9
Depuis toujours, l'Ordre Blanc traquait les monstres et les mages à travers tout Conmore, bien avant l'apparition de Mazak même. Et le commandant Trevor Helgor menait à bien la mission de ses ancêtres. Quand il regardait ses recrues, il ne pouvait qu'éprouver de la fierté pour ceux qui offraient leur vie à Conmore. Pourtant, en ce jour pluvieux, il éprouvait un mélange étrange de sentiments qui noyait son cœur et tordait ses tripes. Il devait cacher ses peurs. Un capitaine ne faiblissait pas, il débordait de courage. Sa nature souriante l'aidait beaucoup, même si à cet instant il débordait de craintes. La menace des monstres grandissait et les nouvelles recrues n'étaient pas aussi aguerries qu'autrefois, or il lui fallait de vaillants soldats. Des combattants hors pair qui pouvaient se surpasser. L'Ordre Blanc était en déclin, et ce depuis des années à présent. Certains n'étaient que de jeunes soldats tout juste sortis de l'armée. Ils savaient se battre contre des homme mais la puissance des Fléaaux les dépassait.
— Un jour on sera débarrassé de tout ce merdier !
Trevor se tourna vers le soldat. Piotr avait tout du véritable chasseur de monstre : il débordait de courage et de haine pour ces créatures. Son visage, couvert de cicatrice, son œil manquant, et sa rage au combat provenaient des années passées à traquer ses bêtes. D'ardeur et de force, il surpassait bien des nouvelles recrues.
— Je l'espère, mon ami.
— Commandant Helgor !
Il se tourna alors vers le nouveau venu. Un parfait inconnu vêtu d'une longue cape noire Trevor avait l'habitude que des civils s'adressent à lui. Du haut de ses quarante-six ans, il était un chef aussi apprécié qu'aimé. Il suscitait parfois même admiration, pour sa combativité comme pour son physique. Doté d'une mâchoire carrée et des yeux d'un brun très clair, il était plutôt bel homme. Avec sa coiffe brune et sa légère barbe, ses hommes ne cessaient de le taquiner. On disait de lui qu'il attirait autant les regards des femmes que les acclamations de ses soldats.
— Que puis-je pour vous ?
— Je venais vous avertir. Des sorciers comptent se réunir afin de renverser le roi.
— La vermine ! cracha Piotr. Pas d'inquiétude, nous allons les arrêter !
Trevor acquiesça, toutefois aucun détail ne lui échappait. Que cet homme soit au courant de ces réunions le perturbait.
— D'où tenez-vous cette information ?
L'homme soupira. Il parut embêté, honteux même comme s'il avait commis une faute grave.
— Je suis moi-même maudit par ces pouvoirs, avoua-t-il.
Trevor retint Piotr avant qu'il ne lui tranche la tête. Il voulait le laisser parler. Jusqu'à présent, aucun sorcier n'osa se rendre à l'Ordre Blanc et encore moins dans le but de trahir les siens.
— Je suis un fils de Conmore, j'ai toujours honoré mon roi et ses ancêtres, j'ai toujours vénéré Sol et tous les dieux, continua-t-il. J'espérais qu'en vendant ces misérables, le roi puisse m'accorder une forme de pardon... Je suis un maudit, je le sais, mais devant les dieux je veux être un homme bon.
Trevor grimaça. Pouvait-il seulement faire confiance à un sorcier ? S'il se fiait au regard de Piotr, il était préférable de le tuer. Toutefois, l'Ordre Blanc s'était juré de protéger les citoyens de Conmore. Ce sorcier, en vendant les siens, se comportait, d'une certaine façon, en héros. Jegan Balrug, le fondateur de l'Ordre, n'avait jamais mentionné cela. Aurait-il tué cet homme ? Il en doutait. Il espérait que ses ancêtres ne jugent pas sa décision.
— Le roi vous recevra s'il le souhaite. En attendant, conduisez-nous au repère de ces criminels et aidez-nous.
Piotr le foudroya du regard. Il n'approuvait pas cette décision, mais, respectueux de son choix, il se tut. Afin de se convaincre d'avoir fait le bon choix, Trevor se répéta qu'il sauvait Conmore. Il sauvait le roi.
