5
Rien n'était plus barbant qu'une réunion de sorciers, surtout si Triss l'organisait, pourtant Iris s'était rendue au conseil. Dès qu'elle pénétra dans la petite salle, tous se tournèrent vers elle. Savina lui adressa un sourire, heureuse qu'elle soit quand même venue. Triss en revanche lui en voulait. Elle ne l'avait pas vue au premier ni au deuxième conseil, et rien que pour ça elle était prête à l'incendier sur place. Mais Iris s'en moquait.
— J'ai bien cru que tu ne viendrais jamais, pesta-t-elle.
Elle ne répondit pas à cette pique et alla s'asseoir aux côtés d'une jeune sorcière aux longs cheveux blonds. Elle ne la connaissait pas, tout comme elle ne connaissait pas les trois hommes qui se trouvaient parmi eux. Elle détestait rencontrer de nouvelles personnes, c'était une perte de temps./
— J'espère ne pas être venue pour rien, soupira-t-elle. Alors dites-moi, quand comptez-vous passer à l'assaut ?
Si Triss la foudroya du regard, le sorcier à sa droite s'esclaffa d'un rire bien trop bruyant à son goût. C'était un homme tout aussi âgé qu'elle au crâne dégarni et à la courte barbe grise, Iris ne l'aimait déjà pas. Il dégageait une certaine arrogance, comme beaucoup de sorciers.
— Pas encore, non, souffla Triss.
— Vous ressemblez à une amie, déclara le vieil homme. Irina Vellaris, ce nom vous dit-il quelque chose ?
Iris grinça des dents. Elle haïssait tellement sa mère que son nom seule arrivait à la rendre furieuse. Toutefois, elle garda son calme.
— Ainsi vous connaissez ma chère mère, souffla-t-elle. D'où venez-vous donc ?
— D'Héliar. Je suis, tout comme elle, conseiller de l'empereur.
Elle ne put cacher sa surprise et ses yeux s'ouvrirent en grand. Elle aurait préféré la savoir morte que conseillère impériale. Cela ne l'étonnait pas, l'empereur était tout aussi fou qu'elle.
— Ma mère a-t-elle eu vent de cette réunion ?
— Non, trancha Triss. Yorkin espionne l'empereur pour nous. Je lui fais confiance, comme toute personne ici normalement.
Encore une pique. Iris étouffa un rire et la fixa un instant, elle ne l'avait jamais vue aussi rancunière.
— Héliar en a fini avec la Ténérie, expliqua Yorkin. Il n'en veut plus. Je crains qu'il ne veuille Conmore.
— Comprends-tu à présent pourquoi cette réunion est importante ? demanda Triss.
— Non. L'empereur Tyron peut régner sur le monde, je continuerai ma vie comme s'il n'avait jamais existé. A vrai dire, j'ai même mieux à faire !
Triss grimaça. A son regard, Iris comprit qu'elle était allée trop loin. Elle pouvait même sentir sa colère monter d'un cran et exploser en elle.
— Comment oses-tu ! s'écria-t-elle. Cesse d'être égoïste Iris. Nous pouvons changer les choses à Conmore mais si Conmore n'est plus, comment pouvons-nous réintroduire la magie ? L'empereur haït la sorcellerie par-dessus tout. Il ne tolère que deux sorciers à ses côtés et il en a toujours été ainsi. Il est temps que tu ouvres les yeux ! Es-tu dépourvue de cœur ?
— Mazak est revenu.
Ces trois mots, à eux seuls, firent taire toute personne présente dans cette pièce. Le silence qui s'installa alors pesait si lourd qu'Iris préféra le briser sans attendre.
— Mêle-toi des affaires royales si tu le souhaites, moi je m'occupe de Mazak.
— Imbécile ! cracha-t-elle.
— Vous devriez l'écouter, souffla Savina.
Iris lui sourit, satisfaite qu'elle la croit enfin. Qu'on la prenne pour une folle commençait à l'agacer. Elle leur raconta alors tout depuis le début. Ses recherches sur Mazak, sur sa descendance jusqu'à la part sombre de Veleim.
— Je n'ai jamais rien entendu d'aussi fou ! s'exclama Yorkin.
— Tu es devenue folle, renchérit Triss. Aussi folle que ta mère.
