6
— Soido !
Veleim para la boule de feu de justesse. Il commençait à fatiguer, pour la première fois depuis leur arrivée Iris les surmenait lui et Dana. Alors qu'elle ne semblait pas épuisée, tous deux suaient à grosses gouttes. Depuis combien de temps s'entrainaient-ils ? Des heures sans doute. L'avant-veille, ils découvrirent l'entrée sous un nouveau jour. Vide de tout meuble, de toute décoration. Ils ne comprirent pas tout de suite, mais désormais, c'était plus clair : Iris ne voulait rien abimer à part eux. Et Dana n'en pouvait plus. Elle décida alors de prendre une pause et alla s'asseoir contre un mur, à même le sol froid.
— Je ne vous ai pas dit que c'était fini, trancha Iris.
— J'en peux plus ! s'écria-t-elle.
Depuis deux jours, Iris les surmenait. Dana n'était pas encore parvenue à lui faire part de ses envies, de ses désirs de quitter cette île. Et cela commençait à la peser. Elle se levait avec la boule au ventre, elle mangeait moins tellement le stress était intense. Elle ne voulait pas recevoir ses remarques acerbes ni se disputer avec Veleim. Elle craignait leurs réactions. Elle redoutait son départ et pourtant, elle en avait besoin.
— Reviens ici tout de suite.
— S'il vous plait...
Tous ces efforts ne lui serviraient jamais à rien, et ça Iris l'ignorait. Ils enchainaient les sorts depuis leur réveil, ils apprenaient à devenir rapides et à garder leur sang-froid. Sans jamais s'arrêter, ils durent affronter Iris et bloquer ses coups, les deviner à l'avance même. Et Dana était épuisée. Ses jambes tremblaient comme des feuilles, elle n'avait plus la force de lever un bras et calmer sa respiration lui demandait un effort surhumain.
— Kugoneo, souffla Iris.
Dana écarquilla les yeux. Elle se leva sans l'avoir voulu. Elle cria sous la surprise, Iris la possédait. Telle une marionnette, elle l'amena à elle. Dana avait beau lutter, ses jambes ne lui obéissaient plus. À la fois apeurée et furieuse, elle ne put qu'accepter son sort.
— Non ! cria-t-elle.
Face à la sorcière, elle se figea. Pour la première fois, Iris l'apeura. Son regard lui rappela celui de Gart, elle craignit alors un sort pire que tout ce qu'il leur infligea. La folie d'Iris dépassait sans doute tout ce qu'elle avait connu.
— Dame Iris... Si Dana ne veut pas apprendre, pourquoi ne pas m'entrainer moi ?
Elle remercia l'intervention de Veleim de tout son être. Sans doute avait-il entendu sa voix se briser et vu les larmes couler sur ses joues. Peut-être même qu'il ressentit la terreur qui retournait ses tripes. Iris devint soudainement terrifiante. C'était comme si elle avait changé qu'elle s'était transformée en une espèce de monstre. Pourquoi fallait-il que tous la tourmentent ? Elle se mit à trembler comme une feuille. Dans ces moments, elle voulait rester près de Veleim. Elle avait besoin de lui, il était son seul soutien et le monde l'apeurait trop pour qu'elle ne s'en sépare. La magie l'effrayait. Ces sorts pouvaient massacrer des armées, s'ils ne les contrôlaient pas. Iris fixa alors Veleim. Dana se figea. Son cœur battait de plus en plus vite, allait-elle le tuer ? Son sourire ne la rassurait pas, c'était le genre à glacer le sang. Iris méprisait tout le monde, même eux. Elle n'aurait jamais dû lui faire confiance.
— Kugoneo, kuaer.
Aussitôt, dans un cri, Veleim se retrouva propulsé au plafond comme s'il n'était plus soumis à la gravité. Il battait des bras et des jambes, mais rien ne changea. Puis, le vent souffla. L'air s'engouffra dans ses vêtements, siffla dans ses oreilles et le fit parcourir la salle en un dixième de secondes. Il hurlait, affolé par ce sort nauséeux. Il craignait de s'écraser contre la pierre, de finir sa course avec les os brisés.