*
Iris commençait à en avoir assez de ces réunions secrètes, de ces fausses rebellions. Si Triss voulait tant renverser Conmore, pourquoi ne le faisait-elle pas elle-même ? En une attaque elle pourrait raser le palais : un éboulement ou bien un incendie, une tornade même aurait fait l'affaire. Au lieu de ça, elle organisait des réunions interminables où tous criaient et voulaient la faire parler. Pourquoi fallait-il que le monde refuse de la laisser tranquille ? Était-ce trop demander ? Savina avait pris la décision, très mauvaise, de parler de Mazak. S'en étaient alors suivi d'interminables sermons, et cela continuait.
— Mazak doit mourir ! s'écria Triss. Débarrasse-toi de ton disciple ou nous nous en chargerons.
Iris soupira et prit en considération tous ces regards. Aucun ne souhaitait tenir tête à Triss, pas même Savina qui parut profondément désolée. Elle n'avait que faire de sa pitié. Elle était assez grande pour agir seule, elle n'avait pas fui sa mère pour en retrouver une autre, à savoir Triss.
— Comptes-tu arrêter de me prendre la tête avec ça ? soupira-t-elle. Je compte m'emparer de ses pouvoirs si tu veux tout savoir, expliqua-t-elle.
— Espère de folle ! s'écria Triss. As-tu seulement idée des conséquences ?
— Oui. Je serai plus puissante que toi, plus puissante que n'importe qui même, pesta-t-elle avant de se lever.
Elle avança parmi eux et les observa tour à tour.
— Les guerres s'éternisent, les sorciers sont exécutés les uns après les autres et la menace des monstres ne cesse de croitre. J'ignore même s'ils ne parviendront pas à détruire ce monde, souffla-t-elle. Avec ce pouvoir, je règlerai tous ces problèmes en même temps, expliqua-t-elle. Et contrairement à toi, Triss, je n'éterniserai pas des réunions stupides avant d'agir, non. Si tu veux renverser Conmore, tu devrais le faire. Qu'attendons-nous ? sourit-elle. Nous sommes à Solis, alors pourquoi ne pas tout raser ? demanda-t-elle dans un claquement de doigts. À nous six, nous pourrions mettre à mal la ville et tuer le roi. À nous six, nous pourrions mettre Conmore à genoux devant nous. Nous sauverons les sorciers et les mettrons au pouvoir. Ce n'est pas ce que tu veux, Triss ?
Triss lui adressa un regard noir dévoilant toute la colère et le mépris qu'elle éprouvait à son égard. Et Iris s'en moquait. Elle se moquait d'eux tous qui la fixaient avec leurs grands yeux. Ceux qui ne la jugeaient pas s'étaient mis à la craindre, comme cette blonde dont elle ne connaissait pas le nom.
— Iris Vellaris ! Cette fois, tu es allée trop loin ! s'écria Triss. Nous irons chercher tes disciples que tu le veuilles ou non, et si tu refuses d'obéir alors je devrai t'arrêter toi aussi.
— Tu as si peur de Mazak que ça en devient pathétique. Qu'est-il avenu de la grande Triss Olend qui s'était battue jusqu'au bout contre l'ennemi ? Tu n'es plus que l'ombre de toi-même.
Triss se contenait, iris pouvait ressentir son envie de la gifler sur place. Mais entourée de ces autres sorciers, elle préféra soupirer et passer à la suite. Iris se rassit et un lourd silence s'installa durant une poignée de seconde, juste le temps que Lothar ne prenne la parole. Iris détestait cet homme arrogant.
— Si vous le permettez, je vais devoir m'absenter. Ne m'attendez pas, je serai présent au prochain conseil.
— Très bien, souffla Triss. Nous avons bientôt fini de toute façon...
Iris suivit Lothar du regard. Il ne lui inspirait aucunement confiance, elle ne savait pas où Triss avait été le chercher, mais elle n'approuvait pas ce choix. Tout comme Yorkin qui venait d'un empire sauvage.
— Qu'as-tu en tête, Iris ? pesta Triss.
— Rien. Je trouve juste que certains sorciers ne doivent pas être ici, et qu'il en existe certainement qui devraient l'être.
— Comment osez-vous ! s'écria le plus vieux membre alors que Yorkin fut pris d'un rire bruyant.
