui de quelques années et, en dehors de ses célèbres extases, il était plutôt discret, un homme de terrain, toujours flanqué dans les taudis, à dispenser des soins, des conseils, et la bonne parole. C'était, sur le plan religieux, un adversaire redoutable, avec un pouvoir de conversion féroce. Mais c'était aussi un homme bon, généreux et bienveillant, il avait constitué un interlocuteur de choix quand il était monté au conseil, et, comme tout le monde, Brendan avait été choqué lors de sa disparition puis de son meurtre.
Othon revint vers lui.
— Nous allons rassembler les fidèles dans la nef et fouiller le Temple. Nous n'avons pas le choix. Florent va faire servir quelque chose pour que le mouvement paraisse naturel.
Une nouvelle chose traversa l'esprit de Brendan.
— Marcus n'est pas là, réalisa-t-il.
— Cela fait partie du problème, oui. Ecoute, Brendan... Tes compétences seraient appréciées. Peut-être Megrall est-il parti, mais dans le cas contraire...
— Je suis là, je peux vous épauler.
— Merci.
Tandis que Florent entraînait les novices et quelques confrères à l'écart, Othon ramena Brendan vers un groupe composé d'une douzaine de Flambeaux et de prêtres confirmés. Il leur expliqua la situation en peu de mots : un intrus avait été aperçu dans le Temple, un intrus dangereux, qui répondait au signalement de leur ancien Flamboyant. A leur visage, Brendan devina que certains n'étaient pas encore au courant et il mesura davantage le trouble que cette révélation semait dans leurs rangs. Lui-même ne parvenait pas encore complètement à assimiler la nouvelle. Othon ne leur laissa cependant pas le temps de protester : il les répartit en plusieurs groupes de trois et leur assigna différents secteurs du temple. Il insista sur la dangerosité du personnage, la nécessité d'appeler des renforts en cas de mauvaise rencontre, les invita à se servir de leurs armes et de magie au besoin.
La fouille dura près d'une heure, pendant laquelle on chanta et on bavarda dans la nef en buvant du vin chaud. Les novices formaient un petit groupe enjoué, imperméable à la tension ambiante, et les quelques prêtres qui avaient été désignés pour veiller sur les fidèles firent bonne figure. Brendan travailla avec Rachel et Jacob, visitant minutieusement un quart de l'anneau du Temple, chaque chambre, chaque dortoir, les salles d'eau, la bibliothèque, l'infirmerie et l'intendance, sans rien trouver. D'autres avaient procédé de même dans les jardins, la nef, les chapelles, le réfectoire et les cuisines, la zone réservée aux Flambeaux, les écuries et les toits, sans plus de succès. Othon répartit les Flambeaux un peu partout, le flux de Valgrian crépita de partout. La chose logique à faire aurait été d'interrompre la Veillée et de renvoyer les gens chez eux, mais les Valgrians s'y refusaient, et Brendan se garda bien d'intervenir dans leurs décisions. Armand était resté invisible et Céleste surveillait les enfants d'un air épouvanté. Florent, Rachel, Enguerrand et Othon semblaient avoir repris les rênes du Temple, au moins le temps d'un soir.
Othon revint vers Brendan alors que le dernier groupe revenait bredouille de ses recherches.
— Merci. Il a filé... C'est sans doute une chance.
Brendan acquiesça.
— Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? murmura-t-il.
— Je ne sais pas. Armand dit... que l'ombre est puissante, que n'importe qui aurait pu succomber mais qu'il était vulnérable. Honnêtement, je vais te dire, Brendan, je m'en fiche. Je voudrais juste... voir arriver la fin de ce bordel.
Il jeta un coup d'œil circulaire sur la salle.
— Savoir qu'il est entré ici, malgré toutes les précautions, malgré... le flux... C'est... terrifiant. En cela, j'espère que tu t'es trompé. Que ce n'était pas lui.
Brendan secoua la tête.
— Comme je te le dis... Je ne peux pas être certain.
L'expression d'Othon se fronça.
— Il était là. Il se joue de nous...
Le Mivéan chercha quelque chose à dire, ne trouva rien. Il avait froid, et ce n'était pas simplement une sensation physique. L'homme qui l'avait torturé avait trouvé une identité, et elle était effroyable. Ils avaient été... des pairs, à défaut d'être des amis.
— Marcus a disparu. Nous avons fait l'erreur... de l'envoyer seul le rencontrer, ce midi, avec Urbain comme escorte. Aucun n'est revenu. Marcus... avait déjà rencontré Megrall plusieurs fois... Il était persuadé que le général Maelwyn avait orchestré une campagne de dénigrement envers lui pour l'empêcher de reprendre sa place, au Temple et au Conseil.
— Et n'est-ce pas possible ? Ce serait bien le genre du général.