— Et si elle disait vrai ? demanda Savina. Imaginez que...
— Silence ! ordonna Triss. Comment peux-tu la croire?
— Je la crois moi aussi, ajouta la sorcière blonde à ses côtés.
— C'est de la folie ! cria un autre.
Et en un instant, le calme ordinaire des sorcières disparut et laissa place à un brouhaha assourdissant. Ils criaient de plus en plus fort pour se faire entendre, pour écraser les autres et Iris commençait à en avoir mal à la tête. Cependant, elle trouva cela ironique. Tous auraient déclarer pouvoir garder leur calme en toute circonstance. Pourtant, la seule hypothèse du retour de Mazak les fit céder. Et dans la panique, ils criaient sans plus s'entendre. Iris soupira alors.
— Silence ! hurla-t-elle.
Tous se tournèrent alors vers elle. Le simple fait qu'elle hausse le ton de la sorte surprit Triss et Savina, les autres la jugèrent.
— Un peu de calme je vous prie, déclara-t-elle. Mazak est de retour, j'en suis persuadée.
— Dans ce cas, pourquoi le laisser en vie ? déclara un autre sorcier.
Il s'agissait d'un homme d'une quarantaine d'année au regard aussi noir que ses cheveux. Elle ne lut que mépris dans son regard, elle le détestait déjà.
— Maître Lothar a raison, souffla la sorcière blonde. Mazak n'est qu'un adolescent de seize ans, il est faible.
Iris la jugea elle aussi. Pourquoi se rabaisser à appeler un de ses confrères « Maître », ce n'était qu'un autre sorcier rien de plus. Il ne méritait pas autant de respect. Sauf si elle débutait uniquement, dans ce cas elle n'avait rien à faire ici.
— Et si j'arrivais à le contrôler ? supposa Iris. Veleim et Mazak existent dans un seul corps et rien que pour ça, je dois le garder en vie.
— Dans quel but ? demanda Triss. Qu'est-ce que tu nous caches ? Je ne vois pas pour quelle raison tu aurais besoin de Mazak vivant ! Tu étais la première à refuser de partager tes connaissances et voilà que tu te retrouves avec deux disciples. Etonnant non ?
Iris haussa les épaules.
— J'ai changé. Le prochain conseil aura lieu dans un mois, non ? Attendons pour nous décider. En un mois, je suis capables de beaucoup.
*
Deux mois s'était écoulés depuis l'arrivée des jumeaux à Cindera et jamais ils n'avaient vécu une vie comme celle-ci, une vie de rêve comparée à la précédente. Dame Iris avait rythmé leurs journées d'une façon particulière. Ils étaient libres de se lever à n'importe quelle heure de la journée mais si elle était déjà réveillée, c'était à eux de préparer leur repas. Repas qui s'avéraient toujours délicieux et, durant la première semaine, copieux également. Après cela, elle leur enseignait diverses choses sans aucun rapport avec la magie comme la langue commune par exemple, ou bien les mathématiques et les autres sciences et l'histoire, ou bien encore les bonnes manières à adopter en société. Elle aimait la discipline et la politesse. La magie ne faisait pas tout, leur avait-elle expliqué. Parler était une chose, bien se comporter leur permettrait d'exercer un certain pouvoir sur les autres. La manipulation. Pouvoir subtil et diabolique.
L'apprentissage de la magie se déroulait l'après-midi et Iris les laissait libre. Bien sûr, elle leur apprenait les différents mots de la langue magique mais ils s'exerçaient seuls. Iris trouvait que rien n'était plus important que l'autonomie. Leurs entrainements consistaient surtout à arroser les plantes de la sorcière à l'aide du mot ydzu. Une étape longue et ennuyeuse. Iris possédait plus de deux-cent fleurs de tous horizons, ce qui offrait à sa tour une myriade de couleurs allant du violet au orange, en passant par le vert et le bleu. Il y avait aussi ici un parfum fleuri très délicat et apaisant. Après cela, Iris les laissait libres. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Cependant, Iris appréciait qu'ils s'entrainent et surtout, elle désirait, ordonnait même, qu'ils ne se rendent pas en ville sans elle.
— J'en ai marre de ces plantes ! râla Veleim.