Iris le regarda un instant et ne put retenir un rire. Il ne tenait même plus debout tellement il était vieux, elle n'avait jamais vu de sorcier se tenir avec une canne et cela l'amusa beaucoup. Aucune magie ne pouvait donc préserver ses vieux os ? Pour sûr, il était aussi sourd et aveugle qu'un vieillard dépourvu de magie.
— Iris ! s'emporta Triss. Je ne suis pas idiote dans mes choix. Iorveth a combattu les armées de Mazak, Yorkin peut manipuler l'empereur et Ilena est le meilleure de sa génération.
— Et Lothar demanda-t-elle ?
Soudain, la pièce tout entière se mit à trembler. Tous se turent et se figèrent, frappés par la surprise. Ert avant même qu'ils n'aient le temps de réagir, une déflagration tonitruante emporta tout. Les murs cédèrent avec fracas, le plafond s'écroula et les hurlements s'en suivirent. Puis, le silence. Iris, sonnée, resta immobile. Plusieurs débris écrasaient sa jambe droite alors que d'autres l'avaient étourdi. Elle n'entendait qu'un bourdonnement incessant et une sorte de bruit métallique. Des pas. De nombreux pas. Jaillirent alors un groupe de soldats dans leurs armures blanches comme neige : l'Ordre Blanc.
— Fulari !
La foudre de Triss gronda jusqu'à la rendre sourde. Dans une série de cris, plusieurs soldats volèrent s'écraser au sol. Mille éclairs frappèrent l'armée en continu, jusqu'à ce que Triss manque d'énergie. Au même moment, Iris sentit qu'on lui ôtait le poids sur ses jambes.
— Iaoruhi.
La voix d'Ilena retentit avec douceur. Triss n'avait pas menti, elle devait être aussi jeune que Dana et elle parvint pourtant à réparer ses os brisés avec aisance.
— Je te remercie, souffla-t-elle.
Une fois debout, elle pouvait mieux observer le carnage. Il ne restait rien de cette salle, tout fut rasé en une attaque démesurée. Une attaque magique pour sûr. Elle aperçut alors le corps de Iorvert. Une flaque de sang s'écoulait de son crâne écrasé, on ne pouvait plus rien pour lui. De l'autre côté, elle vit Savina inconsciente. Elle se battrait pour son amie.
— Je suis navré, Triss !
Cette voix. Lothar. Iris grimaça, elle aurait dû s'en douter. Avant même qu'elle ne réagisse, Ilena s'emporta et hurla.
— Fumier !
En un instant, un jet de flammes traversa la salle. Iris devait avouée qu'elle était impressionnée par cette force, ni Dana ni Veleim n'étaient capables d'une attaque si puissante.
— Il est étonnant que vous ayez survécu ! ricana-t-il. Kyoudio.
Aussitôt, Iris se protégea. Ilena tomba à genoux et se mit à hurler face à cette insoutenable douleur. Lothar perçait son crâne jusqu'à posséder son esprit.
— Reprends-toi ! cria Yorkin.
Titubant, il s'avança vers la jeune femme. Là, des dizaines de flèches fusèrent et se logèrent dans son corps ; il cria et s'écroula. Alors que Triss fondit sur Lothar, Iris s'agenouilla aux côtés d'Ilena. Non qu'elle souhaitait l'aider, mais elle ne pouvait pas se mettre en danger.
Ilena ouvrit les yeux. Iris eut à peine le temps de l'endormir qu'elle attaqua. La déflagration lui arracha un cri de douleur et plusieurs lambeaux de peau. Elle vola et s'écrasa au sol. A demi-morte, elle cracha un filet de sang. La souffrance, insoutenable, l'empêchait de bouger, de respirer même. Elle allait mourir là, sans avoir atteint ses objectifs. Elle ne pouvait pas. Le sang coulait de ses plaies béantes et pourtant, elle trouva le courage de ramper. Ramper vers Savina. Le feu, intense et corrosif la consumait peu à peur. Il calcinait sa chair et broyait ses os sans lui laisser de répits. Savina. Elle devait l'atteindre. Elle devait y arriver. Il était hors de question d'abandonner Mazak, d'abandonner ses projets. Elle ne pouvait pas mourir. Surtout pas. Alors elle se hissa, à bout de force, souffrant le martyre et colla ses lèvres sur celles de son amie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top