8

« On dit que Mazak put contrôler les monstres non pas grâce à ses pouvoirs, mais grâce à son âme. Une âme aussi noire que la mort. »

— La folie d'un sorcier, tome premier

Veleim ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Depuis l'autre jour, quand ils s'étaient rendus à Cindera, il n'était plus lui-même. Quand ce monstre avait fondit sur lui-même, quand il fut sur le point de le dévorer, il ressentit une force déferler en lui. Une magie intense et flamboyante. Pendant un bref instant même, il lui sembla que le monstre le respectait, il lui semblait même ressentir ses émotions. C'était comme s'il était parvenu à établir une connexion avec cette bête, un lien psychique. C'était absurde, pourtant à sa mort il se sentit détruit. Si une partie de lui était reconnaissante envers ces gardes, l'autre leur en voulait. Même s'ils avaient sauvé sa sœur. Éprouver une quelconque compassion envers ces bêtes était une absurdité et pourtant, c'était comme si on lui avait arraché une partie de son âme.

Et depuis, il n'arrivait plus à vivre normalement. Il était bien moins attentif aux conseils d'Iris, à ses enseignements. Il ne faisait plus attention à Dana non plus. Ce qui le perturbait. Par chance, Iris pouvait l'aider. Elle avait toujours été là pour eux deux et ses connaissances magiques dépassaient de très loin les siennes. Alors avant qu'elle n'aille s'enfermer dans sa bibliothèque, il alla la voir.

— Dame Iris, j'aurais besoin de vous parler.

Il était pathétique à s'inquiéter de la sorte, pour quel genre de minable allait-elle le prendre ?

— C'est au sujet de ta sœur ?

— Non.

À vrai dire, il ne s'occupait même plus d'elle. C'en était terrifiant. C'était comme si elle ne comptait plus pour lui, alors qu'il devrait s'inquiéter. Elle voulait partir, elle voulait se rendre dans ce monde effrayant qui voulait leur mort à tous les deux.

— Pensez-vous qu'il est possible d'apprécier les monstres ?

Iris se figea un instant et fronça les sourcils.

— Eh bien, d'une certaine façon ce ne sont que des animaux issus d'un autre monde. Dès lors, aimer un fléau pourrait revenir à aimer un chat, oui. Pourquoi cette question ?

— Je ne sais pas ce qu'il m'est arrivé, mais... Quand ce monstre nous a attaqués, j'ai eu l'impression qu'il ne m'aurait rien fait, qu'il me respectait même.

Il attisa sa curiosité et un autre sentiment qu'il n'arrivait pas à déchiffrer. Iris ne craignait rien, pourtant il était prêt à parier qu'elle n'aimait pas ce qui lui arrivait.

— C'est impossible, ces créatures n'ont qu'un seul but : nous détruire. Ce sont des êtres vivants, il est normal de penser qu'ils pourraient être dotés d'empathie. Mais ce n'est pas le cas. On dit qu'ils sont le fruit d'un dieu maléfique. Ne t'attache pas à eux.

Elle ne le rassurait pas, non, elle lui donnait un ordre. Il ne devait surtout pas s'approcher de ces créatures, c'était ce qu'elle lui disait. Cependant, au fond de lui, il en avait envie.

— Merci...

— Je sens qu'il y a autre chose qui t'inquiète.

Iris avait don pour pousser les autres à parler, alors dans un profond soupir il lui dévoila tout.

— J'ai l'impression d'être moins proche de Dana, comme si elle n'avait plus la même importance pour moi... Suis-je un monstre ?

Cette question parvint à la troubler. Il doutait qu'elle ne comprenne pas, mais Dana était tout pour lui, alors il se sentait horrible de ne plus l'aimer.

— Toi et ta sœur avez vécu des horreurs, vous ne pouviez compter que sur vous-mêmes. Fatalement, vous vous êtes rapprochés. Seulement, à présent vous avez la vie heureuse que vous méritez. Alors, non tu n'es pas un monstre. Il est tout à fait normal de s'éloigner de nos proches quand ceux-ci ne courent plus aucun danger.

— Mais elle veut...

— Chut. Ne t'en fais pas. À présent, si tu le permets, je dois m'entretenir avec une amie. Je reviendrai ce soir uniquement.

