64. Léopold
TW : scène violente, sanglante et macabre... gore en somme...
Bâillonné, les yeux bandés, les mains liées, le prisonnier manifestait des signes de panique de plus en plus marqués, s'agitant sous la poigne de Carl. Ce dernier le maintenait à genoux sur la pierre, les doigts serrés sur ses épaules. L'homme devait avoir la vingtaine mais s'il avait été musclé, la prison l'avait fait fondre. Il avait beau se débattre, il ne parviendrait jamais à se dégager.
C'était une chance qu'il ne puisse rien y voir, car les préparatifs en cours auraient terminé de le terroriser. A quelques pas, devant lui, on avait allongé le cadavre du novice mivéan retrouvé la veille dans les bas quartiers. Le corps était nu, sur le dos, la gorge béante d'une plaie désormais noire. Fern, dans sa tenue informe de sorcière des morts, était accroupie, mains posées sur la poitrine inerte, les yeux clos, les lèvres pincées. Un couteau à la lame courbe reposait sur le ventre de l'adolescent, forme sinistre sur sa peau blême.
Debout entre le condamné et la victime, Léopold attendait que Fern soit prête à lancer son incantation. Il n'avait aucune idée du crime commis par l'homme que leur avait fourni Maelwyn et s'en contrefichait complètement. S'émouvoir du destin d'un inconnu n'était pas son genre, et si le sang de celui-là devait les aider à progresser, il s'en satisfaisait très bien. La vie était courte et dangereuse, de toute façon. Autant la perdre avec utilité.
Hormis l'officiante et son homme de main, Hilda et Asthéorn se trouvaient également dans la pièce, appuyés au mur près de la porte, en grande conversation. Par défaut, la première se devait d'assister à leurs initiatives les plus controversées, il en allait de son autorité, et Léopold savait qu'elle avait aussi peu de réticence que lui à user de leurs meilleurs atouts quand c'était nécessaire. Il était sensible à son désir de ne pas brusquer leurs hôtes, pour des raisons pragmatiques seulement. Malgré la déculottée qu'ils s'étaient pris en Jasarin, les Juvéliens conservaient des fonds appréciables, dont la provenance était imprécise, mais une fois encore, Léopold s'en contrefichait. Ils auraient pu venir de la vente d'esclaves ou de l'extorsion, comme à Griphel, que cela lui aurait été complètement égal.
Travailler pour les Juvéliens était un peu paradoxal, mais les Rhyvans n'aimaient pas les étrangers et l'Empereur Jadon était bien trop dangereux pour se risquer à le servir. Léopold n'avait pas de scrupules, mais il savait qu'il valait mieux bosser avec ceux qui en avaient, en cas de pépin, d'échec ou de complications.
Asthéorn assistait au sacrifice par pur goût du spectacle. Léopold savait qu'il regrettait que Maelwyn n'ait pas trouvé un elfe dans ses geôles, mais Helga n'avait pas pu pousser ses desideratas aussi loin. C'était déjà un petit miracle que le général ait consenti à leur livrer un prisonnier et ils savaient tous qu'il n'y en aurait pas de deuxième. Les pouvoirs de Fern devaient leur dessiner une piste. Mais de cela, Léopold ne doutait pas. La magie de la mort était infaillible.
Fern saisit le couteau posé sur le cadavre et, toujours accroupie, elle se mit à taillader vivement la dépouille. Des yeux extérieurs auraient pu la croire en proie à une frénésie répugnante, mais il y avait un sens derrière ses gestes : coupures sur le front et les joues, sur la poitrine, en croix, et sur le ventre — trois incisions profondes —, le long des bras, des jambes, en cercle autour des parties génitales.
Elle se redressa ensuite et sans qu'elle ait besoin de dire quoi que ce soit, Carl poussa le prisonnier vers l'avant. L'homme fit deux pas sur les genoux puis résista, et Léopold se porta à l'aide de son collègue. Ensemble, ils n'eurent aucun mal à traîner le condamné jusqu'au corps du novice, où ils le maintinrent en place. Carl lui renversa la tête d'une main ferme dans ses cheveux trop longs, exposant sa gorge palpitante au couteau de Fern.