— Dana, si tu parviens à m'atteindre je reposerai Veleim au sol.
Dana resta bouche bée. Non insensible aux cris de son frère, elle n'avait cependant aucune envie de se battre. Et surtout pas contre Iris. Terrifiée, elle resta un instant immobile. Que devait-elle faire ? Agir bien sûr, mais c'était impossible.
— Shitageno ! s'écria Dana.
Iris afficha un grand sourire qui déstabilisa Dana. Son sort n'avait pas marché.
— Bien essayé, mais la magie ne marche pas comme ça. Forcer un sorcier plus puissant que soit à nous servir est impossible.
— Ydzu !
Iris esquiva la gerbe d'eau sans difficulté. C'était si prévisible qu'elle se mit à rire, Dana n'était pas aussi douée que son frère. D'ailleurs, elle voyait très bien qu'elle ne souhaitait en aucun cas apprendre. Forcément, elle ne possédait pas l'âme de Mazak, ou du moins pas sa détermination. Dana n'aurait jamais dû exister, pourtant elle était là. Et à présent, Iris devait la rendre aussi forte que son frère.
— Kuaer ! hurla alors Veleim.
Si Veleim croyait pouvoir arrêter le vent à l'aide de ce mot, il s'était bien trompé. Au contraire, il renforça la masse d'air et vola droit sur les deux filles.
— Baisse-toi ! ordonna Iris à Dana.
Dana s'abaissa de justesse. Son sort rendit Veleim plus rapide au point où le moindre impact les aurait blessé tous les deux.
— L'idiot, pesta-t-elle.
— Arrêtez-le ! supplia Dana. Il va se tuer !
— Frappe-moi et je l'aiderai, sourit Iris.
Folle de rage, Dana gifla Iris avec une telle force qu'elle bascula sur le côté. Le regard noir qu'elle lui adressa par la suite lui fit aussitôt regretter son acte. Sous le choc, Iris passa une main sur sa joue endolorie et resta muette. Dana trembla de plus belle et recula d'un pas.
— De... descendez-le.
Iris lui adressa un franc sourire avant de soupirer.
— Je t'ai dit de me frapper après tout, je ne peux t'en vouloir. Clameru.
Et Veleim cessa de voler. Il s'immobilisa avant de descendre calmement et de tomber à genoux. Dana accourut vers lui en panique. À son teint livide, elle comprit qu'ils avaient évité de peu une pluie de vomi, ce qu'elle n'aurait jamais supporté quand bien même il s'agissait de son frère.
— Pourquoi t'obstines-tu à ne pas utiliser la magie ? demanda Iris.
Cette fois, Dana devait lui parler. Elle ne pouvait plus fuir cette discussion.
— Je ne veux pas devenir une sorcière...
— Je vois, répondit-elle sèchement. Malheureusement pour toi, tu ne peux pas aller à l'encontre de ta nature. Tu es née mage, tu ne peux pas te permettre d'ignorer ce que tu es.
— Mais pourquoi ! hurla-t-elle.
La colère s'entendit dans sa voix et cette fois, même Veleim ne pouvait la calmer.
— La magie coule dans tes veines. Sous l'émotion, elle pourrait ressortir d'une manière dévastatrice et pour cette simple raison, tu dois la contrôler. Il n'est plus question de ta vie, mais de celle des autres.
— Je ne veux pas de cette magie ! vociféra Dana. Je veux être libre ! Pouvoir partir où je veux, faire ce que je veux.
Dans un dernier cri, elle s'effondra en sanglots. Veleim la prit dans ses bras pour tenter de la rassurer, mais elle semblait inconsolable, et il la comprenait. Elle lui avait fait part de ses rêves. Les mêmes qu'Iris venait de rendre impossibles.
— Il n'y a aucune solution ? demanda Veleim.
— Non. Le monde voue un culte à l'extinction des mages.
Veleim déglutit. Le simple fait d'imaginer sa sœur mise à mort à cause de la sorcellerie lui donna envie de la retenir ici. Mais il se refusait d'aller à l'encontre de son bonheur. Dana méritait d'être heureuse, elle méritait de réaliser ses rêves et d'être libre.