*

Avait-elle commis une quelconque erreur ? Iris l'ignorait. Elle était même persuadée que son plan tenait la route, qu'elle pouvait contrôler Mazak. Elle le devait même. Veleim et Mazak étaient deux personnes différentes, pourtant l'âme appartenait à Mazak. Et celui-ci recouvrait ses forces. Depuis le dernier conseil, elle et Savina commencèrent à s'envoyer quelques lettres codées. Son amie, inquiète, désirait connaitre la situation surtout de Mazak. Elle allait être servie. Si Veleim commençait à s'attacher aux fléaux, ce n'était pas bon du tout.

Elle se hâta dans les rues de Cindera jusqu'à leur point de rendez-vous, un petit parc à l'abri des regards. Si Iris aimait la nature, et surtout les fleurs, elle trouva cela de bien mauvais goût. À quoi pensait Savina ? Où avait-elle vu que l'on recevait son amie dans un parc ? Surtout qu'il pleuvait. Et Iris détestait sentir la pluie coulée sur son visage et tremper ses cheveux, elle détestait grelotter sous ce temps.

— Tu ne pouvais pas me recevoir ailleurs ? lâcha-t-elle en colère.

— Je suis navrée, je suis de passage uniquement.

— Soit. Que veux-tu savoir ?

— La vérité. Quel est ton but ? À quoi ces deux jumeaux vont-ils te servir ?

Iris soupira. Elle détestait parler de ses plans, mais avait-elle le choix ?

— Écoute, Veleim a établi un lien avec un fléau. Je sais ce que tu vas dire, mais écoute-moi avant de t'emporter. Si l'âme de Mazak prend le contrôle, j'utiliserai Dana pour le contrer. Quoi qu'il arrive, il l'aimera toujours. Ainsi, le sorcier le plus puissant au monde sera sous mes ordres.

Savina lui lança un regard noir. Iris sentait la colère bouillir en elle, mais elle parvint à se contrôler. Et elle l'en remercia.

— Ne me dis pas que tu fais ça dans l'unique but de t'en prendre à ta mère ?

— C'est toi qui me donnes l'idée, sourit-elle.

— Iris ! cria-t-elle. Je sais à quel point tu es intelligente et calculatrice, tu me mens ça se voit. J'ignore ce que tu as en tête, mais je sais déjà que c'est de la folie.

Iris ne put s'empêcher de rire, amusée par sa compréhension.

— Pas d'inquiétude. J'ai la situation bien en mains, je te l'assure. Seulement, dans le cas où il se passerait quelque chose je souhaite que tu prennes Dana sous ton aile.

Savina soupira, las.

— Ne pense pas que je vais réparer tes erreurs !

— Tu ne vas pas réparer mes erreurs, non, tu prendras sous tin aile une jeune orpheline au potentiel magique bien trop important pour la laisser seule. En soit, tu sauverais bien des innocents.

Savina grimaça et claqua la langue. Pas besoin d'en dire plus, Iris venait de gagner. Savina n'abandonnerait pas Dana, c'était le plus important. Elle pourrait ainsi s'occuper de Maeak sans se trouver gênée. De toute façon, elle ne mourrait pas.

*

Dès qu'Iris était partie pour Cindera, Veleim l'avait suivie. De ce qu'il perçut d'elle, il savait qu'elle mentait, il savait qu'elle cachait un détail des plus importants. Ce qu'il s'était passé avec ce monstre n'était pas normal. Il le savait, et elle aussi. Persuadé qu'elle comptait en parler à cette amie, il se décida à les espionner. Mais sa mentore était experte en discrétion, et la suivre fut impossible. Ainsi, il se retrouva perdu dans les ruelles étroites de Cindera.

— Fais chier ! jura-t-il.

Trop tard, il devait faire demi-tour. Il ne pouvait pas se permettre de fouiller la ville dans son ensemble, Iris serait déjà de retour sur l'île et dès qu4elle remarquerait son absence, elle comprendrait qu'il l'avait suivie. S'en suivraient de longues réprimandes. Il grimaça et, énervé, donna un coup de pied dans un caillou. Sur le moment, il se trouva complètement stupide. La magie servait à tout d'après Iris, et il n'était même pas capable de la trouver. Voilà qu'il se trouvait dans une mince ruelle, seul. Si un monstre l'attaquait, personne ne viendrait l'aider. Dès qu'il se retourna, il sursauta. Il n'avait même pas entendu cette personne qui avançait dans sa direction. Il remarqua alors qu'elle se dirigeait vers lui. Et elle courut. Ses yeux s'écarquillèrent, elle bondit et, en un instant, se retrouva sur lui, lame contre sa gorge. Sous sa capuche grise, il distingua de courts cheveux bruns et de petits bleus.