— Ce n'est pas Maelwyn qui nous a avertis de cette traîtrise, c'est ton contact elfe. Il n'a pas voulu nous dire précisément comment il avait obtenu l'information, mais il avait l'air sûr de lui. Armand l'a cru, Céleste aussi. Il n'en avait pas parlé à Maelwyn, encore, il voulait... nous avertir de nous tenir sur nos gardes. La disparition de Marcus et d'Urbain a terminé de confirmer nos craintes. Pour certains... C'est une sorte de coup de grâce.
Son regard alla vers Céleste, debout, figée, hypnotisée par le vide, puis revint au sol.
— Je ne sais pas bien ce que nous allons faire dans les jours à venir. Guetter et nous préparer, sans doute. Tout le monde semble persuadé que Megrall va mener le sang à nos portes, qu'il suffit de l'attendre.
— Et Marcus ? Et Urbain ? Vous allez... ne rien faire ?
— Rappelle-toi la disparition de tes novices, de ta prêtresse, Brendan. Que veux-tu que nous fassions ? C'est exactement comme Soren... Nous n'avons aucune indication, aucune piste...
Brendan allait mentionner ses carreaux à soleils lorsque Florent se glissa entre eux.
— Il y a un paquet sur l'autel. Coupé dans les vêtements de Marcus, j'en suis sûr. On ne voit pas à l'intérieur mais c'est sanglant... et c'est une tête, ça en a la taille, la forme, lâcha-t-il sans flancher.
— Personne n'y touche, ordonna le Flambeau, avant de le suivre.
Brendan leur emboîta le pas. Autour de l'autel se trouvaient Rachel, Thalie, Deverell, Hugo et Enguerrand, à une distance respectueuse, mais masquant le regard d'éventuels curieux. La Luowyllite des jardins, Garance, était aussi présente, pâle et stupéfaite, soutenue par Kyle.
— Est-ce maudit ?
— Non, ça ne dégage rien, dit Thalie.
— Emmenons-le ailleurs. Dehors, trancha Othon.
Personne ne bougea puis Rachel s'avança et saisit le dessus du paquet d'une main décidée. Elle se dirigea ensuite vers la sortie, tenant son fardeau répugnant à bout de bras. Il avait laissé une marque rouge sur l'étoffe jaune posée sur l'autel. Plusieurs prêtres lui jetèrent un regard inquiet mais aucun n'y toucha.
Ils suivirent Rachel dehors, en l'escortant de près. Au cœur de la nef, la Veillée se poursuivait tranquillement : les participants, réchauffés par le vin et les pâtisseries qu'avaient confectionnées les novices pendant la journée, devisaient, assis sur les bancs placés en cercle. Brendan entendit mentionner la guerre, dans deux groupes différents, prononcer le nom de Soren, aussi, mais il ne s'attarda pas et rejoignit la haie de Valgrians.
Si quelqu'un s'offusqua de sa présence, personne n'en dit rien. Ils avaient déposé le sac de toile sur l'herbe, un peu à l'écart de l'entrée. Kyle serrait Garance contre son épaule, Rachel s'était accroupie. Plusieurs personnes murmurèrent des prières, certaines esquissèrent des signes de bénédiction, écartant les griffes de Casin et de Tymyr. Une bonne chose que Diane ait préféré garder ses distances.
Les visages étaient tirés, les expressions dénuées d'espoir. D'autres Flambeaux s'étaient approchés : Jacob, Sophia, Sullyan, mais les prêtres restaient peu nombreux. Othon ne paraissait pas heureux de cette multitude mais il échangea quelques mots avec Rachel et elle dénoua les pans du tissu autrefois ocre, désormais maculé.
Comme Florent l'avait supposé, c'était une tête, et c'était celle, sans doute possible, d'Urbain, le Flambeau aux méthodes grises. La stupéfaction, l'horreur, la colère se peignirent sur plus d'un visage, des cris fusèrent, des imprécations. D'autres, parmi les prêtres surtout, parurent soulagés : Garance, certainement, bien que ses sanglots soient désormais plus lourds, Rachel aussi, Hugo, lui, était paralysé. Othon avait pincé les lèvres mais Brendan savait qu'il n'était pas surpris. Il appela au calme, de sa voix forte, l'obtenant à grand peine, puis il demanda à Rachel de recouvrir le visage inerte du Flambeau foudroyé. Le Mivéan eut le temps d'apercevoir, gravé dans son front, la marque noire de Tymyr.
Il croisa le regard de son ami, fatigué, déterminé, souffrant, et ils échangèrent un signe de tête. Le Mivéan se retira alors, à la fois trop secoué pour faire sens des dernières heures, mais aussi conscient qu'il n'était plus à sa place. Il avait besoin de dormir, de réfléchir, et de laisser les Valgrians absorber leur nuit. Ensuite, il reviendrait : ils ne pouvaient pas laisser les Obscurs, et leur sinistre recrue, mener la danse, sans quoi ils seraient tous, petit à petit, renvoyés au néant.
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