La jeune femme se mit à psalmodier de cette voix rauque que l'on n'entendait jamais. La magie sombre de son pouvoir se leva comme un brouillard humide et odorant, se déversant de tous les orifices de son visage en volutes poisseuses, aux relents immondes. Le condamné se cambra sous la poigne des deux mercenaires, percevant l'énergie vile de la sorcière. Léopold y était habitué, comme les autres membres de leur groupe, mais il sentait chaque fois quelque chose, en son sein, se révulser au contact de ces sortilèges, alors même qu'il n'en était pas la cible.
Très vite, la brume rampa sur le sol, trop lourde pour s'élever. Elle coula sur la pierre, recouvrit le cadavre et y adhéra comme une gangue de boue vaporeuse. Certains tentacules gagnèrent les genoux du prisonnier et escaladèrent son corps en lianes, semblables à un lierre particulièrement vivace. Il se défendit en grognant, les dents serrées sur son bâillon, la sueur mouillant ses aisselles et son front, mais tant Carl que Léopold avaient suffisamment de force pour réduire ses efforts à néant. Les grondements se muèrent en gémissements pathétiques, puis en sanglots. Même sans avoir jamais assisté à pareil rituel, l'homme avait deviné que la suite serait sordide.
Fern continuait à psalmodier sans se presser, comme absente, liée à un monde distant et inconnu des vivants. Les filaments ténébreux grimpèrent jusqu'à la poitrine de l'homme, dont les spasmes de terreur se succédèrent en vague, puis la sorcière s'approcha de lui.
Plutôt que de l'égorger proprement, mettant fin à son calvaire, elle lui ponctionna la gorge d'un trou unique, et le sang se mit à couler en un torrent vigoureux mais mesuré. Fern lâcha son arme et plaça ses mains en coupe sous le jet, comme on recueille l'eau délicate d'une source. Léopold ne tiqua pas en la voyant plonger le visage dans le liquide et relever un masque écarlate vers eux. Un sourire dément se dessina sur ses lèvres.
Une chance, vraiment, que l'homme soit aveuglé pendant son exécution.
Il convulsait en gargouillant, désormais, mais son agonie serait longue. Aussi longue que le nécessitait l'incantation.
Fern recueillit son sang et petit à petit, le laissa couler sur les coupures qu'elle avait tracées dans le cadavre. Les volutes noires viraient au pourpre au fur et à mesure qu'elle progressait, sa voix enflait, déferlait autour d'eux, dans la pièce, les emprisonnant dans son rythme sourd. Personne ne bronchait, spectateurs blasés d'un puissance nécessaire. La lutte du supplicié se faisait plus molle, même si un râle continuait de filtrer au coin de sa bouche baveuse et ensanglantée.
Le torrent se fit rivière puis ruisselet. Fern continuait à communiquer avec l'au-delà. Le cadavre suintait d'une lumière rouge sous sa couche d'ombre. Puis la sorcière se tut, à l'unisson avec le coeur du condamné. Léopold et Carl le relâchèrent et son cadavre s'affala en travers de celui du novice. Fern demeura figée, mains écartées, visage tourné vers le plafond chaulé. Petit à petit, la brume se retira, retournant vers la magicienne, s'immisçant sous ses vêtements, dans sa bouche ouverte, ses oreilles, ses narines, et sûrement pas d'autres voies que Léopold ne voulait pas imaginer.
Elle cligna une fois des yeux, et son regard bordé de rouge était complètement noir.
« En route », dit simplement Helga, en se détachant de son mur.
Ils se mirent tous en branle, à l'exception de Carl, dont le rôle était de nettoyer les lieux. À l'extérieur, les autres membres de leur escouade attendaient, prêts à partir sur la piste que contemplait désormais Fern de ses yeux assombris. Ils ne pouvaient pas exactement savoir où ils allaient et ce dont ils auraient besoin, mais l'assassin du gosse était désormais à leur merci, où qu'il se terre. Il ne restait plus qu'à aller le cueillir.
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