93. Brendan
La cour du Fort était inondée de lumière. Un soleil jeune et vigoureux surplombait les remparts, gratifiant le sable blond de ses rayons généreux. Debout au milieu de l'esplanade, Brendan ferma les yeux et s'offrit à Valgrian, sans arrière-pensée, le sourire aux lèvres. La nuit était terminée, ils avaient prévalu. Quelques blessés dans leurs rangs, quelques heures au trou, et une victoire éclatante, dont les Juvéliens se souviendraient. La mort – la justice, la vengeance, la haine – avait trouvé ses cibles. Les Obscurs gisaient, foudroyés, transpercés, égorgés dans l'humus du Parc. Peu importait les suites. Peu importait l'enquête, les récriminations, les sanctions, sans doute. Maelwyn, fatalement, était furibard.
Mivei, elle, était fière, Brendan le savait.
« Soulagé ? » demanda une voix, derrière lui.
Il fit volte-face pour saluer Othon. Dans sa cotte froissée, le chevalier accusait son âge, le visage parcheminé par le manque de sommeil. Les deux hommes se serrèrent la main puis s'offrirent une étreinte chaleureuse. Dans le sillage du Flambeau, les autres Valgrians émergeaient du ventre du Fort où on les avait enfermés. Quelques soldats les escortaient à bonne distance, pour s'assurer qu'ils ne s'attardaient pas et gagnaient la sortie au plus vite, sans remous.
« Très soulagé. Ravi, même. »
Othon poussa un profond soupir et passa une main lasse sur son visage.
« Maelwyn n'est pas content. La garde n'est pas contente. Et ton ami l'espion n'était pas content non plus, quand on l'a croisé hier soir.
— On s'en fiche. Ce qui compte c'est que nous, nous soyons contents. Et Juvélys. Et la lumière. »
Armand avait donné le bras à Céleste et ils cheminaient à l'arrière du petite groupe, plongés dans un conciliabule discret. Diane, gênée par le soleil, était invisible sous la brume particulièrement dense qui émanait d'elle. Anton avait l'air un peu perdu et, pendant un instant, Brendan songea à se porter à son aide, mais il fut rejoint par Marcus, qui l'entreprit aussitôt de quelque chose, le visage rayonnant. Rachel suivait, accompagnée par Florent et Kyle, les deux rescapés de la nuit. L'un et l'autre se déplaçaient avec la lenteur de convalescents qu'on a privés d'un juste repos. D'autres encore, des Flambeaux pour la plupart, s'égayaient, tranquilles, en direction de l'arche de la porte, et de la herse levée.
« Tu as été interrogé ? demanda Othon.
— Deux fois, oui. Par la garde et par l'armée ensuite. Ils sont restés très corrects. J'ai déballé le laïus prévu. Pas sûr de les avoir convaincus mais regarde... Ils nous ont laissé sortir quand même. »
Le chevalier désigna la sortie de la cour du menton.
« Sans doute à cause de ça. »
Même à bonne distance, on devinait la foule qui se pressait à l'extérieur. Des uniformes bleus et gris mêlés contenaient la curiosité d'un peuple inquiet qui s'était déplacé. Les prêtres restés dans les Temples avaient donné l'alerte, comme prévu, et Urbain, qui avait pris la tangente avant le débarquement de la garde, avait veillé à ce que l'information se répande à tous les endroits utiles. Les Juvéliens avaient répondu présents pour leurs prêtres. La porte des cachots s'était ouverte. Ils étaient libres et triomphants.
Brendan sentit à nouveau une énergie indicible lui gonfler la poitrine. Il était victorieux. L'audace avait payé. Tous les effroyables racontars qui circulaient sur le compte des Mivéans pouvaient retourner à l'oubli.
« Ils n'en ont sûrement pas fini avec nous, ajouta Othon. Ils voudront tout savoir. Nous avons... assassiné des gens. De la légitime défense, bien sûr, mais certains... nous les avons poursuivis et éliminés, de notre propre chef. Et nous n'avons pas ce droit, à Juvélys, de...
— Je sais. Nous assumerons », l'interrompit son compagnon.
Réponse tempérée, bien qu'en son coeur, il ne soit que colère. Chacune de ces ordures avait mérité son exécution. Ils avaient été mesurés et efficaces... Ils auraient pu les faire souffrir bien davantage.
« N'en parlons plus. Savourons. »
Brendan avait l'intention d'être le premier dehors, et il hâta le pas. Les clameurs du rassemblement lui caressaient déjà les oreilles. Il leur apparaîtrait en héros. Comme percevant son désir, Othon ne chercha pas à le flanquer et c'est d'un pas décidé qu'il approcha des portes.
Pour être brutalement percuté sur le flanc, par surprise. Deux bras lui enserrèrent la taille, un visage se nicha contre son ventre, et, abasourdi, il découvrit Blanche, sa novice de onze ans, frémissante, éperdue, secouée de sanglots. Il baissa les yeux sur elle, sa petite tête blonde aux cheveux sales, la robe de nuit souillée qui recouvrait ses épaules maigres, et sentit les larmes poindre à ses paupières. Un instant, toute velléité d'aller parader sous les yeux reconnaissants des citoyens fut abolie. Il ne songea qu'à elle, cette gamine miraculée, qui venait de se ruer vers lui, dans la plus totale confiance.
Sans hésiter, il la prit dans ses bras, et la souleva. Elle passa les mains autour de sa nuque, posa la tête sur son épaule, et noya son regard humide dans le creux de son cou. Dans son ombre, tout de cendre vêtu, se trouvait le commandant Flèche Sombre, la mine impassible.
« On l'a trouvée errant dans le Parc, non loin de votre coup d'éclat, annonça l'elfe. Elle a été vue par notre guérisseur et, apparemment, elle va bien. Ses ravisseurs n'étaient manifestement pas très portés sur l'hygiène mais elle a été nourrie. »
Brendan caressa le dos de l'enfant, apaisant, un peu choqué.
« Les autres ? demanda-t-il à mi-voix.
— Aucune trace. Mais nous tâcherons d'identifier les corps que nous avons récupérés, et de reconstituer leurs derniers mouvements. Il n'est pas interdit de penser que nous trouvions quelque chose. Il faudra aussi que nous interrogions Blanche, quand elle aura récupéré.
— Bien sûr », souffla Brendan.
Il n'était pas certain qu'il lâcherait jamais la gamine. Elle était sienne, on la lui avait dérobée mais à présent qu'il l'avait récupérée, il la garderait à portée de vue, pour toujours.
« Bonne journée à vous », ajouta finalement l'elfe, avant de lui adresser un bref signe de menton et de retourner à grands pas vers la porte arrière de la caserne.
Au coeur de la nuit, il n'avait pas été différent : alerte et concentré quand tous les humains autour de lui peinaient à garder les yeux ouverts.
Mais les cris des Juvéliens rassemblés au dehors gagnèrent en ampleur et Brendan réalisa qu'il avait été doublé par ses compagnons de libération. Seul Othon l'attendait encore, à quelques toises de la porte cochère. À grands pas, il rejoignit le groupe, l'esprit léger, les bras lestés par un miracle. Le Flambeau lui adressa un sourire et ils quittèrent le Fort, avec le sentiment du devoir accompli.
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