Chapitre 9 : Ebonia

Le groupe déboucha enfin sur la grande artère circulaire. Elle était bordée de riches échoppes et de vastes demeures beaucoup plus luxueuses que celles que la guérisseuse avait pu voir en arrivant dans la capitale. Toutes possédaient de larges terrasses et des Sylphes volaient nombreux aux alentours. Les maisons de plusieurs étages étaient faites de matériaux nobles, mêlant le bois finement travaillé à la manière des Dryades et la pierre sculptée témoin de la dextérité des Oréades. Certaines arboraient même des éléments de décors constitués de nacre, de perles et de coquillages en provenance directe des Néréides. Ebonia était en quelque sorte la synthèse du savoir-faire des différents peuples qui composaient le Haut-Royaume et le résultat était, dans cette partie de la ville du moins, assez extraordinaire aux yeux de la nouvelle venue.

Au milieu des Non-Ailés qui arpentaient les rues, Ambre aperçu aussi quelques Sylphes déambulant parmi les étals des marchands installés le long de l'avenue la plus fréquentée du royaume. D'après la texture de leurs ailes, on pouvait parfois deviner leurs origines. Grâce à la couleur argentée de certaines, telles des écailles, il était par exemple très aisé de reconnaitre un Néréide, leur peau était d'ailleurs plus halée que celle d'un autre Sylphe. Une vie constamment exposée au soleil au bord de la Mer des Cieux expliquait la couleur cuivrée de leur épiderme. Il était ainsi facile de ne pas les confondre avec les Oréades, peuple du nord au teint plus pâle et dont les ailes étaient tout aussi chatoyantes, bien que leur aspect soit plus proche des plumes d'oiseaux. Et bien sûr, venait le peuple des Dryades, facilement reconnaissable par ses ailes qui rappelait celles des papillons ou des libellules. Mais cette règle n'était pas universelle. Les peuples se mélangeant, certain individu pouvait rassembler les caractéristiques de plusieurs peuplades à la fois, ce qui était en général du plus bel effet au niveau des textures et des couleurs de leurs attributs volants.

Ebonia était un véritable melting-pot, comme en témoignaient son architecture et les gens qui arpentaient les rues. C'était si différent de ce la guérisseuse pouvait connaitre, si coloré, qu'elle en avait presque mal aux yeux.

Une grande place s'ouvrit soudain face à eux, assez vaste pour réunir tous les habitants de la Ville-Basse. L'esplanade semblait commencer aux limites extérieures de la cité, traversait les faubourgs, et s'achevait entre les larges racines de l'Arbre Sacré. C'était à ce niveau que la grande voie suspendue débutait son ascension jusqu'au palais, s'enroulant autour du tronc incommensurable. Ambre fut saisie par la majesté du lieu et ne put s'empêcher de lever les yeux vers le sommet du chêne. D'où elle se tenait, elle n'apercevait pas grand-chose, seulement le dessous des massives branches qui supportait le palais et dont on ne devinait rien vu d'en bas.

— Voici la Grande Place, nous y établirons notre bivouac, expliqua Kael, ce qui ramena l'attention d'Ambre vers le vaste espace qui s'ouvrait devant elle.

Pour rendre le séjour des participants à l'Envol plus agréable, des abris de toile avaient été dressés par les autorités. La place était en effet envahie de chapiteaux plus ou moins imposants et d'innombrables tentes plus petites entre lesquelles circulaient déjà de nombreux futurs-Ailés.

— On y restera le temps des festivités, précisa le jeune homme en donnant de la voix et en se tournant vers les futurs Sylphes du convoi qui se trouvaient à proximité. Attendez ici jusqu'à ce que l'on vous indique l'emplacement qui vous est réservé.

Il s'excusa auprès d'Ambre et de son frère et, avec Cédric et Valériane, rejoignit les autres adultes pour aider à diriger tout le monde.

La guérisseuse se retrouva seule en compagnie de Jorvic.

— Viens, lui dit-celui-ci.

Il avait repéré un marchant qui vendait des sortes de petits gâteaux dorés. Ils embaumaient l'air de leur parfum sucré depuis une boutique à quelques pas de là.

— Allons nous trouver quelque chose à manger, d'ici à ce que nous soyons installés et que nous puissions casser la croute, il se passera encore des heures ! Si je ne me mets pas quelque chose sous la dent tout de suite je vais défaillir, rigola-t-il en mimant un malaise.

— Mais ton frère nous a dit d'attendre là, protesta mollement Ambre en lançant un coup d'œil en direction de Kael qui discutait avec les Sylphes locaux en charge de l'organisation.

Elle était impressionnée par la taille de la cité et la dernière chose qu'elle aurait voulu était de s'y perdre à peine arrivée.

— Mais on ne s'en va pas, on se contente d'aller juste en face, insista-t-il en la prenant par la main pour l'entrainer avec lui.

Jorvic ne faisait visiblement pas grand cas de l'autorité de son ainé et, en cela, Ambre reconnu bien un trait de caractère commun aux deux frères. L'obéissance aveugle aux règles n'était pas leur fort. Ambre ne résista pas, elle aussi attirée par les odeurs des alléchantes pâtisseries et se dit que tant qu'elle garderait leur groupe en ligne de mire tout irait bien.

Les deux jeunes gens se frayèrent un chemin dans la foule qui s'agglutinait aux abords de la Grande Place, attirée par les nombreuses échoppes et marchands ambulants qui s'étaient installés tout autour, eux-mêmes appâtés par les juteuses affaires à réaliser à proximité du campement. Un tel rassemblement de plus d'un millier de personnes était une aubaine pour un colporteur. Certains proposaient de la nourriture. Ambre ne reconnut pas tous les mets offerts au troc, et certaines odeurs étaient complètement nouvelles pour ses narines. Un fumet d'épices inconnus flottait dans l'air et se mélangeait à des relents de friture.