— Je refuse d'utiliser la magie, expliqua Dana. C'est pas fait pour moi...
— Très bien, trancha-t-elle. Demain je t'amènerai à Cindera.
Dana hocha la tête. Cet endroit allait lui manquer, mais elle était sûre qu'elle serait plus heureuse ailleurs. Quitter son frère allait la déchirer, mais elle en avait besoin. Elle lui était trop dépendante, ça en devenait malsain. Il passa sa vie à s'occuper d'elle, à la soutenir et à présent, elle devait voler de ses propres ailes. Même si cela devenait compliqué.
— Toi aussi, Veleim. Vous êtes restés trop longtemps dans cette tour, il est temps pour vous de prendre l'air.
Elle comptait bien leur montrer le monde tel qu'il était. Ils verraient les exécutions, les têtes qui pourrissaient sur les piques de Cindera. Le port en était recouvert. Ils verraient l'avertissement des hommes à l'égard des mages, ils verraient la cruauté. Gart n'avait jamais souhaité leur mort. Ils découvriraient un tout autre monde et Dana le regretterait, elle ferait en sorte qu'elle ne veuille plus jamais quitter cette tour.
*
Quand Dana posa pieds sur le port, elle crut qu'elle allait vomir. Son ventre se noua face à l'horreur qui se jouait devant elle. Des piques étaient dressées sur toute l'étendue du port. Et chacune d'elle transperçait un crâne. Un crâne humain. Elle se figea et pâlit à vue d'œil. Sans Veleim pour la retenir, elle se serait déjà écroulée sur le sol. La plupart n'étaient plus qu'à l'état d'os, mais certaines contenaient encore des lambeaux de chair, des visages même. Des visages à l'agonie.
— Les sorciers de Cindera, expliqua Iris.
Alors elle se pétrifia. Impossible. Toutes ces personnes avaient été tuées pour avoir manié la magie, et Iris voulaient faire d'eux des mages. La boule au creux de son ventre remonta jusque dans sa gorge. Étouffante, pleurant, elle ne dit rien. Elle se voyait déjà parmi ces victimes, morte à cause de sa nature.
— Allons-y, souffla Iris.
Dana, trop terrifiée pour avancer, attrapa la main de son frère. Savoir qu'à tout moment on pouvait l'attraper et la tuer la terrifiait. Peut-être que ces gardes qu'elle croisa avaient déjà deviné qu'elle était une sorcière ? Elle n'arrivait pas à profiter de la grandeur et de la beauté de la ville, c'était impossible. Pourtant, Cindera ressemblait à un joyau blanc. D'immenses tours immaculées s'élevaient au-dessus de cette mer paisible et de ses mouettes rieuses. Mais cette beauté cachait une terrifiante part d'obscurité.
Au-delà de ces bateaux amarrés se trouvaient divers marchands proposant toute sorte de produits qui l'émerveillaient. Entre les poissons se trouvaient de magnifiques tissus, bijoux et autres décorations venus de partout. Au-delà de ces dépouilles, on riait et on s'amusait. Ils agissaient comme si ces mises à mort n'avaient pas d'importance, comme si ces vies arrachées ne comptaient pas. Comment pouvaient-ils être heureux ? Ils marchaient tout sourire ou bien en grimaçant, les enfants criaient et riaient même. Tous semblaient aimer cette vie. Pourtant, les rues lui parurent bien étroites. Les bâtiments s'élevaient si haut qu'ils cachaient le ciel et ses ruelles l'étouffaient.
— Et ce n'est pas tout, ajouta Iris. Veux-tu découvrir les bas-fonds de Cindera ?
— Assez ! s'emporta Veleim. Vous comptez la terroriser pour qu'elle n'ose plus sortir...
Iris recula d'un pas comme surprise de cet élan de colère.
— Vous vouliez découvrir le monde, non ? Eh bien le voilà. Les sorciers sont décapités, immoler, torturer, l'important c'est qu'ils meurent. Les rois souhaitent nous tuer, nous éradiquer, il est temps d'en prendre conscience.