En deux mois, Veleim avait bien changé. Désormais, il dépassait Dana d'une tête et avait pris du muscle. Après quelques temps, il s'était décidé à taillé ses cheveux les rendant bien plus courts, quelques poils de barbe poussaient aussi sur ses joues. Et Dana aimait le taquiner là-dessus.
— Moi aussi, souffla Dana.
Sa sœur, en revanche, ne changea pas tant que ça. Bien sûr, prendre du poids lui offrit silhouette plus belle que celle d'une affamée à demi-morte, mais elle resta la même. Elle gardait cette longue chevelure, ce regard innocent et ces traits fins.
— J'ai une idée ! s'exclama Veleim. Après tout ce temps, je sais où sont toutes les plantes alors...
D'un sourire vainqueur, il ferma les yeux et se concentra.
— Ydzu, souffla-t-il.
Et une fine pluie arrosa chacune des fleurs sans exception. Au cœur du vestibule, ils observaient avec émerveillement cette prouesse. L'eau s'écoulait de toutes parts et aucune goutte ne tomba sur le sol de pierre, ni sur les étagères, ni les diverses statues ornant la tour. Tout resta au sec.
— C'est génial ! s'écria Dana. A l'étage ! Vite !
Elle voulait s'assurer que l'eau n'ait pas percé le plancher alors elle se rua dans l'escalier en colimaçon. Elle ouvrit chacune des portes, même la chambre d'Iris, et constata que tout était resté sec. Le sourire aux lèvres, elle rejoignit son frère et le félicita.
— Je suis le meilleur !
— Et dire qu'il vous aura fallu deux mois pour envisager cette possibilité, souffla Iris qui venait de rentrer. Pensiez-vous sérieusement que je passais mes journées à arroser mes fleurs une par une ?
Elle ne sembla pas satisfaite, au contraire les jumeaux trouvèrent qu'elle se moquait d'eux. Dana n'aimait pas son sourire. Certes elle s'était occupée d'eux tout ce temps et leur avait offert une vie haute en couleur et elle lui en était reconnaissante, toutefois cela ne l'empêchait pas de détester ce sourire en coin.
— J'y avais jamais pensé, déclara Veleim.
— La magie demande aussi de la réflexion, ajouta-t-elle froidement. Envisagez toutes les possibilités, tout le temps.
Tout de suite, tous deux perdirent leur grand sourire et toute once de satisfaction. Dana avait l'impression de décevoir Iris. Elle ne les félicitait jamais. A vrai dire, elle trouvait toujours une remarque à faire, un reproche, une erreur et cela l'agaçait. Au fond d'elle, elle ne désirait même pas vraiment devenir une sorcière alors à quoi bon se forcer si tout ce qu'elle faisait s'avérait mauvais. Veleim, quant à lui, persévérait. Il voyait ces remarques comme une preuve de fierté de la part d'Iris, comme un remerciement. Elle voulait leur bien, qu'ils ne commettent aucune erreur, qu'ils deviennent aussi doués qu'elle. Et donc, elle les poussait à se donner à fond.
— J'y penserai ! dit-il avec assurance.
— Vous êtes aussi assez bons pour combiner plusieurs mots. Je vous l'ai déjà dit, c'est une langue et aucune langue ne se parle juste en prononçant un mot. Faites aussi des phrases. Hiyr soido, nek'seideo, prononça-t-elle à voix basse.
Une gerbe de flammes fila sur Veleim. Le garçon sursauta et ferma les yeux, mais rien ne se passa. Le feu l'entourait tel un bouclier chaud. Et, juste après cela, il retourna dans la main d'Iris.
— Est-il possible de n'utiliser qu'un mot et juste sa volonté ? demanda-t-il.
Elle secoua la tête.
— Le feu brûle par nature, il faut y ajouter un autre mot pour qu'il protège. De même, impossible de faire revenir un sort lancé sans l'ordonner.
— D'accord !
Dana souffla. A quoi bon devenir mage ? Elle ne voyait pas l'utilité, tout le monde savait que les sorciers étaient mis à mort à travers le monde. Rien que pour cela, elle préféra abandonner. Elle passa une partie de son adolescence dans un monde violent et sans pitié, pour rien au monde elle y retournerait.
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