— Ton argent ou la mort, souffla-t-elle.

Sous le choc, Veleim ne bougea pas. Cette fille l'avait plaqué au sol en un infime instant sans qu'il ne puisse riposter. Il la fixa avant d'éclater de rire. Un rire rauque, presque fou comme s'il n'était pas de lui.

— Kuaer.

En un instant, il la jeta contre un mur. Le choc lui arracha un cri de douleur et elle s'effondra au sol, tremblante et pliée en deux. Veleim se releva et la fixait sans bouger, sans rien dire. Qu'avait-il pris ? Il aurait pu la tuer. Et surtout, pire encore, il venait de montrer sa magie.

Désolé, je ne voulais pas !

Elle se redressa et, affolée, courut dans l'autre sens.

— Attends !

Veleim ne perdit pas un instant pour s'élancer à sa poursuite. Il venait de mettre en danger Iris et Dana, il voyait déjà les soldats débarquer sur l'île et tous les arrêter. Par sa faute. Il devait l'arrêter, il devait l'empêcher de parler. S'il fallait, il la tuerait.

— Kugoneo ! cria-t-il.

Aussitôt, elle s'immobilisa et cria. Veleim pouvait sentir sa peur, son angoisse même face à cette magie puissante.

— Désolé... tu en as trop vu...

Il s'approcha d'elle, tremblant. Il se dégoûtait, il devenait comme cette brute de Gart, cet ignoble pillard. Pourtant, il devait la tuer.

— Tu... Tu vas me tuer ?

Sa voix se brisa et Veleim déglutit. Il se répugnait au point où il en avait des nausées, comment pouvait-il la tuer de sang-froid ? Était-il monstrueux ou lâche ? Iris lui aurait dit d'assumer ses erreurs.

— C'est moi ou toi. Si tu parles...

— Je ne compte pas parler ! le coupa-t-elle. Attends, s'il te plait ! Personne ne m'écoutera. Je ne suis qu'une voleuse... Une paria. Et personne n'écoute les parias, on les laisse crever c'est tout.

Pouvait-il la croire ? Elle semblait si sincère. Il ne ressentit que de la peur en elle, et de la colère envers ce monde.

— Comment pourrais-je te croire ?

— Viens avec moi et tu sauras. Tu verras le sort réservé aux plus pauvres, tu connaitras l'abandon ! cracha-t-elle.

Il ne pouvait pas la croire, non. Au fond de lui, une voix sombre lui criait de la tuer, lui ordonnait de la tuer même. Comme elle l'avait dit, personne ne se souciait des pauvres. Son cadavre griserait dans la rue pendant des jours avant d'être brûlé, personne ne chercherait à savoir ce qu'il lui serait arrivé. Personne ne voudrait savoir. Elle n'était personne. Elle ne valait rien.

— Je suis désolé ! Sincèrement...

Pour Dana. Il le faisait pour Dana, car seule sa sœur comptait. La mort de cette fille n'attristerait personne, car elle n'était personne. Alors il serra son poignard et s'avança. Il ne pouvait pas utiliser la magie, pas ici. Par chance, elle lui laissa sa seule arme, son seul moyen de défense.

— N...Non !

D'un coup bref et rapide, il transperça sa poitrine. Elle ne poussa aucun cri. Elle laissa juste s'échapper un dernier souffle, laissant ses poumons se vider. Veleim se retira, tremblant. Sa victime tomba sans un bruit et se vida de son sang. Jamais il n'oublierait son regard. Ce regard terrorisé, ce regard qui suppliait, qui hurlait qu'on la laisse en vie. Il venait de tuer une innocente. Une jeune femme innocente qui avait sans doute une famille et des rêves. Pas après pas, il recula sans quitter la dépouille des yeux. Qu'avait-il fait ? Quel monstre était-il devenu ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top