Dana ne put se retenir de pleurer. La réalité lui éclata en plein visage, le monde était monstrueux. Partout, la mort et le chaos se propageaient. Quand ce n'étaient pas les guerres, quand ce n'étaient pas les monstres, c'étaient les souverains eux-mêmes qui massacraient les peuples. Et tous fermaient les yeux. Il fallait que quelqu'un se lève, que quelqu'un se dresse devant eux et brise leurs illusions. Iris ne détruisit pas ses rêves, au contraire elle les solidifia. À présent, elle 'était plus déterminée que jamais. Le cœur lourd en proie à la tristesse et à la peur, elle souffla avant de déclarer :
— Je parcourrai le monde. Le monde doit comprendre les horreurs qui se jouent devant eux, je le ferai.
Elle porterait ce combat sur ses frêles épaules ; ses mots l'y aideraient, la poésie serait son arme. Le monde devait affronter la vérité, se rebeller contre ces injustices. Les guerres devaient cesser, les traques devaient cesser. En Ténérie, le roi laissait son peuple meurtri en proie aux criminels et aux monstres. À Héliar, l'empereur n'était qu'un tyran avide de pouvoir. Elle ignorait ce que lui réservait Conmore, mais elle n'était pas naïve, elle savait très bien qu'elle allait découvrir des horreurs.
— Tu prendrais le risque de mourir bêtement ?
— Oui ! Je refuse de vivre dans un tel monde... Je refuse de rester aveugle. Qu'est-ce qu'il y a dans les bas-fonds ?
Veleim lui souriait et cela lui réchauffa le cœur. Il la soutenait. Il avait toujours été avec elle et le serait toujours, elle lui en était éternellement reconnaissante. Son frère resterait auprès d'elle à jamais.
— Cindera est pauvre, ajouta Iris. Derrière cette magnifique façade se cachent des dizaines de sans-abris et tout autant de voleurs. Le roi ne s'en occupe pas. Personne ne s'occupe d'eux, et c'est bien pour cela que certains mages se terrent là-bas.
Soudain, un rugissement strident les fit sursauter. Tous trois levèrent les yeux au ciel, et Dana revécut la même horreur. Une énorme créature volait au-dessus de la ville. Ses ailes, transparentes, battaient si vite qu'elles en devenaient invisibles. Dana recula d'un pas. Elle n'avait jamais vu de si gros yeux bleus. Elle en dénombra six, tout comme ces longues pattes. Ses doigts se resserrèrent autour de la main de son frère. Dans la ville, les cris fusèrent de toutes parts de même pour les flèches. Cette créature, recouverte d'un exosquelette jaune luisant les esquivait avec une aisance déconcertante. Soudain, elle plongea en piqué. Ses pattes avant, terminées par des lames, arrachèrent la tête d'un soldat. Dana pâlit.
— Regarde, lui ordonna Iris.
Elle tressaillit. La bête fondit sur eux, elle poussa un hurlement strident. Veleim s'interposa et là, la créature se posa. Aussitôt, les gardes l'assénèrent de flèches et coururent vers eux. L'un d'eux, bondit sur elle et lui transperça la tête en un seul et rapide coup.
— Vous allez bien ? s'inquiéta un autre.
— Plus de peur que de mal, souffla Iris. Cette bête a bien failli nous tuer...
Elle se tourna alors vers Dana et la dévisagea. La jeune femme haletait, son coeur battait à une vitesse si folle qu'elle souffrait de maux à la poitrine. Elle faillit à la fois perdre son frère, et la vie. Quand elle observa Veleim, il parut ailleurs. Même Iris semblait différente, comme frappée de stupeur.
— Il est temps e rentrer, annonça-t-elle.
Dana acquiesça. Elle ne voulait pas continuer leur visite, elle venait e vivre un vrai cauchemar. Sans la présence des gardes, l'attaque aurait viré au massacre. Les monstres la terrifiaient plus que tout. Ils étaient partout, même dans les cités paisibles et fortifiées.
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