Plus loin, des tailleurs proposaient des tenues de soirées bon marché, des tuniques aux couleurs chatoyantes et une grande variété de capes. Ces dernières étaient indispensables en cas de visite, même brève, dans l'enceinte du palais. La seule exception à cette règle avait lieu lors de la cérémonie de l'Envol. C'était l'unique moment de l'année où les nouveaux Sylphes, invités par le roi Asmodée, pouvaient se promener dans le jardin du château en exhibant leurs attributs volants.

Cependant, on racontait que même ce soir-là, le roi et le prince, ainsi que les membres de la garde ne quittaient jamais leurs pèlerines noires. C'était devenue une mode à Ebonia. D'ailleurs, la guérisseuse constata que même en dehors de l'enceinte du palais, beaucoup de personnes arpentaient les rues avec une cape sur le dos, soit pour cacher leurs ailes, soit - et c'était le cas du plus grand nombre - pour oblitérer le fait qu'elles n'en avaient pas.

Ambre s'approcha d'un marchand et caressa l'étoffe d'une cape d'un bleu irisé, tirant vers le vert émeraude. Le vendeur en voulait une petite fortune. Elle ne se laissa cependant pas tenter, préférant attendre encore un peu avant d'investir dans un tel accessoire. Elle en trouverait une meilleur marché, car de toute façon, elle ne lui serait pas d'une grande utilité une fois rentrée à Edéan. Arrivés devant l'étal du boulanger, ils troquèrent quelques pignons de pin (denrée rare, donc prisée à Ebonia) contre deux gâteaux et s'en retournèrent vers la place, quittant l'effervescence et le tumulte du marché.

— Ah, je vous cherchais, déclara Kael lorsque les deux jeunes gens, qui se léchaient encore les doigts, rejoignirent les quelques Dryades qui attendaient encore qu'on les oriente. Venez, je vais vous montrer notre emplacement.

Kael les emmena le long d'allées savamment quadrillées où brûlaient déjà quelques feux de camps et où des futurs Ailés de toute provenance étaient déjà installés. Certains discutaient tranquillement pendant que d'autres s'attelaient à la préparation du souper. Des rires fusaient d'un des chapiteaux qui servait manifestement de latrines. Ambre se félicita de passer son chemin en espérant que les quartiers de leur petite bande soient le plus loin possible de cet endroit malodorant.

Quelques travées suivantes, un groupe d'amuseurs de rue constitués de Non-Ailés était reconduit par un trio de vigiles jusqu'aux abords de la place en protestant. Un service d'ordre était nécessaire, car les nouveaux venus attiraient bien sûr la convoitise de certains habitants de la ville, qui eux aussi, voyaient en ces quelques jours de festivités une aubaine pour gagner de quoi se nourrir, souvent de manière plus ou moins honnête.

— Nous sommes de ce côté, indiqua Kael en se dirigeant vers le nord-est de la place, qui lorsqu'elle n'était pas occupée par le campement, servait habituellement de place de marché.

Ambre aperçu son frère qui négociait une flasque contenant certainement une quelconque boisson fermentée avec un vieil Oréade Non-Ailé. De toute évidence, le service d'ordre n'était pas infaillible. Les deux hommes se serrèrent la main et Godric se dirigea ensuite vers Mael, Aymeric et Cadfael en soulevant ostensiblement son achat, visiblement fier de sa transaction.

Quelques pas plus tard, Kael s'arrêta à un carrefour et indiqua les tentes beiges qui en marquaient les angles. Ambre se retrouva à partager la sienne avec Valériane, ce qui ne la ravit qu'à moitié. La jeune femme était plutôt du type froid et réservé et Ambre ne se trouvait pas vraiment d'affinité avec elle. Mais, de toutes façons, elles ne passeraient pas beaucoup de temps juste toutes les deux, puisqu'elles viendraient ici juste pour dormir. Kael partageait la tente d'en face avec son frère, Cédric et Ismaël celle qui se trouvait sur la gauche juste après un espace laissé libre pour le foyer. Les deux derniers angles étaient occupés par les tentes de Godric et de ses amis.

— Je vous conseille de ne pas laisser d'objets de valeur au campement, précisa Cédric lorsque la joyeuse bande au complet se retrouva autour du feu de camp qu'Ismaël avait préparé. La zone est plutôt sûre, mais on n'est jamais à l'abri de quelques petits fouineurs...

En repensant à son entrée dans la ville, à tous les nécessiteux qu'elle avait croisé et aux diverses scènes qui avaient attirées son attention en se rendant jusqu'ici, Ambre se dit que ce conseil découlait du bon sens. Ce qu'elle avait de plus précieux, à savoir ses pignons de pin, sa trousse de remèdes et les quelques petits articles qu'elle avait emporté pour faire un peu de troc, elle le gardait toujours sur elle.

Le groupe dîna et éteignit le feu pour économiser le bois. Godric interpela alors Kael et ses amis.

— Nous allons nous balader du côté de la rue circulaire, vous voulez venir ?

Les jeunes Sylphes qui accompagnaient les Non-Ailés étaient presque tous venus pour profiter de la capitale et de ses divertissements, Cédric, Ismaël et les autres n'y faisaient pas exception. Malgré la fatigue, Ambre aussi était curieuse d'en découvrir plus et, comme les autres membres du groupe, se déclara volontaire pour accompagner son frère et ses amis. Elle était ravie pour une fois que ce dernier recherche sa compagnie, à moins que ce ne fut dû à la présence de la jolie Valériane...

La jeune fille laissa son sac comprenant ses habits de rechange dans sa tente et rejoignit la petite troupe qui se mit en marche vers la rue principale.


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